Les petites cases

B- Adapter les interfaces en fonction des usages

1- Les sciences sociales et les IHM

Les recherches dans le domaine des interactions hommes-machines ont montré l’importance des sciences sociales pour l’élaboration des interfaces et l’optimisation de l’ergonomie des logiciels et maintenant, des sites Web. De la même façon, il m’a paru intéressant de mettre en place dans le cadre de ce travail les bases d’une recherche sociologique et ethnologique pour comprendre les mécanismes de création, diffusion et consultation de l’information chez les chercheurs en histoire.

Pour cela, il m’a paru nécessaire de me tourner vers la sociologie des sciences, en particulier vers le travail effectué par Bruno Latour dans un laboratoire de biologie moléculaire [Latour, 1979]. Ce chercheur a non seulement réussi à décrire précisément la vie du laboratoire, mais il a aussi expliqué et théorisé la méthode qu’il a employée. Cette dernière est basée sur l’immersion à l’intérieur du laboratoire. Intégré dans l’équipe, il a participé à la vie des chercheurs, tout en prenant le recul nécessaire pour étudier son principe de fonctionnement. En ce sens, son travail pourrait être comparé à toutes les recherches en ethnologie. Pour Bruno Latour, le laboratoire scientifique équivaut à un peuple d’une île perdue du Pacifique.

A mon niveau, j’ai essayé de m’intégrer à la vie d’une institution de recherche en histoire au sein du service de publications de l’École nationale des chartes. L’année de DEA m’a permis de mettre en place les premiers éléments de mon enquête ethnologique. Aidé par ma formation en histoire, j’ai pu trouver ma place au sein de cette institution et mettre en place un dialogue avec les chercheurs. Ma position particulière d’éditeur électronique et de chercheur en sciences de l’information m’a aidé à prendre le recul nécessaire pour trouver les hypothèses de départ de ma recherche qui devront être corroborées par la mise en place des enquêtes sociologiques et ethnologiques. Ainsi, j’ai pu commencer à mettre en place un dialogue et un échange avec les chercheurs, à étudier leur façon de préparer et d’écrire leurs articles ou leurs monographies, leurs usages du Web et des cédéroms historiques mis à leur disposition. Surtout, j’ai pu constamment tester auprès d’eux les différentes interfaces et ainsi, recevoir leurs conseils et leurs avis.

Les interfaces mises au point dans le cadre de ce travail de recherche ont, tant que faire se peut, été adaptées aux usages des chercheurs en histoire ce qui permet une optimisation de l’utilisation et assure un confort de lecture et de consultation. De cette façon, les chercheurs pourront lire ces monographies, tout en profitant des avantages supplémentaires donnés par l’outil informatique.

2- Les différents usages de la monographie historique : la notion de contrat de lecture

Les monographies historiques, comme toutes les formes d’écrit, impliquent un contrat de lecture tacite entre le lecteur et l’auteur[Vandendorpe, 1999]. Ce contrat de lecture contient les modalités de lecture du texte proposé. Par exemple, les romans impliquent une lecture dans leur totalité, de façon linéaire1, les journaux et les magazines une lecture plus superficielle et éclatée. De la même façon, les monographies historiques mettent en place ce contrat de lecture. Étudier les contrats de lecture des monographies revient à modéliser les différents usages que les utilisateurs en font. Après avoir étudié les habitudes de lecture de la monographie et les pratiques sociales des historiens, nous pouvons constater que la monographie historique contient trois contrats de lecture différents et donc trois usages différents sans être forcément contradictoires :

  • lecture de la monographie dans sa totalité dans un souci de suivre l’argumentation de façon linéaire. L’utilisateur sait préalablement que l’information qu’il va trouver l’intéresse. Il est dans une position passive par rapport au texte ;

  • « lecture-zapping » de la monographie. L’utilisateur ne sait pas s’il va trouver une référence intéressante dans le texte proposé, il va « grapiller » l’information et éventuellement trouver des références intéressantes au gré de son feuilletage ;

  • le lecteur recherche une référence précise dans le texte sans être certain de sa présence. Il va donc lancer une recherche en texte intégral. Dans cette condition, il extrait l’information à partir des données qui lui sont proposées.

Outre ces trois usages, le contrat de lecture des monographies historiques implique une connaissance partagée entre l’auteur et le lecteur sur laquelle il est inutile de revenir. Ainsi, certains concepts, théories ou évènements historiques utilisés dans la monographie ne sont pas expliqués par l’auteur, le lecteur étant censé en connaître la signification.

3- Proposer différentes fonctionnalités en fonction des usages possibles

L’enjeu pour l’éditeur électronique est de proposer à l’internaute des interfaces différentes en fonction de l’usage qu’il a de la monographie ou, plutôt, de proposer aux lecteurs trois moyens d’accéder à l’information en fonction de ses besoins et de ses intérêts, mis en lumière par l’étude des contrats de lecture décrits précédemment.

Pour une lecture linéaire de la monographie, outre les recommandations déjà explicités précédemment pour l’affichage du texte, l’interface proposée doit être simple et permettre une navigation aisée d’une page écran à l’autre avec des flèches de navigation par exemple. Nous avons fait le choix d’indiquer sous forme de liens le titre des écrans suivants et précédents. Ainsi, le lecteur a une idée du contenu des parties en voyant leurs titres. De plus, pour éviter la désorientation à l’intérieur de la monographie, il est important d’indiquer au lecteur l’endroit où il se trouve dans la monographie, il est donc utile d’indiquer l’arborescence sur chaque page-écran. Ainsi, le lecteur se repèrera facilement à l’intérieur de la monographie. De plus, le concepteur de la monographie doit aussi prévoir une version imprimable pour une lecture linéaire simplifiée pour les personnes que la lecture à l’écran rebute encore ;

Pour une « lecture-zapping » de la monographie, il faut proposer aux lecteurs différents moyens de connaître le contenu de la monographie et d’y accéder rapidement. La tabularité du texte peut nous aider à mettre en place de telles interfaces. Grâce à l’hypertexte, le principe de feuilletage, utilisé dans ce contrat de lecture, est simplifié et accéléré. Ainsi, les index permettent à partir de mots-clefs d’accéder à des thèmes, des personnes ou des lieux intéressant le lecteur. Un sommaire détaillé affichant l’introduction de chaque partie donne au lecteur le moyen de prendre connaissance du contenu des parties et ainsi d’accéder à l’information qui l’intéresse. Une page listant tous les documents annexes peut aussi créer un parcours de lecture original que le papier ne permet pas. Grâce à la tabularité du texte, c’est le lecteur qui crée son propre parcours de lecture en fonction de ses centres d’intérêts et non plus l’auteur qui impose sa propre vision de la monographie. Ce phénomène est renforcé par la mise en place de liens textuels qui permettent au lecteur de passer d’une partie à l’autre en fonction de ces centres d’intérêt et non plus seulement, en fonction de l’argumentation de l’auteur. Ces interfaces permettent de mettre en valeur toute la richesse d’une monographie et de donner une idée juste et rapide des informations qu’elle contient.

Enfin, pour la recherche d’une référence précise, il faut proposer au lecteur des modules de recherche. Ainsi, il pourra lancer une recherche en texte intégral ou une recherche sur les différents index. Ce contrat de lecture donne toute la valeur ajoutée au support électronique. Il est en effet, impossible d’effectuer une recherche précise et rapide sur le papier, alors qu’en quelques secondes, le moteur de recherche aura donné une réponse précise à la recherche du lecteur sur le support électronique.

Ainsi, adaptée aux différents usages, la monographie historique électronique est bien plus qu’un gadget ou qu’un outil élargissant la diffusion de l’information mais bien un ouvrage commode et utile reprenant et adaptant toutes les possibilités offertes par le livre-papier ou codex et utilisant celles offertes par l’outil informatique. Adapter l’édition électronique aux usages des lecteurs est le seul moyen à notre disposition pour valoriser l’édition électronique, montrer son utilité et sa valeur ajoutée par rapport au papier2 et surtout, le seul moyen pour que les chercheurs l’utilisent.

Notes de bas de page

1 Ce contrat de lecture prévaut même si certains auteurs remettent en cause ce principe, voir en particulier Daniel Pennac, Comme un roman, éd. Gallimard, Paris, 1992.

2 Il n’est pas pour nous question de tuer le livre papier qui a encore de beaux jours devant lui, mais bien de profiter des avantages offerts par le support électronique.

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