Les petites cases

Google et les éditeurs français : l'effet boomerang

Il fallait s'y attendre, les éditeurs français n'allaient certainement pas laisser Google mettre en ligne leurs productions sans réagir. La seule question qui pouvait subsister était de savoir quel groupe allait lancer l'offensive en premier. Ironie du sort, le grand gagnant est l'éditeur au logo représentant un loup, l'avaleur du Seuil, j'ai nommé la Martinière. Toute le monde en parle évidemment : Libération, France 2 et les autres ;-) Et, voilà une nouvelle pièce à ajouter à mon dossier sur les rapports entre l'édition traditionnelle et le numérique.

Pour replacer très rapidement et de façon caricaturale, cette modeste maison d'édition menée par Hervé de la Martinière a fait fortune grâce à des ouvrages d'art, en particulier les recueils de photographies de son ami, Yann Arthus-Bertrand. Quelques rachats plus tard, Hervé de la Martinière se payait la prestigieuse maison du Seuil et transformait sa modeste maison en holding de l'édition. Tout ça pour dire que cette action juridique ne vient pas de n'importe quel éditeur, la Martinière est un peu « une success story à la Google de l'édition française » si vous me permettez l'expression. Je vous laisse vous faire votre propre avis sur la stratégie de la Martinière à lancer cette action juridique : protéger honnêtement les productions de ses auteurs ou ses propres intérêts financiers ?

En fait, j'ai une confidence à vous faire en lien direct avec cette annonce. La semaine dernière, j'étais invité par John Lewis Needham, responsable du développement stratégique chez Google, à une rencontre chez Google France à l'occasion de la venue en France de Anurag Acharya, l'ingénieur et créateur du service Google Scholar, et Jens Dustin Redmer, directeur du service Google Recherche de Livres en Europe. Je vous rassure, je ne suis pas devenu un happy few>, il s'avère juste que je suis dans les bases de données de Google sur ce genre de sujets depuis que j'ai assisté l'an dernier à un séminaire qu'ils organisaient. Je pense que nous sommes nombreux à avoir reçu cette invitation.

Je me suis donc retrouvé au siège français de Google, avec, excusez du peu, vue imprenable sur la place de l'Opéra Garnier, au milieu d'une vingtaine de personnes issues de l'information scientifique ou du monde de l'édition. Au cours de cette rencontre, une personne a demandé devant moi à John Needham si Google avait pris des dispositions pour éviter les attaques juridiques. Évidemment, il a répondu qu'elles avaient été prises pour les différentes conceptions du droit d'auteur en France et aux États-Unis et que Google respectait tout à fait le droit d'auteur, en nous rappelant les précautions prises. Mais, il a éludé rapidement la question en regrettant le fait que les éditeurs français étaient les plus frileux par rapport à leur projet et qu'il ne comprenait pas la psychologie française. Il a aussi regretté le fait que les Français se cachent toujours derrière l'exception culturelle. Il nous a alors récité le discours habituel de Google qui se met aux services des éditeurs et de toute la communauté.

Je dois avouer que je trouve John Needham et une bonne partie de Google tout à fait sincère et honnête et leur discours très séducteur. Malgré tout, vous ne m'enlèverez pas de l'esprit que Google a été un peu léger dans cette affaire et le fait que cette question soit en quelque sorte éludée par Needham le confirme, à mon avis, un peu (restons prudent), préférant se défendre derrière leurs attitudes altruistes plutôt que sur les problèmes stricts de droit. De plus, deux autres problèmes se posent. Si Google obtient gain de cause ce que la justice française tranchera, comment justifier le fait que la BnF a fait machine arrière pour les mêmes raisons au début de Gallica, il y a quelques années ? Est-ce-que cette décision fera alors jurisprudence ? Enfin, comme d'habitude avec Google, ce n'est pas Brin, Page ou la direction actuelle de Google qui m'inquiète, mais le fait qu'une société cotée en bourse puisse faire ce qu'elle souhaite avec, je cite, « l'information du monde ». Qui nous garantit que la stratégie qui a animé Google, le fameux « Do no evil », jusqu'à maintenant ne changera pas demain ? Oui, je sais que la capitalisation de Google est faite de telle manière que Brin et Page ne peuvent pas être débarqués aussi facilement, mais vous ne me retirez pas cette appréhension de l'esprit.

Finalement, ça doit être cela la psychologie française que John Needham ne comprend pas : c'est trop beau pour être vrai, ça cache forcément quelque chose ;-) Pendant ce temps-là, Google, serein, annonçait la mise à disposition de son dernier joujou : un tableur en ligne.

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