Les petites cases

Conclusion

Dans le contexte de l’implantation clunisienne au nord de l’Ile-de-France et de la réforme grégorienne, le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent est fondé en 1081 par Hugues de Dammartin accompagné de Guy, évêque de Beauvais. Son implantation géographique dans le sud du diocèse sur les bords de l’Oise lui donne une position stratégique et économique non négligeable. Importante famille d’Ile-de-France et proche du roi, les Dammartin conçoivent cette fondation dans une stratégie de contrôle de la région. Par l’intermédiaire des moines, les Dammartin consolident leurs possessions dans le territoire d’Hescerent et gardent la main sur celles de leurs vassaux, tout en acquérant un prestige familial non négligeable. Du point de vue religieux, le prieuré de Saint-Leu représente alors une sorte de nécropole familiale. Mais, les moines doivent faire face rapidement aux autres aristocrates de la région pour défendre leurs terres, alors que la famille de Dammartin confrontée aux rois de France connaît de nombreux problèmes qui entraînent sa chute temporaire.

Malgré tout, les bases de l’établissement sont posées et les moines, à partir de 1120, commencent à augmenter, organiser et structurer leurs possessions, tout en assurant leur place dans la société. Incitées par l’appartenance à Cluny, les nombreuses donations leur permettent, non seulement, d’accroître leurs biens matériels et, aussi, de mettre en place un lien privilégié avec les aristocrates de la région et les petits aristocrates du terroir d’Hescerent, motivés par les biens spirituels offerts par les moines et le prestige que représentent les donations. Les moines doivent assurer la position de seigneurs que leur donnent les terres et les droits qu’ils possèdent. Pour cela, ils doivent s’imposer sur leur terroir, en utilisant les moyens à leur disposition : leur influence spirituelle et les protections dont ils bénéficient. Leur trésorerie leur permet de démarrer des travaux d’envergure et de commencer la construction d’une église aux dimensions d’une cathédrale. La monumentalisation de l’espace ecclésial entre dans un programme d’encadrement de la population d’Hescerent et de démonstration de leur pouvoir seigneurial. De plus, la pérennité économique et sociale du prieuré est assurée par les services spirituels offerts par les moines à la société : prières pour les morts et célébration d’anniversaires qui permettent l’intercession auprès de Dieu par l’intermédiaire de saint Pierre, saint Paul et saint Leu, sépulture à l’intérieur du prieuré, conversion monastique d’aristocrates, appartenance à la societas des moines et mise en place d’un pèlerinage.

Partie intégrante des jeux seigneuriaux du nord de l’Ile-de-France, le prieuré se trouve en butte aux attaques et remises en cause de leurs pouvoirs et de leurs possessions par des petits aristocrates. A partir de 1150, ils doivent aussi prendre en compte l’ascension d’une famille dans le Beauvaisis : les Clermont, donateurs du prieuré pendant la première moitié du siècle. Les moines voient rapidement dans cette famille de nouveaux protecteurs, et les Clermont acquièrent ainsi une assise dans le sud de la région aux frontières du domaine royal. L’acte de 1176 scelle le lien entre les Clermont et les moines, permet au prieuré de disposer d’une protection armée et d’un instrument de contrôle social et, aux Clermont de maîtriser une place stratégique dans la surveillance de l’Oise, au sud de leur château de Creil. Mais le début du XIIIe siècle voit un changement dans les influences seigneuriales au nord de l’Ile-de-France. La fondation de nouveaux établissements ecclésiastiques et l’essoufflement du mouvement clunisien a pour conséquence la baisse de l’intérêt des grandes familles pour Saint-Leu. Le retour des Dammartin aux affaires par l’intermédiaire d’Aubri II et surtout de Renaud de Dammartin n’y fait rien, au contraire elle est la preuve de la perte d’influence du prieuré. Les dernières rapports entre les Dammartin et le prieuré ont lieu au moment de l’enterrement à Saint-Leu de Renaud de Dammartin, mort en captivité après sa défaite à Bouvines. Au début du XIIIe siècle, coincé entre l’influence royale qui s’est étendue jusqu’aux terres du prieuré et la mise en place de l’ordre de Cluny, le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent voit sa splendeur baisser au seul profit de son rôle religieux, lui-même remis en cause par les nouveaux mouvements : cisterciens, puis moines mendiants. Le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent résiste tout de même assez longtemps à la crise que traversent les autres prieurés clunisiens, puisque sa première dette ne date que des années 1318.

Cette étude a permis de mettre en avant la place d’un prieuré dans la société rurale du nord de l’Ile-de-France au XIIe siècle. Malgré tout, elle n’a permis pas permis de mettre en lumière tous les aspects de l’étude des prieurés et de leur implantation dans leur terroir. Il faudrait pour cela faire une étude exhaustive de l’ensemble des établissements ecclésiastiques de la région pour confronter les différentes possessions et ainsi voir le rôle joué par la concurrence entre eux et ses implications. D’autre part, cette étude s’arrête sur le XIIe siècle qui correspond à la mise en place et la grandeur de Saint-Leu-d’Esserent. Pourtant, il reste beaucoup d’interrogations sur ce prieuré : son rôle dans la guerre de Cent ans et dans le démarrage de la Jacquerie à Saint-Leu-d’Esserent en 1358, comment il affronte les problèmes de l’ordre de Cluny au cours du XIIIe et du XIVe siècle. Cette étude n’est donc qu’une modeste contribution à la connaissance des prieurés clunisiens et de leur fonctionnement, mais aussi à l’histoire du Beauvaisis, du nord de l’Ile-de-France et du village de Saint-Leu-d’Esserent.

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