Les petites cases

B- La monographie historique à l’ère du numérique

1- Les monographies historiques sur le Web : premier bilan

La mise en ligne de monographies historiques est un mouvement récent et encore peu développé. Les quelques exemples présents sur le Web sont souvent des initiatives isolées de la part des auteurs eux-mêmes sur des sites personnels, même s’il existe des projets de plus grande envergure issus du monde universitaire ou de la recherche. Différents modèles de publications peuvent être identifiés :

  • Mise en ligne d’un résumé détaillé de la monographie au format HTML. L’exemple du site du Centre d’études supérieures de la Renaissance1 est de ce point de vue significatif, puisqu’il met en ligne des résumés des thèses soutenues ou en cours de ses étudiants.

  • Mise en ligne des documents annexes et des notes de bas de page ainsi que des débats entre les lecteurs et l’auteur. Ce schéma reprend les propositions de Robert Darnton, dont le site2 est le seul exemple significatif de ce modèle.

  • Mise en ligne de l’ensemble de la monographie au format PDF. Ce système présente l’avantage d’une mise en ligne très rapide, mais ne permet pas de tirer profit des possibilités offertes par l’hypertexte. C’est sous ce format que la bibliothèque interuniversitaire de médecine diffuse des thèses d’histoire de la médecine3.

  • Mise en ligne de l’ensemble de la monographie au format HTML. Ce modèle représente le principal schéma de mise en ligne de monographies historiques. Elles peuvent être de l’initiative de l’auteur4 ou rentrer dans le cadre de projets institutionnels5.

Le dernier modèle présente des spécificités techniques que nous analyserons plus loin, mais surtout répond à deux types de stratégie de mise en ligne. Le chercheur qui met en ligne sa thèse sur son site personnel cherche à faire connaître son travail et à le diffuser au moyen du Web. Dans ce cadre, les texte des monographies sont souvent retravaillées par les auteurs après la soutenance en vue de leur diffusion. A cette occasion, ils mènent pour leur propre compte un réel travail éditorial. A l’inverse, les projets institutionnels se contentent la plupart du temps de la mise en ligne du texte de la thèse déposé au moment de la soutenance. Dans ce cas, comme par exemple le projet Cyberthèses à l’université de Lyon II6 ou erudit.org7 rassemblant les universités de Montréal et de Laval au Québec, le but du projet n’est pas l’édition de la monographie, mais de remédier à un problème d’organisation pour la communication et l’archivage de la thèse (tâches traditionnellement gérées par les bibliothèques, au prix d’un accès difficile).

2- Perspectives pour la monographie historique à l’ère du numérique

Jusqu’à maintenant, les seules raisons avancées pour changer le support de diffusion de la monographie sont d’ordre économique. Pourtant, il est certain que l’intérêt du support numérique ne se limite pas à cet aspect. En premier lieu, il faut signaler l’impact accru de diffusion de ces monographies. Le Web représente, aujourd’hui, un réseau planétaire qui grandit de jour en jour et il paraît évident que la mise en ligne des monographies va augmenter considérablement leur lectorat. Alors qu’il est encore très difficile d’avoir accès aux recherches en dehors de nos frontières, le phénomène de mise en ligne peut permettre le décloisonnement des recherches nationales et multiplier les échanges entre les chercheurs d’une même discipline. De ce point de vue, la mise en ligne et l’accès libre et gratuit aux monographies représentent une chance sans précédent pour l’avenir de ces publications essentielles pour la recherche en histoire.

Des changements sont aussi à noter dans l’exploitation de la monographie. Avant toute chose, la différence fondamentale avec le support papier tient à la possibilité de faire des recherches en texte intégral sur l’ensemble de la monographie. La rapidité de recherche d’une occurrence est sans commune mesure entre le support électronique qui demande juste la saisie du mot recherché et le support papier qui demande un feuilletage attentif pour ne pas en oublier. De plus, le « grapillage » d’information, c’est à dire le feuilletage de la monographie sans un but de recherche précis, est facilité par l’hypertexte qui permet un balayage rapide de l’ensemble de la monographie et le passage précis d’une partie à une autre. Avec le changement de support, c’est la fin du temps où le lecteur perdait du temps à retrouver la page exacte du début de la partie, il lui suffit de cliquer pour accéder directement à l’information souhaitée.

La mise en ligne des monographies peut aussi changer la nature et le support du débat scientifique. Même si les chercheurs français restent frileux dans l’utilisation d’Internet dans le débat scientifique8, des instruments de recherche collaborative peuvent leur permettre de voir dans le Web un moyen d’échanger leurs avis sur les recherches en cours. Ainsi, nous pouvons imaginer la mise en place de systèmes d’annotations qui permettraient aux chercheurs d’ajouter des remarques à la monographie et d’engager le débat autour de points sur lesquels ils ne seraient pas d’accord. Ces systèmes permettraient d’accélérer l’échange scientifique qui, actuellement, se base sur les revues ou les colloques.

Enfin, on peut se demander quelles seront les conséquences à long terme sur les méthodes de recherche et l’écriture des monographies. Plusieurs raisons peuvent d’ores et déjà être avancées pour expliquer ces changements. Tout d’abord, certains chercheurs [Dyens, 2003] ont montré que l’apprentissage connaît depuis quelques années des changements importants. Les étudiants, habitués au zapping avec la télévision et à la navigation sur le Web, ont tendance à avoir une connaissance plus variée, mais aussi plus superficielle. D’après les professeurs, ce phénomène se ressent aussi dans l’écriture des étudiants qui ont tendance à passer d’une idée à une autre sans transition. L’écriture des monographies sera-t-elle aussi touchée par ce phénomène de fragmentation du récit dû à l’hypertexte ? D’autre part, les possibilités offertes par l’outil informatique vont certainement faire apparaître des nouveaux usages de la monographie, lorsque les chercheurs se seront appropriés l’outil. Ce phénomène prendra évidemment plus de temps que pour les physiciens par exemple, pour qui la diffusion des résultats de leur recherche sur le Web est devenue le point nodal de la communication scientifique [Mahé, 2003].

Notes de bas de page

1 http://www.cesr.univ-tours.fr/Recherche/theses.asp

2 http://www.indiana.edu/~ahr/darnton/

3 http://194.254.96.19/histmed/asclepiades.htm

4 Par exemple, Pierre Portet, chercheur en histoire du Moyen Âge, propose sur son site personnel une version aménagée de sa thèse, Bertrand Boysset, la vie et les œuvres techniques d’un arpenteur médiéval, http://boysset.ifrance.com/boysset/introduc.htm.

5 Par exemple, la Libray of iberian resources online, LIBRO, http://libro.uca.edu/, propose cinquante monographies, ouvrages de synthèse et édition de sources.

6 http://www.cybertheses.org et http://theses.univ-lyon2.fr

7 http://www.erudit.org

8 A titre d’exemple, je vous renvoie à la liste de diffusion mis en place par le site Ménestrel, spécialisé en histoire du Moyen Âge, http://www.domeus.fr/groups/menestrel_liste, dont les abonnées reçoivent en moyenne 27 messages par mois ce qui est environ le nombre de messages reçus par jour par les abonnés de la liste professionnelle : biblio-fr.

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