Les petites cases

La cuite la plus chère du monde

La cuite la plus chère du monde, on la doit à un sommelier. [...] Ca s'est passé il y a une quinzaine d'années au Waldorf Astoria qui organisait une dégustation exceptionnelle pour une association d'oenologues américains. Les vins venaient de France, tous dignes de figurer dans la cave du grand-oncle, des pétrus 29, des pommards 47, rien que des vins mythiques, tous ces braves gens en avaient les moyens. Depuis le départ de Paris, les caisses avaient voyagé sous une escorte de chef de l'État, un convoi d'or vers Fort Knox. On entrepose le trésor dans la cave dont seul le sommelier du Waldorf a la clé. Quand toutes les caisses sont pointées, que les assurances ont fait un constat d'entrée sans émettre de réserve, que les organisateurs sont rassurés, que les transporteurs peuvent essuyer la sueur qui leur coule du front, le sommelier tire un coup sec sur la porte blindée et s'enferme dans la cave à double tour. Par la trappe, il leur dit : «Je vais aller en prison, je le sais. Et je m'en fous. Ma carrière est foutue, je m'en fous aussi. Je vais vivre des moments dont aucun amoureux du vin n'a jamais osé rêver. La plus merveilleuse dégustation du monde, les plus grandes heures, je vais les vivre tout seul, jusqu'à l'ivresse. Je vais m'offrir un voyage exceptionnel à travers le siècle, personne ne l'a fait jusqu'à aujourd'hui, personne ne le refera. Messieurs, je vous donne rendez-vous dans trois jours.»

Tonino Benacquista, Quelqu'un d'autre, éd. Folio, Paris, 2004, p. 271.

Causeries —