Les petites cases

La philologie numérique existe-t-elle ?

J'ai eu la chance de participer la semaine dernière à un « séminaire international » sur l'édition critique numérique intitulé « Digital philology and medieval texts » qui avait lieu à Arezzo en Toscane. Si ce genre de rencontres ne sert malheureusement pas souvent à grand chose, il n'en était rien pour celle-ci.

En dehors du colloque en lui-même sur lequel je vais revenir, ce voyage m'a permis de visiter à nouveau la superbe ville de Florence ou Firenze, comme disent les Italiens. Que dire ? Vous avez l'impression de plonger dans l'Italie de la Renaissance, vous vous arrêtez devant les orfèvres qui jalonnent encore le Ponte Vecchio et vous admirez le Duomo, cette magnifique cathédrale dont je ne connais aucun équivalent (ça nous change de l'art roman ou gothique français, même si j'aime beaucoup). Enfin, vous pouvez admirer les tableaux de la Galerie des Offices ou Galleria degli Uffizi (un petit conseil : essayez d'y aller très tôt le matin. A 8h30, la horde de touristes n'est pas encore arrivée et vous êtes seuls ou presque dans le musée, l'extase !!) : des Botticelli, des Giotto, des Caravage, des Vinci, des Titien, des Tintoret, des Michel-Ange, des Raphaël... Bref, tout ce que l'Italie de la Renaissance compte comme peintres sont aux Offices. Je vous conseille entre autres la naissance de Vénus de Botticelli, mon préféré. Mais, je n'étais pas en Italie pour faire du tourisme et il est temps maintenant de rentrer dans le vif du sujet.

Un des grands avantages de cette rencontre était de rassembler la majeure partie des acteurs de l'édition critique au format numérique en Europe : Italiens, Anglais, Allemands et Français (enfin, un français ;-) ). Au-delà des langues et des nationalités, on pouvait ressentir une passion commune qui unissait l'ensemble des participants. Si je fais un rapide bilan des deux journées auxquelles j'ai assisté, plusieurs points se dégagent :

  1. Il existe de plus en plus d'initiatives en Europe comme le prouvent les différents projets listés sur le programme du colloque ;

  2. Des procédures de travail et des standards commencent à se dégager, en particulier un consensus autour de l'utilisation de TEI ;

  3. Des outils de production et de visualisation commencent à devenir réellement exploitables ;

  4. Une collaboration étroite entre les institutions de conservation et les chercheurs s'avèrent de plus en plus essentielle ;

  5. Il reste encore beaucoup de travail pour impliquer les chercheurs dans le processus de production des fichiers structurés en XML. Cela permettrait d'avancer dans la mise en place de nouvelles méthodes et perspectives de recherche en philologie dont l'absence semble être regrettée par les chercheurs.

Je reviendrai dans un prochain billet sur ce point qui me semble essentiel. Malgré tout, deux changements démontrées par presque tous les projets sont à noter pour la philologie et l'ecdotique (les techniques de l'édition critique) avec le support numérique :

  1. La possibilité d'offrir différentes versions de l'édition, en particulier une édition critique et une édition imitative ou diplomatique du même texte permet la fin du débat entre les tenants des deux positions. Cela avait été annoncé, en particulier par Olivier Guyotjeannin et Françoise Vielliard dans leur manuel d'édition critique1, mais c'est maintenant une réalité ; j'y reviendrai dans les prochains mois (oui ! c'est du teasing ;-) ) ;

  2. Contrairement aux pratiques habituelles des philologues qui recherchaient l'édition du Texte originel à partir de la collation des différents manuscrits ce qui revenaient à une reconstruction, le support numérique permet d'afficher et d'encoder facilement le texte des différents témoins à l'image de la Versionning machine, outil mis au point par l'université du Maryland et donc remet en cause la pratique courante.

Parmi tout cela, je retiendrai plus particulièrement :

  1. Peter Robinson et Patrick Sahle, les deux maîtres à penser de l'édition critique numérique dont je vous recommande la lecture des articles : « Current issues in making digital editions of medieval texts—or, do electronic scholarly editions have a future? », « Where we are with electronic scholarly editions, and where wa want to be », « Digital Archive' and 'Digital Edition' - Some Remarks on Changing Notions ».

  2. Les projets menés par le Centre for Computing in the Humanities du King's college of London : Anglo-Saxon charters, Henry III fine rolls project et Prosopography of Anglo-Saxon England et comme Paul Spence qui coordone ses actions et Ariana Cuila qui y participe sont très sympas et ont la même vision des choses que nous, quelque chose me dit que je vais aller faire un petit tour à Londres dans les mois qui viennent (oui, je continue avec le teasing !!)

  3. Les outils EPPT et classical text editor pour encoder des textes en TEI avec des interfaces à peu près compréhensibles pour les chercheurs sont à surveiller de près, ainsi que la versionning machine à laquelle j'ai déjà fait allusion plus haut.

  4. Je noterai aussi l'intense activités de la communauté des épigraphistes italiens qui, si j'ai bien tout compris, emmène le CESCM dans leurs sillages

  5. les bases de données de repérage de manuscrits menés par le SISMEL qui devraient bientôt être accessible en ligne.

Comme vous le voyez, ces deux journées (je n'ai pas pu assister à la troisième journée) étaient bien remplies. J'espère qu'il en sera de même à Rome à la fin du mois de mars (vous reprendez bien encore un peu de teasing ! oui, je sais, c'est mal !).

Quelques notes en passant

1 Vous noterez au passage comment se fait rebaptiser Olivier Guyotjeannin par Amazon : Jeannine Guyot, je pense qu'il en a vu beaucoup, mais celle-ci est exceptionnelle ;-)

Causeries Digital humanities Édition critique Édition électronique Histoire TEI —