Les petites cases

Les signes du changement : l'apport du Web

Je vous rassure, ce n'est pas de politique dont je voudrais vous entretenir, mais, dans la continuité de mes précédents billets, de l'avenir des systèmes d'information. Dans un commentaire sur un précédent billet, Emmanuel Barthe doute de la réalité de la mise en oeuvre d'une logique informationnelle. Il est clair que la vision que j'expose va à l'encontre même des méthodes de conception actuelles. Pour autant, comme je le disais dans ma réponse au commentaire, de nombreux signes me laissent penser que ce changement est possible, et je dirais même souhaitable. A travers l'analyse des apports du Web, étudions une première série de changements. Si on considère que le Web a complètement changé la donne de l'informatique, a renouvelé en profondeur les modèles économiques, les usages de l'outil informatique, les acteurs du marché et qu'on assiste aujourd'hui, à une vague comparable à celle qui a vu la montée en puissance de Microsoft et de la micro-informatique dans les années 80, il serait complètement inique d'en nier les apports dans la construction des systèmes d'information actuels.

Peu à peu, en plaçant la communication et l'échange d'informations au centre des préoccupations, le Web, dont la vocation initiale était de simplifier l'accès aux documents des chercheurs du CERN, a transformé l'outil informatique d'un système permettant (soi-disant) l'automatisation des tâches à un média de communication. La nuance n'est pas mince et induit un changement au sein même des buts poursuivis par un système d'information. La montée en puissance de Google, au point même de détrôner Microsoft comme marque la plus puissante au monde, qui a su comprendre le fonctionnement intrinsèque de ce nouveau média est le symbole de ces changements. Microsoft a basé sa stratégie sur le système d'exploitation, ne voyant pas le bouleversement qui se profilait et les derniers mois ont montré les remous que cela a provoqué au sein de la société, jusqu'aux rumeurs régulières de mariage avec Yahoo! et le changement de stratégies avec le programme Windows Live.

En tant que média de communication, le Web (et le P2P dont il faudrait ici étudier le rôle) a consacré le libre accès à l'information et, ainsi, permis l'émergence de "l'utilisacteur", la relation homme-machine étant peu à peu remplacé par la relation naturelle homme-homme via la machine. Dans cet éco-système, la publicité constitue le modèle économique dominant, mais pas unique, puisqu'il est aussi complété par la vente de services, au point que l'application elle-même est devenu un service (j'y reviendrai). De plus, à la différence des applications traditionnels, les applications en ligne offrant un feedback direct à l'éditeur par l'analyse des logs (c'est bien ce "qu'achète" Google à ces utilisateurs du feedback, je dirais même du marketing direct), les cycles d'évolution sont devenus très rapides, voire l'évolution constante ce qui est mis en lumière par la profusion des versions dites "bêta", marques de fabrique du Web 2.0.

La prise en compte des normes et des standards dans le développement d'applications informatiques constitue un autre facteur de changement apporté par le Web, et il est de taille. Certes, cela existait auparavant, certes, le combat n'est pas complètement gagné, mais le Web a été un profond catalyseur. Le fait que il ait été conçu comme une plate-forme indépendante des systèmes d'exploitation et des terminaux utilisés, a obligé à travailler dans cet environnement de standards. En proposant des normes indépendantes des langages, des logiciels, des applications, il a ouvert la voie à une véritable interopérabilité. J'en veux pour preuve l'acharnement que met aujourd'hui Microsoft à vouloir standardiser OpenXML à l'ECMA et à l'ISO, l'implication de sociétés comme IBM, Sun ou le même microsoft pour SOAP ou d'Oracle pour Xquery. D'une façon générale, il suffit de voir comment XML est en train de se diffuser à tous les niveaux de l'informatique : logiciel bureautique (OpenXML et Open Document), Interface graphique (XAML, XUL), PAO (Xpress et InDesign proposent des exports XML), dessin vectoriel (SVG)... En 2003, Charles Abrams, directeur de recherche de la Gartner prédisait : « L'impact du XML sur nos processus métier se fera sentir par vagues au cours des 20 prochaines années. Ignorer le XML aujourd'hui serait comme avoir ignoré le web en 1993 ou le modèle client/serveur en 1989 ». Prédiction renforcée par les chiffres prévues par la Gartner et consacrées à des activités de modélisation XML : plus de 3 milliards de dollars entre 2001 et 2004.

Pour finir avec ces quelques points, je vous propose cette extrait du livre le Prix de la confiance de Martin Roulleaux Dugage, responsable des activités de gestion de la connaissance chez Schneider, qui conclut ainsi son analyse des pratiques actuelles du Web et de leurs implications pour les systèmes d'information :

« Une minorité de directions informatiques de grandes organisations, conscientes de ce qui est train de se passer, commencent à se détacher des grands systèmes d’information monolithiques d'entreprise pour s'intéresser de près aux standards d'interopérabilité permettant aux contenus de circuler librement entre différents systèmes locaux, voire personnels (blogs). Mais elles ont aujourd’hui pour mission de choisir et imposer des outils et non des interfaces standards pour toute l'entreprise. La logique est classiquement industrielle: les outils s'achètent et sont mis en oeuvre par des équipes dédiées. Il leur est donc associé un budget et des ressources. Ce n'est pas le cas pour les interfaces, dont le choix signe un accord d’alliance, mais qui n'ont aucune existence comptable »

Il me semble que tout est dit ou presque de la nécessité de changement aux barrières existantes...

Management de l'information XML Système d'information Web Causeries — 

Commentaires

La relation homme-machine étant peu à peu remplacé par la relation naturelle homme-homme via la machine.

Cette petite phrase me semble essentielle pour expliquer pourquoi le e-learning n'a pas connu jusqu'à ce jour un développement comme il le mérite. En effet apprendre est une tâche éminemment humaine, car il y a autant de processus d'apprendre qu'il y a de personnes sur cette terre. Apprendre et enseigner a à faire avec des processus complexes, nécessitant le recours à pleines de nuances. Ceux qui ont cru que l'apprendre puisse se faire dans une relation homme - machine ont été déçu des résultats.

Dernièrement on m'a encore confirmé qu'une grande entreprise multinationale a mis plus de 5000 cours à la libre et gratuite disposition du personnel et des cadres, avec accès à un parc de machines équipé de moyens multimédias de haute qualité et ceci durant les heures de travail et seul une dizaine sur un effectif de plus de 2000 cadres et 20000 collaborateurs se sont connecté en une année occasionnellement sur ces ressources de formation, souvent de très grande qualité.

L'échec est attribué à cette relation homme - machine qui est insuffisante pour toute activité d'apprendre.

Faut-il condamner alors le e-learning? Certainement pas, mais il faut remplacer la relation homme - machine par une relation homme-machine-homme. Nous devons apprendre que derrière notre ordinateur il y des êtres humains, des hommes et des femmes qui veulent apprendre, des hommes et des femmes qui veulent enseigner. Croire qu'apprendre peut se réaliser de manière mécanique, dans une relation homme machine démontre une profonde méconaissance des processus d'acquisition de savoir et de connaissances.

Le e-learning s'il mute dans une relation homme-homme en recourant à l'aide de la machine a encore de belles perspectives, car il y des avantages non négligeables, comme pas besoin de salle de classes et de groupes, pas besoin de se déplacer physiquement, plus de flexibilité pour recevoir les explications, transmission de savoir et savoir-faire, etc. Mais l'apprendre doit se réaliser à l'intérieur d'une "communauté humaine", une classe, un groupe et se dérouler de manière structurée, coordonnée.
En conclusion nous devons nous rendre compte qu'il n'existe pas un e-apprendre seulement un apprendre, mais qui ne condamne pas l'utilisation intelligente de la machine dans une relation Homme-Homme.