Les petites cases

I- État de l'art

Depuis quelques années, l’édition scientifique voit dans l’édition électronique un nouveau moyen de diffusion des résultats de la recherche. Des pionniers comme Jean-Claude Guédon [Guédon, 2001] ou Steven Harnad [Harnad, 2001] ont montré les possibilités que offrait ce nouveau support pour délivrer l’édition scientifique des impératifs économiques des éditeurs privés et, ainsi, résoudre le paradoxe de la publication scientifique mis en lumière par les chercheurs en sciences de l’information comme Ghislaine Chartron ou Jean-Michel Salaün [Chartron et Salaün, 2001]. Alors que les sciences humaines et sociales, en particulier l’histoire, vivent une crise depuis plusieurs années [Noiriel, 1996 ou Rossignol, 1999], d’abord frileuses, elles y ont vu, dans un second temps, un moyen de s’en sortir. Ainsi, des chercheurs anglo-saxons comme Robert Darnton [Darnton, 1999] ont montré la voie, même si d’autres y décelaient un danger, comme l’ont montré les réactions à ses propositions [Garcia, 1999]. D’autres chercheurs à travers le monde ont engagé une réflexion sur le bien-fondé de l’édition électronique [Smith, 1998], sur les enjeux et changements produits par l’introduction d’Internet dans le travail du chercheur [Minuti, 2002] ou sur les moyens d’adaptation de l’édition traditionnelle aux contraintes de ce nouveau support [Davison, 1997 ou Staley, 1998]. En France, certains chercheurs ont suivi ce mouvement et lancé des expériences innovantes, comme Marin Dacos avec le portail Revues.org [Dacos, 1999 ou Dacos, 2000]. Ils ont été relayés par des historiens du livre qui ont théorisé le changement de support, du papier au numérique [Chartier, 2001]. Toutes ces réflexions ont montré les difficultés pour adapter l’édition scientifique à l’édition électronique, en vue d’une appropriation de ce nouveau média par les chercheurs [Guichard, 2002].

A l’image de certains chercheurs [Solli, 1998], il m’a semblé essentiel de chercher les réponses à ces problèmes dans deux directions. D’une part, les problèmes techniques et ergonomiques peuvent être résolus par une étude attentive des caractéristiques de ce nouveau support. C’est pourquoi je me suis intéressé aux recherches sur l’hypertexte et sur l’épistémologie de l’écriture à l’écran [Anis, 1998]. D’autre part, il semble essentiel de comprendre les mécanismes de création et de diffusion de la connaissance pour une adaptation en adéquation avec les habitudes et les usages des chercheurs. C’est pourquoi je me suis intéressé aussi à l’épistémologie historique et à la sociologie des sciences, qui proposent des solutions et des méthodes pour mener à bien ce projet.

Inventé par Théodore Nelson, d’après une idée de Vanevar Bush [Bush, 1945], la technologie de l’hypertexte n’est pas récente. Pourtant, les recherches dans ce domaine ont connu une regain d’intérêt dans le milieu des années 1980 ce qui a débouché sur des synthèses au début des années 1990 [Balpe 1990 ou Laufer, 1990]. De plus, de nombreuses études sur les rapports entre le texte et l’ordinateur ont permis, dans le même temps, de mettre en avant les changements épistémologiques produits par l’utilisation de l’informatique [Anis et Lebrave, 1991]. L’apparition du Web n’a fait qu’accentuer ce phénomène ce qui a débouché sur beaucoup d’études aussi bien dans le monde anglo-saxon [Landow, 1994] que francophone [Clément, 1995 ou Ertzscheid, 2002]. Les recherches dans ce domaine se sont alors orientées vers l’analyse des changements pour l’écriture et l’argumentation induits par le passage à l’hypertexte [Carter, 1997 ou Vandendorpe, 1999] et vers les conséquences dans les processus de lecture. Toutes ces études m’ont permis d’appréhender les caractéristiques de l’hypertexte et de l’écriture à l’écran, aidé aussi par les essais philosophiques de Pierre Lévy sur le numérique [Lévy, 1988 et Lévy, 1997].

Les historiens n’ont pas l’habitude de poser un regard critique sur les pratiques et les techniques mis en œuvre par les historiens contemporains pour mener et diffuser une recherche. Ils peuvent éventuellement mener des recherches sur l’étude de l’histoire à travers les âges, c’est à dire l’historiographie [Dosse, 2000]. Ainsi, ils n’ont pas une visée synchronique dans ce type de recherche mais diachronique. Certains historiens ont tout de même réfléchi à l’écriture de l’historien [Certeau, 1975 ou Veyne, 1971] ou des philosophes comme Paul Ricoeur ont essayé de comprendre le mécanisme de la recherche historique. Pourtant, l’introduction de l’informatique a permis de lancer une réflexion sur les méthodes de la recherche et la place des sources, par exemple [Genêt, 1994] ou sur la sémiologie de la recherche en sciences humaines [Gardin, 1991]. Le peu d’études dans ce domaine et d’intérêt de la part des historiens m’ont obligé à me tourner vers la sociologie des sciences. Le travail de Bruno Latour [Latour, 1979] m’a servi, en particulier, à mettre en place les premiers éléments, c’est à dire trouver ma place au milieu des chercheurs. Cette place particulière me permettra dans le cadre de mes futures recherches de valider les hypothèses de travail grâce à une enquête sociologique et ethnologique.

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