Les petites cases

Impressions sur le Sony reader

Après Marin, Christian, René Audet et certainement d’autres, il m’a semblé intéressant de partager avec vous mes impressions sur le Sony reader que j’utilise depuis un peu plus d’un mois et d’expliquer pourquoi il me donne entière satisfaction du point de vue de l’objet, de la vision qu’il porte du livre et de l’offre proposée.

L’objet

Cela fait plusieurs mois que je regarde les liseuses disponibles, motivé, entre autres, par l’excellent site Feedbooks, qui met à disposition, dans différents formats, des œuvres du domaine public ou proposées par les utilisateurs eux-mêmes. Après consultation des différents forums spécialisés, des différents retours d’expérience, mon choix se réduisait à deux produits : le PSR-505 de Sony et le Cybook de Booken. Le second constituait mon choix initial, présentant l’avantage d’être distribué en France et, pour cause, puisqu’il s’agit d’un produit français. Mais, le rachat par Amazon de la société Mobipocket et, par conséquent, du format PRC privilégié, jusqu’à maintenant, par Booken, l’annonce au cœur de l’été du support par Sony du format Epub et du système de DRM d’Adobe, choisi par de plus en plus d’éditeurs et de distributeurs, puis de son arrivée prochaine en France ont fait pencher la balance vers ce dernier et m’ont convaincu d’attendre un peu. Par ailleurs, je pensais naïvement que l’accord entre Sony, Hachette et la Fnac augurait d’une offre intéressante, mais j’y reviendrai.

Malgré mes différentes lectures préalables, deux choses m’ont surpris à la découverte du PSR-505 :

  • Sa taille, moins long et légèrement plus large qu’un livre de poche, mais d’une finesse impressionnante.
  • La netteté de l’écran et son confort visuel, la technologie de l’encre électronique offre un confort de lecture qui n’a absolument rien à voir avec nos écrans à cristaux liquides.

Ainsi, la fatigue visuelle est sans commune mesure. Avant mon achat, j’avais lu deux romans avec mon téléphone et je dois bien avouer qu’au bout d’une heure d’une lecture suivie, j’abandonnais.

Comme à son habitude, Sony propose un produit à la finition excellente. La prise en main est très aisée (il est proposé dans une housse en cuir), les boutons de navigation bien placés. Le menu de navigation est facile à utiliser, même si je m’inquiète un peu lorsque ma liseuse comprendra énormément d’ouvrages. Le lecteur MP3 est de très bonne qualité. Quant aux images, même en niveaux de gris, les photos disposent d’un rendu très correct pour emmener avec soi les photos de la famille… Ma seule réserve, de ce point de vue, concerne la batterie qui est loin d’atteindre l’autonomie annoncée, surtout si vous écoutez de la musique.

Concernant la lenteur, reproche fait régulièrement, elle dépend du format initial du fichier. Il est vrai que le feuilletage des fichiers au format RTF et PDF est plus lent qu’avec les fichiers au format BBeB Book (le format propriétaire de Sony et par défaut) ou au format Epub. Une petite conversion du fichier résout assez bien le problème. Par ailleurs, comme le dit Virginie Clayssen dans les commentaires du billet de Marin, « pour la tourne des pages, on s’habitue très vite à anticiper, c’est gênant, mais pas très longtemps ».

Sur le logiciel livré avec, je n’ai aucun avis, je ne l’ai jamais utilisé. J’ai immédiatement utilisé le logiciel libre Calibre, qui présente les mêmes fonctionnalités, tout en proposant un avantage de taille : la conversion de tous les formats de fichiers, ou presque. Je vous le recommande, c’est incontournable si vous voulez profiter pleinement de votre liseuse.

Pour conclure sur ce point, je n’ai pas grand chose à redire, il correspond pleinement à ce que j’avais pu lire et ce que j’en attendais.

La vision du livre véhiculée par le Sony reader

C’est sur ce point que se concentrent, essentiellement, à mon avis, les réflexions (charges ou, plutôt, cahier des charges pour reprendre les mots de Piottr) les plus intéressantes. Christian a résumé, mieux que je ne le ferais jamais, la vision du livre induit par le Sony reader en parlant de « flux » et de « cinématographisation » du texte. Pour sa part, Marin base son billet et ses reproches sur l’idée qu’il faut penser l’édition électronique/numérique en séparant le livre en tant que support et le livre en tant que porteur d’un texte. Je partage complètement ce point de vue. Je l’ai d’ailleurs soutenu dès 2002 dans une réponse à un texte de Christian Vandendorpe intitulé « La lecture au défi du virtuel » écrit à l’occasion du colloque « Les défis de la publication sur le Web » et, plus ou moins, dans une recherche que j’ai menée à la même période sur l’adaptation de la monographie historique à l’écriture hypertextuelle.

Pourtant, je me trompais sur un point dans la réponse citée précédemment ; erreur qui m’amène aujourd’hui à une conclusion différente de celle de Marin. Il ne faut pas mettre sur le même plan la dématérialisation du livre telle que nous la connaissons aujourd’hui, qui répond à certains besoins et usages et la construction de l’édition électronique sur le Web qui aspire à trouver de nouvelles formes de livres et qui dépassera sûrement le Web à un moment ou un autre (c’est d’ailleurs déjà le cas, quand on voit l’adaptation pour le papier de certains blogs). Or, cela m’amène à penser (et je ne suis pas le seul, si j’en crois les commentaires) que, dans son texte, Marin oublie deux points fondamentaux : les pratiques de lecture et les pratiques d’écriture.

Intéressons-nous au premier en repartant du concept de « contrat de lecture ». Ce concept a été forgé en 1999 par Christian Vandendorpe dans son essai Du papyrus à l’hypertexte. Un contrat de lecture, liant implicitement le lecteur à l’auteur, contient les modalités de lecture du texte proposé. Il dépend à la fois de la forme du texte, du support, de l’usage qu’en a le lecteur, de la position physique du lecteur... La particularité du Sony reader par rapport à ce contrat de lecture réside dans le fait que le support et le dispositif de lecture imposent le contrat de lecture, à savoir une lecture linéaire. Or, ce contrat de lecture est peu ou prou celui des œuvres littéraires (romans, poésies, théâtre) dans un contexte de lecture que certains qualifient de « passif » (je vous conseille de ce point de vue de lire le très beau commentaire de Virginie au billet de Christian).

Ce contrat de lecture correspond aux pratiques d’écriture liés à un support et un dispositif, le codex, issu d’une tradition qui a presque deux millénaires (à 200 ans près…). Or, ce point est fondamental si on cherche de nouvelles formes de livres adaptés aux potentialités du numérique. Il est, en effet, presque impossible d’adapter complètement au numérique un écrit pensé pour le codex, c'est-à-dire avec nos pratiques d’écriture actuelles (récit linéaire, argumentation construite…). C’est plus ou moins la conclusion à laquelle j’étais parvenu pour mes propres recherches.

Nous avions mené, il y a quelques années, à l’École nationale des chartes, une expérience de construction de monographie hypertextuelle ou numérique, qui correspondait peu ou prou à la description de Marin. Deux conclusions s’imposent à l’issue de cette expérience. D’une part, penser l’écriture et la construction d’un ouvrage différemment n’est pas simple, car il faut désapprendre et s’obliger à s’abstraire des repères issus d’habitudes ancrées dans notre apprentissage de la lecture et de l’écriture. D’autre part, il est clair que le meilleur dispositif pour consulter (lire est-il encore le bon terme dans ce cas ?) cet ouvrage était le navigateur Web, parce que nous avions pensé l’écriture et la structure par rapport à ce support ou dispositif. Alors, peut-on vraiment s’abstraire du dispositif pour penser le livre numérique ?

Le Sony reader PSR-505 propose donc un et un seul contrat de lecture (cf. la conclusion du billet de Christian de ce point de vue) : une lecture linéaire adaptée, essentiellement, aux œuvres littéraires. Or, cela correspond parfaitement à mon usage personnel. Lorsque j’ai besoin de lire des spécifications techniques, des standards, des journaux, des textes courts ou des hypertextes…, d’effectuer des recherches, de consulter des dictionnaires ou des encyclopédies, j’utilise un navigateur Web, c’est parfaitement adapté et cela me donne entière satisfaction. Mais, ce n’était pas le cas pour l’autre pan de ma pratique de lecture, à savoir la lecture de romans (littérature de genre de préférence) et pour lequel je n’ai absolument pas besoin d’annoter quoi que ce soit. Je ne me voyais pas emmener mon ordinateur portable dans mon lit ou l’ouvrir dans le métro. Par ailleurs, il me fallait toujours emmener plusieurs livres avec moi lorsque je partais en déplacement ou je finissais toujours dans une librairie pour me ravitailler. J’ai trouvé dans ma liseuse la solution à ce problème. D’autant que cela m’a ouvert une offre que je me refusais jusqu’à maintenant.

L’offre

Toutes les critiques qu’on peut lire à droite à gauche, et celles de Marin ne dérogent presque pas à la règle, se focalisent sur l’offre de la FNAC. Soyons clairs : elle est indigente, indigne d’une enseigne comme la FNAC et d’un grand éditeur comme Hachette. Mais, il ne faut pas oublier que ces deux acteurs ne sont pas des mécènes, mais des acteurs commerciaux et qu’un investissement se doit d’être rentable. On peut déplorer cette frilosité, je la déplore, mais c’est, malheureusement, la loi du marché. Pourtant, certains indices plus ou moins forts, plus ou moins pertinents (cf. le travail de Tite-Live avec Gallimard, l’initiative Publie.net, le rapport Patino ou l’expérimentation des éditeurs dans Gallica 2…) me font penser que cela changera à condition que le livre « dématérialisé » rencontre un public.

De plus, cette focalisation se limite à l’offre payante et commerciale. C’est oublier le travail de numérisation et de mise à disposition d’œuvres du domaine public qui a été accompli ces dernières années par nombre d’acteurs particuliers ou institutionnels. L’offre est pléthorique de ce point de vue, en forme d’inventaire à la Prévert : le projet Gutenberg, les classiques des sciences sociales, Ebooks libres et gratuits, manyBooks.net, Feedbooks, ABU ou encore Gallica 2 (si vous avez le courage de redimensionner les images ou de convertir les livres qui sont proposés au format HTML) et j'en oublie beaucoup d'autres.

Si cela ne vous suffit pas, vous pouvez vous rabattre sur l’offre mieux fournie de nos voisins britanniques : Penguin ou Waterstone. Et, si vraiment cela ne vous suffit toujours pas, il vous reste toujours les offres « illégales » (je ne vous donne pas de pointeurs, vous trouverez tout seul !) ou vous pouvez toujours scanner vous-mêmes, mais, autant, vous prévenir de suite, la dématérialisation d’un livre est loin d’être aussi simple que celle d'un CD…

Pour ma part, je suis très heureux de l’offre à ma disposition. J’ai toujours été gêné d’acheter une œuvre du domaine public disponible gratuitement sur le Web, mais que je ne pouvais pas exploiter. Je suis donc parti dans la lecture des classiques de la littérature de genre. Ainsi, après Maurice Leblanc, je viens de finir le Dracula de Bram Stoker, avant d’enchaîner, certainement, avec du H.G. Wells et du Jules Verne ; des livres que je n’aurais peut-être jamais lus sans cette opportunité, et peut-être même que cela m’amènera à lire certains classiques de la littérature française comme Proust… Qui sait ?

Causeries Édition électronique — 

Commentaires

en accord avec l'approche... pour ce qui est des classiques, de notre côté (publie.net), c'est le même temps de boulot que pour un texte contemporain : oui, il s'agit d'édition, correction, césures, préparation des formats - avec quand même au bout un objet plus agréable à lire - quand il s'agit de la mer de Michelet, c'est des dizaines d'heures derrière, d'où le fait qu'on s'estime en droit de demander petite compensation téléchargement ?
L'édition de la Recherche du temps perdu que tu donnes en lien est vraiment très bien.
Merci pour ce retour d'utilisation! ca me conforte encore dans mon envie d'investir dans une liseuse car je rencontre aussi souvent le problème de devoir emporter plusieurs livres avec moi sous peine de me retrouver sans plus rien à lire...
En parlant de repenser l'acte d'écriture, que pensez-vous de l'initiative La Poule ou l’Œuf ( http://www.lescomplexes.com/pouleoeuf/ ) ? Cf par exemple : http://www.lescomplexes.com/v1.1/collections/col_pouloeuf1_1/pouloeuf/ch...
"des livres que je n’aurais peut-être jamais lus" : bien d'accord et dans le contexte Bibliothèques, j'ajouterais "des livres que je n'aurais jamais empruntés"; merci pour cet éclairage que je vais approfondir
Je partage tout à fait votre analyse ; Même si le blog est fermé depuis plus d'un mois, je continue à beaucoup apprécier mes deux lecteurs, Sonyreader et Cybook. La seule réserve sur le Cybook est que j'ai une peur bleue de le faire tomber par terre... Offre indigente du côté de la Fnac, on est encore encore loin de l'effet d'annonce du mois de septembre, 59 livres de poche la semaine dernière, 6 de plus cette semaine, à ce rythme-là, on aura la collection complète en 2050... Repéré un diffuseur intelligent, Atheles http://atheles.org/index.html qui va dans le bon sens (50% de la version papier), Je suis en train de lire l'un des ouvrages proposés. à espérer que l'offre d'éditeurs se développe. A signaler en tous cas toutes les initiatives qui vont dans ce sens...

@Aldus, @Mercure, @Anais : Merci à vous ! Sans tomber dans le discours marketing, il me semblait important d'expliquer pourquoi cette liseuse me donnait satisfaction.

@FB : honoré par votre passage. Concernant le paiement des livres du domaine public, dans la mesure où le travail que vous faites constitue un vrai travail de réédition, cela ne me pose pas de problèmes de payer une "compensation" (au passage, votre édition des Fleurs du mal est absolument magnifique !) et c'est pourquoi je continue/erai d'acheter des Pleïades. Mais, le travail des éditeurs (au sens "publisher") est souvent loin d'être un travail de réédition lorsqu'il publie un livre du domaine public...

@Anonyme : je ne connaissais pas, il faudra que je regarde cela. Merci pour la référence.

j'ai acheté le Ereader Sony uniquement pour lire les livres proposés par Gallica. Il y a, disponibles, une foule de livres que je n'ai jamais pu lire, faute de temps. Il a fallu tatônner pour pouvoir les lire mais maintenant, je suis à peu près satisfait. Pour supprimer les marges si gênantes de leurs fichiers pdf, j'utilise PDFill PDF tools, qui est gratuit et qui permet entre autres de couper des pages et de supprmer les marges. Auparavent je lisais les fichier Gallica sur mon Palm, mais avec beaucoup de fatigue visuelle. La solution Sony me convient très bien, et je peux lire 2 à 3 heures d'affilé, mes meilleurs bouquins anciens. En ce qui concerne la FNAC, je dois vous avouer que je trouve surprenante leur approche commerciale: le PRS est souvent présenté dans un coin, personne ne sait le faire fonctionner et il a fallu que je démonte l'appareil de présentation (à l'insu de tous les vendeurs!) pour essayer un fichier pdf de Gallica sur une carte SD. On pourrait penser qu'ils préfère ne pas le vendre! Amicalement.