Depuis quelques semaines, j'accumule les ressources concernant l'avenir de l'édition traditionnelle dans le monde du numérique. L'idée de m'intéresser à ce sujet m'est venue suite à ma visite au salon du livre de cette année et à une discussion avec Piottr. J'ai eu l'impression en parcourant les couloirs du salon de revoir encore et toujours les mêmes choses qu'il y a une dizaine d'années lors de mon premier salon du livre, de voir une profession, un marché économique qui refusent l'innovation ou du moins qui ne la prend pas encore totalement en compte. J'ai eu le sentiment que le marché du livre était en train de vivre ces dernières heures de calme avant la tempête et que peu de professionnels avaient pleinement conscience de cet avenir incertain et des défis qui l'attendent.
Pour faire une analogie, j'imagine tout à fait le MIDEM à Cannes, le grand marché de la musique, au début des années 2000 se passer dans la même ambiance et de la même façon. Alors que Google et les fabricants de scanners devenaient les vrais stars du salon à l'image de Napster et des autres systèmes de P2P, les éditeurs à l'image des majors nous proposaient leurs produits, de qualité certes, mais sans réelles innovations, sans inventivité, bref sans préparer l'avenir. Peu de temps après, Piottr m'a confirmé cette impression ce qui m'a encouragé à poursuivre la réflexion.
Au moment de l'émergence d'Internet et du Web, peu de gens avaient imaginé que le premier marché à subir de plein fouet une crise serait celui de la musique. On imaginait volontiers ces problèmes dans le marché du livre. Certains prédisaient même la mort du livre voire même l'assassinat de certaines formes d'édition. A cet égard, je cite régulièrement un article de Livres Hebdo paru en 1999 suite à la parution de l'article de Robert Darnton, « the new age of the book » qui titrait « Les sciences humaines tuées net »1. De même, on se rappellera le Village e-book du salon du livre 2000 dans lequel étaient présentées en grande pompe les appareils de lecture qui allaient révolutionner le livre : les Cybook ou le rocket E-book ou les maisons d'édition en ligne comme le pionnier 00h00.com. Pourtant, force est de constater que ces expériences se sont révélées des échecs.
Est-ce ce qui explique aujourd'hui la frilosité des industriels, des éditeurs, mais aussi en grande partie des lecteurs ? A n'en pas douter, ces quelques années ont certainement été traumatisantes. A l'heure du changement que nous vivons, il est, à mon avis, intéressant de s'arrêter sur ces questions en analysant les raisons de l'échec et d'une certaine forme de peur persistante des éditeurs commerciaux. De la même façon, il faut s'arrêter sur le cas de l'édition scientifique pour lequel la situation est complètement différente. Dans ce marché, les acteurs privés et publics ont joué un jeu et ont osé ce qui leur a permis de prendre quelques années d'avance. Est-ce-que cela sera suffisant ? Comment continuer ces efforts ? Est-ce-que le secteur public pourra garder la main sur le processus d'édition et de publication électronique ? Enfin, l'annonce de Google, il y a un an, avec son projet Google Book a complètement changé la donne et pose maintenant de nouvelles questions. De quelle manière la situation a évolué ? Comment un acteur a-priori extérieur au monde du livre a t-il pu jouer un rôle majeur ? Que nous préparent les acteurs de ce futur marché : Sony, Amazon et Google ? Que peuvent faire les éditeurs traditionnelles ?
Autant de questions qui feront l'objet de trois billets dans lesquels j'essayerai de dresser un tableau, de répondre aux questions de façon forcément subjective et forcément partiale, mais j'espère que cela fera avancer la réflexion sur cette question qui pour beaucoup d'entre nous est essentielle : Quel est l'avenir du livre ?
Quelques notes en passant
1 Daniel Garcia, « ‘L’affaire’ Darnton, les sciences humaines tuées Net ? », Livres hebdo, n°331, 2 avril 1999 et Daniel Garcia, « Les thèses provocantes de Robert Darnton », Livres hebdo, n°331, 2 avril 1999.