- Regarde ça. Ils ont l'air indentiques, n'est-ce-pas ? Eh bien, écoute ! Il y en a un qui a de l'historicité en lui (il lui fit une grimace). Prends-les en main. Vas-y. L'un des deux vaut peut-être quarante ou cinquante mille dollars sur le marché des collectionneurs.

La fille prit les deux briquets avec précaution et se mit à les examiner.

- Tu ne sens donc pas ? dit-il sur le ton de la plaisanterie. L'historicité ?

- Qu'est-ce que c'est que ça, l'historicité ?

- On dit cela d'une chose qui contient quelque chose appartenant à l'Histoire. Écoute. L'un de ces briquets Zippo se trouvait dans la poche de Franklin D. Roosevelt quand il a été assassiné (NDGot : dans ce livre, Roosevelt est assassiné avant le début de la deuxième Guerre Mondiale). Et l'autre n'y était pas. L'un a de l'historicité à un point terrible ! Autant qu'un objet a pu jamais en contenir. Et l'autre n'a rien. Tu le sens ? (Il lui donna un coup de coude.) Non ? Tu ne vois pas aucune différence. Il n'y a pas de « présence plasmique mystique » ni d'« aura » autour de cet objet ?

- Mon Dieu ! dit la fille avec un respect mêlé de crainte. C'est bien vrai ? Il avait l'un de ces briquets sur lui ce jour-là ?

Sûrement. Et je sais lequel. Tu vois où je veux en venir ? Tout cela, c'est une vaste escroquerie ; ils se jouent la comédie à eux-mêmes. Je veux dire par là, un revolver s'est trouvé dans une bataille célèbre, l'Argonne, par exemple, et il est le même que s'il ne s'y était pas trouvé, à moins que tu ne le saches. Ça se passe là, dit-il en se touchant le front. Dans l'esprit, pas dans le revolver...

Philip K. Dick, Le maître du haut chateau, éd. J'ai lu, Paris, 2001, p. 79.

Qu'est-ce-qu'un objet historique ou plutôt comment savoir si un objet a une valeur historique ? Elargissons la question : qu'est-ce-qu'un événement historique ?

On entend souvent les journalistes qualifier un événement d'historique. Mais, il est impossible de savoir quelle répercussion va avoir tel ou tel événement et surtout si les historiens dans le futur vont penser que cet événement mérite leur intérêt. De même, a-priori, rien ne garantit qu'un objet soit authentique ou pas.

En fait, depuis plusieurs années, les historiens ont l'habitude d'utiliser tous les objets et de prendre en compte tous les événements. Finalement, tout peut être intéressant et analysé pour remplir leur mission : comprendre la vie des hommes et de la société du passé. A partir de cette remarque, il ne se pose, en fait, pas une, mais deux questions différentes : l'authenticité et l'historicité.

Un des travaux de l'historien consiste à contrôler l'authenticité. Mais, sa position scientifique l'empêche de juger de l'historicité. En revanche, je pense que c'est son intérêt et ses études qui vont créer l'historicité d'un objet ou d'un événement. Dans ce cas, tous les objets et tous les événements sont virtuellement historiques.

L'authenticité ne concerne pas que les historiens, mais aussi les archivisites. En effet, les archives doivent garantir qu'un document déposé est authentique, c'est à dire qu'ils garantissent aucune altération à partir du moment où le document a été déposé. Cette précaution va faciliter le travail des historiens dans le futur, mais heureusement il restera encore du travail aux diplomatistes pour comprendre la création du document ;-).