Les petites cases

#dhiha8 Interroger les débouchés pour penser l'enseignement du numérique en histoire/SHS

Quelques remarques rapides suite au billet d'Emilien Ruiz : #DHIHA8 Nous sommes à la croisée des chemins ! qui me vienennt autant de ma position d'intervenant dans différents masters que de celle d'ingénieur dans le monde numérique dans des organisations publiques ou privées. Emilien Ruiz pose la question de la formation au numérique pour les étudiants en histoire du point de vue de l'historiographie et de la méthodologie historique, en particulier la place de l'approche quantitative. Mais si on doit interroger les enseignements dans le domaine du numérique pour des étudiants en histoire et plus largement en SHS, il me semble qu'on ne peut faire l'économie de s'interroger sur les débouchés.

En effet, tous les étudiants ne deviennent pas chercheurs en histoire, loin s'en faut et il est alors de la responsabilité de l'université de se demander à quoi on prépare les étudiants ou au minimum d'établir des objectifs pédagogiques qui ne se limitent pas à la pratique de la recherche. Au moment où nous avons plus que jamais besoin de profils originaires de SHS dans le numérique, il est impératif de prendre en compte cet aspect pour diversifier les débouchés offerts à nos étudiants. Quels sont les objectifs pédagogiques ? Apporter une solide culture générale ? Aider un étudiant à mener sa recherche de master ou de thèse ? Former des futurs enseignants chercheurs ? Des enseignants du second degré ? Des ingénieurs pour l'ESR ? des ingénieurs en dehors de l'ESR ? des personnes aptes à exercer un métier en rapport avec le numérique ? des citoyens éclairés ? A chacun de ces objectifs correspond un ensemble de connaissances et/ou de compétences à apporter.

Il existe un socle commun obligatoire : maîtrise des outils du Web (en tant qu'utilisa(c)teur), de la recherche documentaire et outils associés et des outils "bureautiques". Ce socle pourrait être enseigné dès la licence et complété régulièrement. Il doit permettre à l'étudiant de mener à bien sa scolarité et n'importe quel type de recherche de niveau master voire même thèse si le sujet n'implique pas un usage avancé de l'outil informatique. Il pourrait être complété par une présentation de l'apport du numérique pour la recherche tant dans la transmission (édition électronique, archives ouvertes et gestion des données de la recherche) que dans la recherche elle-même.

Un second niveau pourrait être proposé au même titre que les sciences auxiliaires de l'histoire. Comme la paléographie, la diplomatique, la codicologie ou même le latin (ou que sais-je d'autres ?), il faut proposer un cours d'informatique pour permettre aux étudiants de mener leurs recherches dans des bonnes conditions et ce serait alors aux étudiants eux-mêmes d'évaluer le besoin ou non de suivre ce module. On pourrait y enseigner les statistiques avancées, les bases de données relationnelles, le traitement des données (des choses simples à l'aide d'outils comme Open Refine), les SIG, la base du traitement automatique des langues et de l'analyse des images (à travers, là aussi, des outils dans ces deux cas) et montrer les possibilités qui s'offrent aux étudiants s'ils commencent à programmer, sans forcément l'enseigner car ça prend beaucoup de temps pour le faire sérieusement.

Cette spécialisation pourrait justement constituer un troisième niveau. Mais, dans ce cas, l'objectif redevient une question principale : former un (futur) chercheur capable de programmer pour mener ses recherches OU offrir un débouché dans le numérique (dans ou en dehors de l'ESR) à un étudiant en SHS. Dans les deux cas, il faudra en passer par une offre de formation complète pour dresser un panorama substantiel. Mais, si, dans le premier cas, un fort accent devra être mis sur la programmation et un usage très poussé des statistiques (à prendre au sens large, machine/deep learning compris) à l'image de la maquette du master "Humanités numériques" de PSL, il n'en sera pas forcément de même dans le second. En effet, dans ce cas, les étudiants en SHS seront en concurrence avec des ingénieurs "classiques". Or, il ne sert à rien d'aller chasser sur les terres de ces formations qui forment en 3 à 4 ans des étudiants ayant déjà des profils scientifiques. Il faut plutôt insister sur ce qui fait la spécificité des SHS : analyse et compréhension de l'humain et des traces qu'il crée en leur donnant une solide culture du numérique. On se rapprochera alors plus des maquettes du master TNAH à l'Ecole nationale des chartes ou du master MIMO de Paris 1.

C'est d'autant plus important que, de par la multiplicité des formations correspondant à ce troisième niveau, l'offre va très rapidement dépasser la demande. La concurrence dont je parlais ci-dessus va devenir une réalité criante, sans parler du complexe d'infériorité ressenti (à tort bien souvent) par ces étudiants et de la méfiance naturelle des recruteurs vis-à-vis de profils originaux issues de formations dont ils ne comprennent pas l'intitulé "Humanités numériques". Ainsi, si je comprends l'interrogation de l'enseignement du numérique en histoire vis-à-vis de l'historiographie et de la méthodologie historique, il me semble qu'il est tout aussi important (si ce n'est plus, de mon point de vue) d'offrir aux étudiants d'autres débouchés. Or, la question et les réponses à apporter ne sont pas les mêmes dans un cas comme dans l'autre. Avec la montée en puissance de la donnée et du numérique dans les organisations, nous disposons d'une opportunité sans précédent pour offrir des débouchés d'avenir à nos étudiants et pour longtemps. L'informaticien généraliste capable de s'adapter à tous les cas de figure n'existe plus, il est en train d'être remplacé par différents spécialistes possédant des connaissances de base solide dans le fonctionnement et l'architecture d'un système d'information et l'organisation et la conduite d'un projet. Pour amener nos étudiants vers certains de ces profils spécialisés que ce soit dans la valorisation, la gestion ou le traitement des données, il est nécessaire de mieux prendre en compte la réalité du numérique et de ce qu'il représente dans les organisations. Il me semble donc essentiel de travailler ensemble universitaires et personnes issues des entreprises (au sens large) à l'élaboration de formations aptes à offrir aux étudiants en SHS des débouchés pérennes dans le monde du numérique. Si cela intéresse certain d'entre vous, j'ai initié un document sur les connaissances et compétences nécessaires, il est ouvert aux commentaires et je suis ouvert à toutes les discussions dans ce sens.

Management de l'information Système d'information Causeries Digital humanities