Les petites cases

B- Le retour des Dammartin

Disparus de la documentation aux alentours de 1120, les Dammartin font une réapparition à partir de la deuxième moitié du XIIe siècle et surtout à partir de 1200. Pour comprendre les raisons de cette réapparition, il faut d’abord étudier le destin de la famille de Dammartin après la mort du fils de Pierre de Dammartin et le remariage de Clémence avec Renaud de Clermont pour comprendre, ensuite, les enjeux des rapports entre les Dammartin et le prieuré au début du XIIIe siècle.

1- Destin du comté de Dammartin dans la deuxième moitié du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle.

Le comté est détenu par Clémence, femme de Renaud de Clermont. Nous avons déjà vu comment il lui échut. Pourtant, il est difficile de comprendre l’attitude de Louis VII, lorsqu’il confie le comté aux alentours de 1160 à Aubri II, fils du chambrier Aubri dit de Dammartin. Pour cela, il faut explorer une branche encore assez méconnue de la famille : la branche anglaise.

a- La branche anglaise des Dammartin1

La branche anglaise des Dammartin tient son origine d’un Eudes, prénom traditionnel dans la famille. Il est témoin en 1113 d’une charte donnée par la comtesse de Clare à l’abbaye normande du Bec pour son prieuré de Saint-Neots (Huntingdonshire)2. Il est le père de six fils qui ont tous des possessions en Angleterre : Aubri, qui deviendra chambrier du roi de France, Guillaume-Alain, Manassès-Gautier, Haimon, Eudes et Etienne. Il a pour femme Basilie, prénom lui aussi attaché au lignage des Dammartin et porté par une des sœurs d’Hugues de Dammartin. Selon Jean-Noël Mathieu, Eudes est soit un fils puîné d’Hugues, trop jeune pour figurer sur l’acte de fondation de Saint-Leu en 1080, soit l’époux de Basilie, fille d’Hugues de Dammartin. La réponse à cette question est donnée par une autre famille : les Clare. Selon lui, Roaide, l’épouse d’Hugues de Dammartin est la sœur de Gilbert de Tonbridge. A la mort d’Hugues de Dammartin, Roaide se serait remariée avec Eudes, le sénéchal. C’est pourquoi Eudes de Dammartin apparaît aux côtés du sénéchal Eudes et son épouse (son beau-père et sa mère) sur la charte de donation par la comtesse douairière de Clare à l’abbaye du Bec en 1113.

Les territoires possédés en Angleterre et tenus directement d’Henri Ier par Eudes sont :

  1. Mendlesham en Suffolk dont hérite son fils Manassès de Dammartin3

  2. Strumpshaw en Norfolk dont hérite son fils Eudes4.

  3. Norton en Suffolk qui échoît à Aubri qui rend hommage à Henri Ier en 1130, après la fin de ses fonctions de chambrier auprès de Louis VI et alors que les relations entre le roi de France et d’Angleterre étaient alors altérées.

La présence des Dammartin ne se limite pas à l’est de l’Angleterre. L’enquête de 1166 demandé par Henri II Plantagenêt révèle la possession de terres dans le comté de Kent et de Surrey. La famille des Dammartin est donc bien implantée en Angleterre dès la première moitié du XIIe siècle. A la mort de Pierre de Dammartin, le roi Louis VI a préféré contrôler le château et le comté de Dammartin par l’intermédiaire de Clémence qu’il a marié à un de ses fidèles : Renaud de Clermont, plutôt que de le confier à Eudes, deuxième frère présumé de Pierre, mais alors au service du camp anglo-normand, ennemi des rois de France. Nous pouvons penser que la charge de chambrier confié à Aubri, fils d’Eudes entre 1122 et 1129 est un dédommagement et une preuve d’un apaisement passager. Mais à la mort du roi Etienne en 1154, Henri II prend le contrôle total de l’ensemble anglo-normand et l’avenir s’obscurcit pour les Dammartin. Aubri, le fils du chambrier, préfère rentrer en France. Il est investi de la Ferté-Alais5 par Louis VII et, après la mort de Renaud de Clermont entre 1156 et 1161, il est probable qu’il réclame le comté de Dammartin qui lui appartient en tant que petit-fils d’Hugues de Dammartin.

b- Aubri II de Dammartin

La première mention d’Aubri en tant que comte de Dammartin est une charte de 1162 par laquelle il confirme tous les biens tenus par l’abbaye de Chaâlis sur le comté de Dammartin le jour où l’investiture du comté lui a été donnée par le roi Louis VI : « Albericus camerarius et filius ejus comes de Dammartin… de manu Ludovici regis Francorum investituram consulatus Domnimartini idem Albericus suscepit »6. Cette abbaye avait déjà fait l’objet de donations de la part de Renaud de Clermont qui se présentait en comte de Dammartin en 11387. D’après la charte de 1162, Aubri a reçu l’investiture du comté des mains du roi. En effet, même si Renaud faisait office de comte de Dammartin, en tant que mari de Clémence, le roi avait conservé le château comme l’indique une charte de 11768. Appartenant au lignage des Dammartin, Aubri pouvait prétendre à ce comté. A la mort de Renaud, le roi le lui confie. Certainement pour dédommager Clémence des droits qu’elle possédait sur le comté, il marie Aubri, le nouveau comte de Dammartin avec Mathilde, fille de Renaud de Clermont et de Clémence.

Aubri II de Dammartin semble faire partie des fidèles du roi. En 1180/1181, il est envoyé par Philippe Auguste à la tête d’une délégation auprès du roi d’Angleterre. Il participe, au côté du roi, aux opérations contre le comte Philippe de Flandre, durant lesquelles sont pris le château de Dammartin et fait prisonnier le comte Aubri : « 1182, Principes autem ejus (comitis Flandriae), ut leonem catuli, circuibant regionem regis, audactes euntes per arte Silvanectum, depopulando usque in villam quae dicitur Lovres non multum distans a civitate Parisiensi, ceperuntque Albericum comitem de Danmartin super lectum suum, et captus ad comitem Flandriae adduxerunt. »9. En 1186, le roi de France fait la paix avec le comte de Flandre et commence à s’opposer au roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt. Il semble alors que les Dammartin, père et fils, passent au service de ce dernier, puisqu’ils réapparaissent dans les comtes de l’échiquier anglais pour le Norfolk et le Suffolk. Il est difficile de comprendre l’attitude des Dammartin : veulent-ils agrandir leurs possessions en Angleterre ? Aubri a-t-il mal digéré sa captivité chez le comte de Flandre et veut se venger du roi de France ou se met-il au service du plus puissant selon lui ? Il est difficile de répondre à ces questions. Dans tous les cas, ce choix a pour conséquence leur perte et surtout voit le destin le plus tragique de la famille des Dammartin : Renaud, connu pour être le traître de Bouvines.

c- Renaud de Dammartin

Fils d’Aubri de Dammartin et de Mathilde de Clermont, il est certainement avec Hugues de Dammartin le plus célèbre des Dammartin. Mais, contrairement à ce dernier, il n’est pas connu pour ces libéralités en faveur des établissements ecclésiastiques mais pour sa trahison du roi de France au moment de la bataille de Bouvines. Elevé à la cour du roi, il aurait été armé chevalier par le roi lui-même. Ce dernier le marie à une de ses cousines, fille de Guy de Châtillon et d’Adélaïde de Dreux. Il est au côté de son père dans toutes les chartes le concernant comme en 1185 au moment de la confirmation de la donation du prieuré de Dammartin faite par leurs prédécesseurs à la collégiale de Saint-Maritn-aux-bois10. De même, il suit son père, lorsqu’il passe au service d’Henri II Plantagenêt. Ainsi, le roi d’Angleterre lui confirme la possession du manoir de Norton, possession de son grand-père Eudes, en 118711. La même année, Henri II lui concède la terre de Lillebonne12 avec le château et la forêt adjacente13.

Renaud reste dans le camp d’Henri II jusqu’à la mort de ce dernier. Richard Cœur de Lion, son fils, devient le nouveau roi d’Angleterre et fait la paix avec le roi de France dans le camp duquel il était pendant les affrontements contre Henri II. Renaud est alors obligé de faire la paix avec les deux rois. Il ne part pas en Terre sainte pour la troisième croisade. Au moment de la préparation de cette croisade, Renaud répudie sa femme pour briguer la main d’Ide de Boulogne qu’il épouse en 1190. Renaud devient alors un des pivots des politiques des rois de France et d’Angleterre puisqu’il possède le comté de Boulogne14, point de passage obligé entre les deux pays. Le nouveau comte de Boulogne comprend l’intérêt d’une telle position et va sans cesse changer de camp entre 1200 et 1214 et la bataille de Bouvines.

Après avoir été aux services de Jean sans Terre, Renaud signe un traité avec Philippe Auguste en 1201 par lequel il marie sa fille, Mahaut, avec le fils du roi, Philippe dit Hurepel. Ce traité permet à Renaud de retrouver le comté de Dammartin confisqué par le roi au moment de la mort de son père qui était passé du côté de l’ennemi et, surtout, lui permet de s’attirer les faveurs du roi qui avait signé un traité avec Jean sans Terre. Quant au roi, il lui permet d’espérer de récupérer le comté de Boulogne à la mort de Renaud par l’intermédiaire de son fils15. Mais, Renaud est un Dammartin et une tradition familiale consiste à s’opposer aux rois de France. Comme avant lui, Manassès, Hugues, Pierre, Lancelin et Aubri II, Renaud trahit le roi de France et monte une coalition avec le roi d’Angleterre, Jean sans Terre et l’empereur Oton, tous deux ennemis du roi de France. Renaud cherche alors à affaiblir le roi de France duquel il n’avait plus rien à espérer. La victoire contre Philippe Auguste lui permettrait de renforcer ses possessions en Angleterre et en France et d’égaler la puissance du roi. Cette coalition déclenche les hostilités entre les deux partis. Elle débouche à la bataille de Bouvines en juillet 1214. Philippe Auguste écrase la coalition malgré l’infériorité de ses troupes. Renaud est fait prisonnier.

Il est mis au fer au château de Péronne16 et est exclu du traité signé entre Philippe Auguste et Jean sans Terre. Ses possessions en France sont confisquées par le roi, avant d’être confié à Philippe Hurepel, marié à Mahaut de Dammartin. Ses possessions anglaises sont gérés par son sénéchal, Robert de Dammartin. Il est, ensuite, transféré au château du Goulet17 sur une île de la Seine. Sa libération est, alors, un prétexte à la révolte des grands barons au moment du couronnement de Louis IX. Mais Blanche de Castille ne cède pas. Ses possessions sont aux mains de Philippe Hurepel, sa fille n’a aucun droit dessus, il se trouve donc sans appui à l’extérieur. Il est condamné à mourir en captivité et il préfère mettre fin à ses jours le 21 avril 1227. Nous verrons plus loin les circonstances de son enterrement à Saint-Leu.

d- La branche des Bulles

Cette branche de la famille de Dammartin est issue du mariage d’Adélaïde de Dammartin et de Lancelin de Beauvais. Il semble, en effet, qu’à la mort d’Hugues, les différentes possessions avaient été divisées entre ses enfants. Adélaïde récupère les possessions de Bulles, puisqu’elle porte le surnom « de Buglis » dans toutes les chartes dans lesquelles elle apparaît. A la suite de la trahison de Lancelin, comme nous l’avons vu, le roi confisque le titre de comte et le château de Dammartin. En revanche, il semble qu’il laisse Adélaïde garder ses droits sur Bulles. Ainsi, nous la retrouvons dans l’acte de 1138 dans lequel Renaud fait une donation à l’abbaye de Chaâlis. Elle confirme cet acte en compagnie d’un de ses fils Lancelin. Ses autres enfants portent des noms très traditionnels dans les lignages des Dammartin et des Beauvais : Manassès, Thibault, Renaud et Basilie.

A partir de 1180, la seigneurie de Bulles est possédée par Guillaume, seigneur de Mello, neveu de Manassès, Lancelin et Renaud18. Il est sans doute le fils de Thibault qui devient archidiacre de Beauvais19 ou de Arnaud sur lequel nous n’avons aucune information. La seigneurie passe ensuite aux mains des Conti. Robert de Conti apparaît pour la première fois avec le titre de « dominus de Bullis » en 118920. Nous n’avons pu établir comment la seigneurie lui était échue. Il est accompagné dans les actes du prieuré de Saint-Leu par Jean, son neveu21.

2- Existe-t-il une tradition familiale dans l’aide aux établissements monastiques ?

a- Récupérer le comté signifie-t-il récupérer l’aide aux établissements ecclésiastiques ?

Les Dammartin réapparaissent donc dans la documentation du prieuré à l’extrême fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle. Nous pourrions mettre les interventions de Clémence de Bar pour le compte des Dammartin, mais elle n’apparaît jamais en tant que comtesse de Dammartin et toujours en tant que femme de Renaud de Clermont. Nous pouvons donc penser que c’est pour le compte des Clermont qu’elle fait ces donations en compagnie de son mari.

La première donation des Dammartin est faite par la branche des Bulles en la personne de Lancelin et Renaud, les fils d’Adélaïde, qualifiés dans le texte de « domini castri Bugliencis »22. Nous pouvons la dater des environs de 1160. Cette charte ne présente aucune particularité et ressemble à n’importe quelle donation d’un aristocrate local. Le prieuré possède des terres du côté de Bulles ; il n’est donc pas étonnant de voir les deux seigneurs locaux leur faire une donation. Leur action n’est pas poussée par un désir de gratifier l’établissement que leurs ancêtres à fonder, mais par celui de faire une donation « pro anima » à un établissement ecclésiastique. De la même façon, Jean de Conti et son oncle Robert font une série de donations au prieuré :

  • Confirmation par Jean de Conti d’une donation de biens situés à Bulles faite par son oncle Robert23.

  • Donation d’un droit de champart par Robert et Jean de Conti en 120224.

  • Donation de deux champarts par Robert de Conti en 120825.

  • Confirmation des donations de ses prédécesseurs et donation d’un champart et d’une grange par Robert de Conti26.

Il ne faut pas voir dans ces donations une envie de renouer avec une habitude familiale de donations à Saint-Leu, mais, plutôt, la volonté d’un petit aristocrate local de s’attirer les bienfaits et les prières des moines. En effet, s’il existait une véritable tradition ou une volonté de réappropriation, Robert de Conti mentionnerait ses ancêtres, en particulier la mémoire d’Hugues de Dammartin. Bien-sûr, il confirme les donations de ses prédécesseurs, mais les moines ne prennent pas la peine de donner leurs noms. Or, s’il s’agissait d’Hugues de Dammartin ou de sa famille, les moines auraient sûrement fait état de ce détail. La branche de Bulles n’est donc pas considéré comme les descendants directs des Dammartin et leurs donations ressemblent plus aux donations des autres petits aristocrates sans stratégie particulière.

Le comte de Dammartin, Aubri II, accompagné de son fils Renaud fait une donation au prieuré de Sain-Leu le 20 septembre 1200. Cet acte est rappelé dans un vidimus de 1337 : « Item veues autres lettres contenans cette forme »27. Il s’agit d’une donation d’une rente de 40 sous parisis par an. Elle a été donnée à Lillebonne, fief donné à Renaud de Dammartin par Henri II, roi d’Angleterre. Cette donation ne présente aucune particularité, c’est une donation « pro anima » habituelle : « pro salute anime mee et pro remedio animarum parentum et successorum nostrorum »28. Elle est la seule faite par Aubri II et Renaud de Dammartin. Faut-il y voir une volonté de la part du nouveau comte de Dammartin de renouer avec l’établissement fondé par leurs ancêtres ? ou simplement celui de faire une donation à un établissement monastique ? Il est difficile de répondre à la question. Aubri II et son fils ont fait divers donations à différents établissements ecclésiastiques. Mais, ils semblent plus proche de l’abbaye de Chaâlis comme le prouve l’acte de 1162 que nous avons déjà évoqué29, la donation effectué au mois de septembre 120030 ou la confirmation des opérations de vente et d’échange intervenues entre Gui le bouteiller de Senlis et l’abbaye en 118231. Les Dammartin respecte donc une tradition familiale de donations au prieuré de Saint-Leu-d’Esserent, mais il semble qu’il est perdu son intérêt stratégique au profit de l’abbaye de Chaâlis.

b- L’évolution des donations au début du XIIIe siècle

Les donations des grandes familles aristocratiques au prieuré de Saint-Leu évoluent donc au cours de la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle. La fondation de l’abbaye de Chaâlis à quelques kilomètres de Saint-Leu a pour conséquence un désintérêt de la famille de Dammartin. De plus, Renaud se détourne de l’Ile-de-France et du Beauvaisis au profit du comté de Boulogne ou de Lillebonne. Saint-Leu est alors trop proche du domaine royal pour représenter un intérêt stratégique particulier. De la même façon, les Clermont, par l’intermédiaire de Catherine, continuent à faire des donations au prieuré. Le 28 novembre 1209, la comtesse de Clermont et de Bois fait remise au prieuré de toutes justices et redevances, sauf la haute justice, sur une masure de Sacy et sur une maison avec sa masure à Cinqueux32. Mais son mariage avec Louis de Blois a détourné les intérêts des Clermont dans le Beauvaisis. Le sud de la région est entré dans l’aire d’influence du domaine royal ce qui a pour conséquence un perte de son intérêt stratégique pour les grands seigneurs du nord de l’Ile-de-France qui voulaient se positionner face à la puissance royale.

Entre 1200 et 1236, sur les vingt-sept actes conservés pour cette période, treize font état d’une donation, tous donateurs confondus, et sept d’un règlement de conflit. Les donations restent majoritaire, mais le nombre de conflits augmentent pendant cette période. De plus, on ne compte qu’une donation de terre33, les autres donations sont des remises de droits ou d’usages comme celle de Catherine de Blois. En revanche, les moines doivent faire face à de nombreuses remises en cause de leurs possessions. Ces conflits montrent que leur puissance sur la région a baissé. Nous pouvons penser que l’absence de protections de la part d’un grand seigneur local a fragilisé sa position face aux autres aristocrates de la région. Enfin, aucune de ces donations n’entre dans le jeu seigneurial et n’est une stratégie de la part des donateurs pour se positionner sur les possessions du prieuré. Il semble donc que le prieuré retrouve alors son seul intérêt spirituel et que ces donations ont pour but de s’attirer les prières des moines et les faveurs de Dieu.

c- La mort de Renaud de Dammartin et le prieuré de Saint-Leu

La dernière intervention des Dammartin concerne l’enterrement de Renaud de Clermont et les donations qui l’accompagnent. Comme nous l’avons vu, Renaud s’est suicidé en captivité le 21 avril 1227. Le suicide est condamné par l’église, il est donc difficile de trouver une sépulture à Renaud. Il semble que sa famille se tourne alors vers les moines de Saint-Leu. Elle ne peut ignorer l’histoire de cette communauté et le rôle que les Dammartin ont joué dans sa fondation. Pour les moines, c’est un moyen de renouer avec la tradition d’enterrement des Dammartin à l’intérieur du prieuré et ainsi, peut-être retrouver l’appui de cette famille.

L’enterrement de Renaud dans l’église de Saint-Leu nous est connu par un vidimus de septembre 1305 de deux chartes de Philippe de Boulogne et de Dammartin et de sa femme Mathilde, la fille de Renaud : « Rainaldi quondam comitis Boloniae, cujus corpus in ecclesia Sancti Lupi de Hescerento requiescit »34. Ils font une donation pour le salut de l’âme de Renaud. Cet acte ne doit pas émaner de la volonté de Philippe de Boulogne, vu le peu d’affection qu’il portait à son beau-père, mais de sa femme Mathilde, la fille de Renaud. Il s’agit d’un revenu en argent : « dedimus et concessimus in perpetuum eidem ecclesiae Sancti Lupi de Hescerento, decem libras parisienses capiendas singulis annis in redditibus nostris Domni Martini in festo Sancti Remigii. »35.

De la même façon, le frère de Renaud, Simon, comte de Ponthieu fait une donation au prieuré à son retour d’exil. Cette charte36 constitue la dernière intervention d’un Dammartin à Saint-Leu. Il s’agit d’une donation d’une rente de 10000 harengs à percevoir à chaque noël sur la vicomté de Rue. Il fait cette donation pour le salut de son âme, de ses parents, de ses ancêtres et de Renaud : « ob remedium animarum nostrarum, et patris et matris et antecessorum nostrorum et animae Renaldi, quondam comitis Boloniae »37. Il ne semble pas que cette donation constitue une volonté de la part de Simon de perpétuer la tradition familiale de donations au prieuré de Saint-Leu, mais plus la volonté d’honorer l’établissement qui a accepté d’enterrer Renaud de Dammartin et par conséquent les remercier de ce geste. En faisant cette donation, il cherche à perpétuer la mémoire de son frère.

Notes de bas de page

1 L’essentiel des informations sur cette branche provient de l’article déjà cité de Jean-Noël Mathieu et des informations qu’a bien voulu me confier Nicholas Vincent.

2 Ch. Johnson et H. A. Cronne, Regesta Regum Anglo-Normannorum, tome II, n° 1015a (1113).

3 The book of fees, commonly called « Testa de nevill », tome I, p. 138.

4 Cette succession est consignée dans le plus ancien rôle de l’échiquier anglais qui nous soit parvenu : J. Hunter, The great roll of the pipe for the 31st. year of king Henry I, Norfolk/Suffolk, p. 94.

5 La-Ferté-Alais, Essonne, ch.-l. cant.

6 Gallia Christiana, Tome X, Instrumenta ecclesiae Silvanectensis., col. 214.

7 Nous avons déjà abordé cette charte dans la partie consacrée à la disparition des Dammartin, nous y renvoyons le lecteur.

8 Achille Luchaire, Etudes sur les actes de Louis VII, n° 704. Cette acte nous apprend qu’à l’époque où le château de Dammartin était en possession du roi, il a donné à l’Hôtel-Dieu de Paris une grange entre Mitry et Mory. Au moment où Aubri entre en possession du comté, le roi dédommage l’Hôtel-Dieu en lui donnant la grange de Cognenpuit.

9 Bouquet, tome 18, p. 560.

10 Arch. dpt de l’Oise, H 249.

11 British Library, ms. Add. Charters 11233 (3).

12 Lillebonne, Seine-Maritime, ch.-l. cant.

13 British Library, ms. Add. Charters 1233 (1).

14 Boulogne-sur-Mer, Nord, ch.-l. cant.

15 Henri Malo, Un grand feudataire : Renaud de Dammartin et la coalition de Bouvines, pp. 70-72.

16 Péronne, Somme, ch.-l. cant.

17 Goulet, Orne, cant. Ecouché.

18 Peigné Delacourt, Cartulaire d’Ourscamps, p. 147 et p. 288.

19 Victor Leblond, Notes pour le nobiliaire du Beauvaisis, t. 1, p. 137.

20 Victor Leblond, op. cit., p. 138.

21 Müller, n°50.

22 Müller, n° 98. Müller se trompe dans le classement de cette charte qu’il date de 1202, il ne réussit pas à identifier le L. et R. Il semble, pourtant, logique d’y voir Lancelin et Renaud qui avait effectivement la charge du château ensemble.

23 Müller, n°82.

24 Müller, n°97.

25 Müller, n°100.

26 Müller, n°101.

27 Müller, n°90.

28 Ibid.

29 Gallia Christiana, Tome X, instrumenta ecclesiae Silvanectensis, col. 214.

30 BM Senlis, coll. Afforty 15, p. 254.

31 BNF : coll. de Picardie, vol. 313, n°6.

32 Müller, n° 103

33 Müller, n°111.

34 Müller, n°110.

35 Ibid.

36 Müller, n°112.

37 Ibid.

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