Les petites cases

Une communauté des digital humanities est née

Cette semaine avait lieu le ThatCamp à Paris. Derrière ce nom un peu mystérieux (en réalité, acronyme de « The Humanities and Technology Camp) se cache une non-conférence sur le modèle du barcamp dédiée aux Digital Humanities, « transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des Sciences humaines et sociales » (définition issue du Manifeste, cf. plus loin) et auxquelles j'ai fait allusion à plusieurs reprises sur ce blog.

Elle constituait une occasion de revoir plein d'amis, anciens collègues, anciens camarades de jeux et connaissances numériques/virtuels dans un cadre de discussions ouvert sur des sujets variés. Et, je ne fus pas déçu, car ce rassemblement a marqué le véritable acte de « naissance » d'une communauté des digital humanities en France. Naissance actée par un Manifeste rédigé tout au long des deux jours d'ateliers et discuté par tous lors de la session finale. Ce manifeste assoit et légitime l'existence de cette communauté et affirme l'importance des digital humanities dans l'Enseignement supérieur et la Recherche, de manière plus large comme une opportunité professionnelle dans tous les secteurs (et j'en sais quelque chose) et son rôle dans l'apprentissage du savoir au XXIe siècle.

Vous êtes d'ailleurs cordialement invités à signer ce manifeste, si vous vous reconnaissez dans cette communauté et dans les objectifs qu'elle s'est fixés.

A cette occasion, j'ai animé un atelier intitulé « L'archivage numérique à long terme, défis et solutions » (intitulé dont je n'assume évidemment pas la paternité ;-) ). Il est toujours difficile mais intéressant de sortir la tête du guidon après avoir été plongé dans les tréfonds d'un sujet sur une longue période. En effet, il n'était pas ici question de rentrer dans les arcanes techniques, ni même dans les débats d'experts relatifs à cette question, mais plutôt de poser les bases d'une réflexion stratégique sur le sujet de la gestion à long terme de l'information numérique. C'est pourquoi j'avais pris le parti d'organiser l'atelier en 5 questions :

  • Quel contenu produit ou utilisé est concerné par cette problématique pour lequel nous devons être attentif ?
  • Pourquoi ? Quels sont les objectifs ? Quels sont les risques ?
  • Quelles sont les personnes impliquées par cette problématique ? Quels sont leurs rôles et leurs responsabilités ?
  • Comment répondre à cette problématique ? des outils ? des bonnes pratiques ? les métadonnées ?

De mon point de vue, ces différentes questions qui peuvent paraître triviales constituent pour une organisation les bases de toutes réflexions sur la gestion de l'information numérique sur le long terme. Les réponses doivent être les fondements de la stratégie qui y sera mise en place. La discussion de ces questions lors de l'atelier donne d'ailleurs une bonne idée des besoins et idées de la communauté des sciences Humaines et Sociales dans ce domaine.

Les préoccupations des personnes présentes à l'atelier tournent autour de deux aspects :

  • l'archivage/préservation des informations numériques issues de leurs travaux : dépouillement des sources (métasources), bases de données et archives diverses (dixit les « cimetières d'éléphant » des laboratoires), la production scientifique, les résultats de conférences ou de séminaires ;
  • l'archivage/préservation des informations qui leur servent de sources, soit numérisées, soit nativement numériques.

Par ailleurs, même si ce n'est guère étonnant étant donné leur formation, il est intéressant de noter qu'ils attachent une importance particulière à deux points :

  • le contexte et le processus de production ;
  • la temporalité des informations et la possibilité de suivre l'évolution de l'information dans le temps par un versionning.

Leurs réflexions mettent à jour deux paradoxes qui, là aussi, sont un révélateur des préoccupations naturelles de cette communauté :

  • Le simple fait que l'information numérique d'aujourd'hui constitue le matériau de la recherche demain (la question de l'archivage des réseaux sociaux est, par exemple, revenue à plusieurs reprises) impose une recherche de l'exhaustivité et justifie la mise en place de tels programmes, même si les usages réels ne peuvent être connus. Mais le risque est de crouler sous une masse de données non structurées et inexploitables ;
  • Travailler sur ses matériaux impose la confiance, ce qui passe par la garantie de l'intégrité et de l'authenticité des informations et de leur contexte de production, c'est-à-dire le fait de disposer de toutes les métadonnées nécessaires. Pour autant, à l'inverse du support papier qui implique une « forte contrainte de clôture des objets », ils sont attentifs aux possibilités d'interaction qui existent entre les informations numériques (offertes entre autres par les métadonnées) et aux problèmes que cela pose en termes de respect de la vie privée et du droit à l'oubli.

La poursuite de ces objectifs passe, selon les participants, par une collaboration étroite entre les professionnels de la recherche et les institutions patrimoniales et les professionnels de la conservation. Cette collaboration pourrait intervenir à plusieurs niveaux :

  • la constitution des collections, sources possibles de futurs recherches en SHS, devrait impliquer les deux communautés, en particulier, pour aider dans la sélection, déterminer les usages possibles et les moyens d'accès. C'est particulièrement vrai pour l'archivage des sites Web ;
  • la gestion à long terme de l'information passe par la mutualisation voire la délégation d'une partie du travail à des organisations partenaires qui disposent des compétences, de l'organisation et des outils nécessaires.

Il paraît donc souhaitable de disposer au sein de chaque organisation de personnes compétentes avec des profils de gestionnaire de l'information (information manager). Ils auraient pour rôle d'organiser localement la gestion de l'information numérique, de mettre en œuvre des bonnes pratiques, de constituer un relais, d'une part, auprès de la direction des organisations et des tutelles et, d'autre part, de l'institution patrimoniale partenaire chargée plus spécifiquement de l'archivage patrimonial à long terme. Ainsi, le gestionnaire de l'information pourrait mener des stratégies de préservation à l'échelle locale, en s'appuyant éventuellement sur des services en ligne mutualisés de conversion par exemple.

La durée de l'atelier n'a malheureusement pas permis d'approfondir chacune des questions et de les remettre en perspective. Pour autant, il me semble intéressant de noter que les différentes réponses apportées par la discussion se rapportent peu ou prou aux différents moyens à mettre en œuvre pour assurer la gestion de l'information numérique sur le long terme et, par conséquent, la continuité de l'accès et son intelligibilité. Je les ai d'ailleurs rappelés en conclusion de cet atelier. Mais, pour vous, chers lecteurs, il vous faudra patienter encore un peu, puisqu'ils feront l'objet d'un prochain billet.

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