Le prieuré de Saint Leu d'Esserent et la société au XIIe siècle

Etude des rapports entre les moines du prieuré de Saint-Leu d'Esserent (Oise) appartenant à l'abbaye de Cluny et la société du nord de l'Ile-de-France au XIIe siècle, en particulier le rôle géo-stratégique qu'a joué le prieuré dans les luttes entres les aristocrates de la région.

Ce texte est celui de mon mémoire de maîtrise d'histoire médiévale tel que je l'ai soutenu en septembre 2002 à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il constitue mon premier travail de recherche et en possède tous les défauts... Pour rassurer les personnes qui ne pensent qu'à la validation, le jury composé de Laurent Morelle et Monique Bourin m'a décerné une mention très bien.

Introduction

Problèmes posés

Depuis 20 ans, les études sur Cluny ont connu un regain d’intérêt. L’article de Michel Sapin et Dominique Iogna-Prat paru dans la Revue Mabillon en 19941 fait le point sur la question, en dressant un bilan des différentes pistes de recherche explorées par les spécialistes. Il met en avant la méconnaissance du monde des prieurés clunisiens, malgré les études de Philippe Racinet qui portent sur la fin du Moyen Âge2 ou les monographies de prieurés entreprises sous la direction de Joachim Wollasch à l’université de Münster. Pour Philippe Racinet, « c’est un secteur de la recherche qui mérite un investissement particulier. En effet, le prieuré clunisien représente la face cachée de l’iceberg »3. De plus, les études sur Cluny s’attachent aux origines de l’abbaye jusqu’à Pierre le Vénérable ou sur les problèmes rencontrés par l’ordre à la fin du Moyen Âge. En revanche, aucune étude ou presque n’a envisagé les prieurés clunisiens entre ces deux périodes.

Le prieuré et son implantation dans son terroir méritent donc toute notre attention. Les historiens ont trop souvent délaissé le prieuré, le rattachant à l’abbaye-mère mais sans l’étudier comme une entité en soi. Celui de Saint-Leu-d’Esserent nous a semblé un bon exemple pour essayer de cerner ce monde des prieurés. Fondé en 1081 par un aristocrate influent d’Ile-de-France, ce prieuré n’a pas fait l’état de études historiques sérieuses. La magnifique église prieurale a donné lieu à des monographies d’histoire de l’art ou d’archéologie mais son histoire reste encore assez mal connue. Deux maîtrises lui ont été consacrées : une portant sur les rapports entre le monachisme et l’aristocratie4 et une autre sur une étude du personnel du prieuré au XIIe siècle5. Par conséquent, il reste encore beaucoup de questions en suspens, alors que la documentation est assez riche et que ce prieuré fut un des plus gros de l’ordre de Cluny.

Aborder la question des prieurés, c’est aborder une question d’histoire religieuse. Les études de ce type ont souvent pris le parti de n’analyser qu’une partie des problèmes, soit économiques, soit sociaux, soit religieux. Pourtant, cette distinction n’existe pas dans l’esprit des hommes du Moyen Âge. Le concept même de religion n’apparaît qu’au XVIIIe siècle. Etudier donc séparément ces thèmes serait un contresens. Au contraire, nous nous efforcerons de toujours voir les implications sociales, économiques et religieuses dans tous les rapports qui existent entre le prieuré et la société qui l’entoure au XIIe siècle.

Le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent se trouve dans le sud de l’actuel département de l’Oise sur les bords la rivière du même nom, dans le diocèse de Beauvais. Aux frontières de l’Ile-de-France et du domaine royal, à quelques de kilomètres de Senlis, il est implanté dans l’aire d’influence royale, au milieu des conflits seigneuriaux des grands seigneurs d’Ile-de-France. De plus, il surplombe la rivière et le village d’origine : Hescerent. Cette position lui donne un attrait stratégique et un moyen de contrôle de la population de ce village. Enfin, il doit faire face aux nombreux autres établissements monastiques installés sur la basse-vallée de l’Oise6.

Ainsi, le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent fait partie intégrante d’un terroir et de la société. Il importe donc de définir précisément quels sont les rapports établis entre les moines et la société qui les entoure au XIIe siècle, en repartant de la fondation de l’établissement : dans quel but et dans quel contexte est fondé le prieuré de Saint-Leu ? Quel est le rôle joué par la famille fondatrice ? Comment les moines parviennent-ils à faire face aux conflits et aux autres seigneurs ?

Le prieuré devenant rapidement une grosse communauté, il convient d’étudier les moyens mis en œuvre pour former, organiser et consolider leurs possessions et, ainsi, voir le rôle des instruments spirituels offerts par les moines à la société pour réussir à assurer la pérennité économique de la communauté. Il faut aussi nous demander quel est le rôle du prieuré de Saint-Leu-d’Esserent à l’intérieur des luttes seigneuriales du nord de l’Ile-de-France et comment il évolue. Enfin, quels sont les rapports entre le prieuré, rattaché directement à l’abbaye de Cluny et l’abbaye-mère ?

Ainsi, nous étudierons, dans une première partie, les rapports établis au moment de la fondation du prieuré et dans ses premières années d’existence. Sous la domination de la famille fondatrice, les moines commencent alors à organiser et structurer leur prieuré. Dans une deuxième partie, nous verrons comment ils consolident leur patrimoine et s’intègrent dans la société. Enfin, nous tenterons de porter un éclairage sur les changements importants auxquels doit faire face la communauté à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle.

Analyse du corpus de sources

L’essentiel de notre travail est basé sur l’édition du chartrier du prieuré de Saint-Leu-d’Esserent effectuée par Eugène Müller au début du XXe siècle. Il était le curé de Saint-Leu-d’Esserent et faisait partie des érudits de cette période qui ont édité un grand nombre de chartriers. Ainsi, il semble qu’il fréquentait Joseph Depoin, éditeur des actes des abbayes Saint-Martin-des-Champs et Saint-Martin-de-Pontoise. Son action était soutenue par la société historique du Vexin. Son édition ne constitue pas la seule œuvre qu’il a consacrée au prieuré et à sa région, puisqu’il a aussi écrit une monographie de l’église de Saint-Leu-d’Esserent, ainsi que de nombreux ouvrages sur l’histoire de la région.

Le but de son travail est de collationner tous les textes concernant le prieuré et de les classer chronologiquement, pour en reconstituer son cartulaire idéal. Ainsi, il rassemble, pour notre période, des textes de divers origines :

Il n’a donc pas les préoccupations scientifiques des diplomatistes : il ne note pas la tradition des actes, il ne peut précisément dater l’ensemble des actes et son classement se révèle parfois faux. Lorsqu’il dispose de deux copies du texte, par exemple, l’original des archives et la copie de Baluze, il semble qu’il ait privilégié l’original. De plus, les fautes de transcription sont courantes. Nous avons dû, pourtant, plus d’une fois lui faire confiance, le temps nous ayant manqué pour vérifier les originaux.

Nous disposons donc de cent treize actes concernant la période étudiée. Il semble qu’un cartulaire existait, puisque les copies provenant de Baluze sont censées venir d’un cartulaire perdu. Mais, cette perte empêche de savoir comment le cartulariste travaillait et quels étaient ses buts. La plupart des actes dont nous disposons se présente sous la même forme diplomatique. Ils comprennent la notification, l’exposé, le dispositif, la clause de consentement et la liste de témoins. Nous pouvons penser que ces actes ne sont pas des actes publics mais des écrits internes qui ont pour vocation de garder une trace de la possession des biens ou de l’issue d’un conflit. Nous sommes donc tentés de qualifier ces documents de notices. A l’inverse les chartes dont nous disposons présentent souvent un préambule, très rare dans les notices, une suscription, une mention de la date et/ou des signes de souscription. Nous pouvons dresser le tableau suivant à partir de ces critères, en ne prenant en compte que les originaux conservés aux archives départementales :

1081-1120

1120-1150

1150-1236

Charte

4

3

16

Notice

5

6

5

Total

9

9

21

Ce tableau permet de constater que les notices sont plus importantes au début de la période, en particulier entre 1120 et 1150. Le nombre de chartes augmentent vers la fin de la période. Cet accroissement est en partie dû à la progression des chancelleries laïques et de l’importance de l’écrit dans la validation des donations.

Nous avons aussi eu recours aux éditions des actes royaux de Henri Ier, Philippe Ier, Louis VI, et Louis VII qui nous ont permis de reconstituer les réseaux aristocratiques du nord de l’Ile-de-France. Nous avons complété ces informations avec des sources littéraires comme Suger ou Orderic Vital qui évoquent la situation politique de la région et font référence à de nombreuses reprises à des familles proches du prieuré de Saint-Leu.

Notes de bas de page

1  Dominique Iogna-Prat et Michel Sapin, « Les études clunisiennes dans tous les états », Revue Mabillon, t. 66, 1994, pp. 233-258.

2  Philippe Racinet, Crises et renouveaux: les monastères clunisiens à la fin du Moyen Âge, de la Flandre au Berry et comparaisons méridionales, Arras, 1997.

3  Dominique Iogna-Prat et Michel Sapin, art. cit., p. 247.

4  Maîtrise de Catherine Théry sous la direction de Jean-François Lemarignier qui a donné lieu à un article : Catherine Théry, « Saint Leu d'Esserent et l'aristocratie de la fin du XIe à la fin du XIIe siècles », Mémoires de la société historique et archéologique de Senlis, 1977, pp11-30.

5  Caroline Benoît, Les hommes en présence à Saint-Leu d’Esserent au XIIe siècle. Analyse du cartulaire d’un prieuré clunisien., Mémoire de maîtrise Univ. Picardie, Amiens, inédit.

6  Cf l’article de Philippe Racinet, « L'implantation monastique dans la basse vallée de l'Oise au Moyen Âge ».

7  Cf. le détail dans la bibliographie.

I- La genèse du prieuré, 1081-1120

 

A- La fondation

Le prieuré de Saint-Leu d’Esserent est fondé en 1081 par le comte Hugues de Dammartin et l’évêque Guy de Beauvais qui confient leur fondation aux moines de Cluny. Comprendre la fondation de ce prieuré passe par une analyse précise du contexte et des raisons qui l’ont motivée. Plus que le simple fait d’assurer le salut, elle prend place dans une stratégie familiale plus complexe où les enjeux religieux et seigneuriaux se rejoignent à chaque instant. C’est pourquoi, après avoir fait le récit de la fondation, il est essentiel de présenter la famille des Dammartin et les acteurs religieux et d’analyser précisément la charte de fondation pour en apprécier l’ensemble des enjeux.

1- Le récit de la fondation

a- La fondation telle qu’elle s’est déroulée

La fondation est connue par l’acte conservé aux Archives départementales de l’Oise, issu du chartrier du prieuré1, et par la confirmation de l’évêque de Beauvais, Guy, reprise par l’historien Louvet dans son ouvrage Histoire et antiquité du diocèse de Beauvais qui date de 1635. Vers 1081, Hugues de Dammartin rend d’abord l’église, l’autel, l’aître et la dîme d’Hescerent à l’évêque de Beauvais, Guy, pour que ce dernier les confie aux moines de Cluny pour en faire un monastère. Il ajoute à cette restitution une donation importante de terres, de revenus et de taxes diverses. Cette fondation est faite en présence de Guy, évêque de Beauvais, Philippe Ier, roi de France, Hugues de Crépy, le frère du roi, Adélaïde de Vermandois, la femme d’Hugues de Crépy, des serviteurs royaux, la famille d’Hugues de Dammartin et des moines clunisiens dont l’abbé de Cluny, Hugues. La présence d’Hugues n’est pas mentionnée dans l’acte de fondation, mais dans un acte narrant un règlement de conflit et rappelant la fondation : « notificamus omnibus quod Hugo, comes de Domno Martino, dedit Cluniacensi Ecclesie in presentia Domni Hugonis abbatis… »2. La présence de ces hommes montre l’importance de cette fondation. La donation du comte est ensuite confirmée par sa femme, Roaide, et ses enfants : Basilie, Adélaïde, Eustachie et Pierre, comme par Philippe Ier, Hugues de Crépy et sa femme, Adélaïde de Vermandois.

b- La légende de fondation

Cette fondation a donné lieu à la constitution d’une légende encore racontée aujourd’hui. Il est difficile d’en connaître les origines. Sa première trace écrite date de 1828, dans lePrécis statistiques du canton de Creil de Graves. Elle est ensuite reprise par Albert Fossard, propriétaire du prieuré à la fin du XIXe siècle dans la première monographie qui lui est consacrée3.

La légende raconte qu’Hugues de Dammartin, malade, promet d’aller en pèlerinage à Jérusalem s’il guérit. Une fois rétabli, il accomplit sa promesse, mais il est pris en otage sur la route. Une petite communauté de moines se trouvant au nord d’Hescerent dans le bois Saint-Michel, paye alors sa rançon. A son retour, pour les remercier, Hugues fonde le prieuré de Saint-Leu et le leur confie.

Cette histoire n’est bien sûr pas confirmée par les sources écrites. L’archéologie a permis de retrouver les traces d’une chapelle et d’occupations humaines dans le bois Saint-Michel, mais les fouilles n’ont pas trouvé de traces datant du XIe siècle4. De plus, la reconstitution de la vie d’Hugues de Dammartin ne laisse pas apparaître un laps de temps nécessaire à un tel voyage.

2- Les acteurs de la fondation

a- Origine de la famille de Dammartin

Il existe une généalogie rimée des Dammartin5 composée au XVe siècle. L’original du manuscrit ayant disparu, il nous est connu par une copie du XVIe siècle conservée à la Bibliothèque nationale de France6. Elle fait remonter l’origine des Dammartin à un comte Assaillant de Dammartin qui vit à l’époque du roi Dagobert :

« Assaillant fuz nommé, de Dampmartin fus comte

Du tems de Dagobert, lequel de moi tinct compte

De l’incarnacion (de Jhesu-crist), six cens quarente six

Portant estat de comte en chère je m’assix

De Dampmartin fuz conte et fuz nommé Guérard »

Les deux personnages Assaillant et Guérard sont aussi les héros d’un roman de chevalerie du XVe siècle : Histoire de Assaillant et Gérard son fils premiers comtes de Dammartin, peu après Dagobert, roi de France, extraite et traduite en latin, des chroniques des rois de Cologne. Ce manuscrit, conservé aussi à la Bibliothèque nationale de France7, reprend les vies des différents comtes de Dammartin et les attribue à ces deux seuls personnages, Assaillant et Guérard. Outre les erreurs chronologiques, Dagobert étant mort en 639, il ne faut pas voir dans cette généalogie et dans ce roman des faits historiques nous permettant de faire remonter les Dammartin au VIIe siècle mais plutôt une tentative de la part des comtes du XVe siècle de fonder une « légende dorée » de leur famille prenant appui sur des ancêtres très éloignés ce qui est un signe de noblesse à cette époque8.

Le premier comte de Dammartin dont nous avons la trace dans la documentation est Manassès de Dammartin en 1025. Selon le comte de Luçay9, il est le fils d’Hilduin Ier, comte de Montdidier et petit-fils de Guillaume de Ponthieu et de Montreuil. Cette origine, reprise par d’autres études, place Manassès dans une des familles les plus importantes du système féodal du nord de la France au XIe siècle. Elle est à la tête d’un patrimoine foncier très important. En plus du comté de Ponthieu et de Montreuil10, s’ajoutent les comtés de Nanteuil en Valois11, de Breteuil-en-Beauvaisis12 et de Clermont-en-Beauvaisis13. Cette famille a donc une assise importante dans le Beauvaisis, qui lui permet de jouer un rôle de premier plan dans les stratégies féodales du nord de l’Ile de France.

Nous disposons de peu d’informations sur Manassès. Il est le premier à apparaître avec le titre de comte de Dammartin qu’il tient peut-être de son mariage avec Constance14. Ce comté15 se trouve à une trentaine de kilomètres au nord-est de Paris et à une vingtaine de kilomètres au sud de Senlis16, sur la route allant de Paris à Soissons, en passant par Crépy-en-Valois17 et Nanteuil-le-Haudouin. Le château, aujourd’hui détruit, était perché en haut d’une colline dominant cette route. Le comté se trouve donc à la frontière du domaine royal des premiers capétiens et dans leur aire d’influence directe. Cette situation stratégique crée des relations particulières entre la famille de Dammartin et le roi de France, qui oscille entre alliance et guerre ouverte pendant le XIe siècle et le début du XIIe siècle.

Frère d’Hilduin II, vicomte de Chartres, Manassès est un proche d’Eudes II, comte de Blois et de Champagne, ennemi des rois de France, Robert II le Pieux et Henri Ier et aussi son vassal au titre des terres possédées dans le Beauvaisis, puisque Eudes II est aussi comte de Beauvais18 et à ce titre seigneur sur le Beauvaisis.

En 1015, Eudes II donne « une portion du comitatus [de Beauvais] perçu sous l’aspect des droits qui s’y rattachent »19 à l’évêque de Beauvais, Robert. Cette donation est confirmé par Robert le Pieux, roi de France en 1015, avant que ses rapports avec Eudes II ne se dégradent complètement. Par cette donation, il ne se retire pas définitivement du comté de Beauvaisis, mais continue à le contrôler par l’intermédiaire de son réseau de vassaux dans la région. Ainsi, Hilduin II et Manassès jouent un rôle important pour lui par l’intermédiaire des différentes terres qu’ils possèdent dans le Beauvaisis : la région du comté de Breteuil pour Hilduin II et la région de Bulles20, au nord de Beauvais, d’Esserent21 et de Mouchy-le-Châtel22 pour Manassès. Ces liens vassaliques entre Eudes II et Manassès sont très importants, car ils conditionnent et expliquent les stratégies de la famille des Dammartin pendant le XIe siècle. La situation géographique du comté de Dammartin fait de Manassès un allié ou un ennemi de poids pour les deux seigneurs du nord de la France les plus importants du XIe siècle : le roi de France et le comte de Champagne.

Le premier document où l’on trouve la trace de Manassès date de 1025. Il est témoin d’un accord passé au nom du comte Eudes II entre Hilduin II et l’évêque de Paris Francon au sujet de l’avouerie de Rozoy-en-Brie23. Par sa présence, Manassès légitime l’action de son frère et se place au côté d’Eudes II. La souscription de Manassès exprime ici les alliances seigneuriales plus que des liens familiaux. En 1028, Manassès souscrit un diplôme du roi Robert le Pieux en faveur de l’abbaye de Coulombs24. Le 4 février 1031, Manassès obtient de ce dernier, la confirmation d’une donation faite par lui à l’abbaye Saint-Père de Chartres en présence de son frère Hilduin et de ses neveux Hilduin et Manassès25. Cette donation s’explique par l’influence que devait posséder cette famille sur la ville de Chartres, Hilduin II en étant vicomte. Il est présent à l’assemblée tenue à Paris au cours de laquelle Foulques, comte d’Anjou reconnaît le roi de France, Henri Ier26. Entre 1034 et 1036, il est à Tours, à la cour d’Eudes II. Au cours de cette période, il est témoin d’une donation à Marmoutier faites par Eudes II27.

Malgré les liens forts entre Manassès et Eudes II, le roi ne se détourne pas de lui. Ainsi, Manassès réclamant Combs-la-Ville28, domaine de son grand oncle Hilduin, au roi Henri Ier, le roi fait droit à cette réclamation pour s’assurer son soutien contre Eudes II29. Pour autant, Manassès reste fidèle à Eudes II, ce qui va causer sa perte. En 1037, le comte Eudes lance une offensive contre le duc de Lorraine qui projette de s’emparer de la couronne impériale. Le 15 novembre, lendemain de la prise de Bar-le-Duc par Eudes II, les deux armées se retrouvent à douze lieux au nord de Bar-le-Duc sur les bords de l’Orne au lieu-dit Honol. Manassès y trouve la mort. La Vita Beati Richardi abbatis S. Vitoni raconte ainsi la mort de Manassès :

« …et isdem venerabilis pater [Richard], dum cum monacho suo Waleranno, cognomento Bonifacio, illo venisset, comitem Manassem de Domno Martino, eodem susum praelio, cum quibusdam aliis isthuc deportari fecit, et honorifice sepelevit. Quod audiens uxor ipsius, variis donis eumdem patrem muneravit, et tapetem magnum huic ecclesiae dedit. »30

Manassès laisse trois enfants : Eudes, Hugues et Eustachie. L’aîné, Eudes devient alors comte de Dammartin. Ce dernier n’a pas laissé la même trace que son père et que son frère, Hugues. Il meurt assez rapidement, laissant le comté à son frère. Il apparaît à trois reprises dans les actes royaux, deux sous Henri Ier et un sous Philippe Ier. Le roi absorbe une partie des réseaux de fidèles d’Eudes II. Il n’est donc pas étonnant de retrouver Eudes du côté du roi. En effet, Manassès vaincu, le roi peut confisquer des terres et prendre des sanctions à l’encontre des Dammartin. Sans appui du côté des comtes de Champagne, Eudes préfère rester du côté du roi et ainsi protéger sa famille. En 1061, il est mentionné dans la donation de la villa de Combs, en Brie, par Philippe Ier à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés31. Les deux autres mentions sont des donations faites pour le salut de son père : en 1060, à la basilique Saint-Andrieu de Béthisy32 et à l’église de Saint-Père-des-Chartres accompagné par son frère Hugues et sa sœur Eustachie33. A sa mort, Eudes laisse le comté de Dammartin à son frère Hugues, fondateur du prieuré de Saint Leu d’Esserent.

b- Hugues de Dammartin : un aristocrate du XIe siècle.

Ce personnage est un exemple de l’aristocrate de la fin du XIe siècle chez qui les sentiments religieux se heurtent aux impératifs du système féodal. Grâce à une documentation plus importante que pour le reste de la famille, nous pouvons reconstituer précisément le parcours d’Hugues de Dammartin et, ainsi, comprendre ses motivations pour fonder le prieuré de Saint-Leu.

Hugues est né avant 1037, date de la mort de son père Manassès. Il passe les premières années de sa vie dans l’ombre de son frère Eudes. Cadet de la famille, il n’a pas de titre. Ainsi, il est présent au côté de son frère dans les actes destinés à assurer le salut de son père. Il prend le titre de comte de Dammartin entre 1060 et 1065. La documentation nous permet de retracer son parcours dès ce moment.

Entre 1067 et 1072, nous le trouvons à quatre reprises dans des actes de Philippe Ier. Il continue alors la politique de son frère à l’égard du roi de France, préférant s’assurer son soutien. Ainsi, pendant cette période, il est à quatre reprises témoin de chartes de Philippe Ier :

  • En 1067, confirmation par Philippe Ier d’une renonciation de Gui sur certaines coutumes qu’il exigeait dans la terre de Saint Benoît sur Loire34.

  • En 1070, confirmation par Philippe Ier à la prière de l’abbé Gerbert, de l’immunité accordée par les rois à ses prédécesseurs au monastère de Saint-Pierre-le-Vif, de Sens35.

  • En 1071, confirmation par Philippe Ier de la charte par laquelle Bouchard comte de Corbeil, accorde aux chanoines de Saint-Spire de Corbeil la liberté de leur cloître et la justice dans le cloître et sur leurs confrères, à la réserve des causes criminelles dont connaîtra l’évêque seul ou l’archidiacre36.

  • En 1072, confirmation par Philippe Ier de la donation des églises Saint-Pierre et Saint-Laurent, de Montfort, faite par Simon de Montfort à l’église Saint-Magloire de Paris37.

Dans ces chartes, Hugues est cité à deux reprises sous le nom de « Hugo de Domnomartino » et à deux reprises « comes de Domno Martino ». Hugues n’est pas le premier Dammartin à porter le titre de comte, puisque Manassès est déjà présenté ainsi dans les sources. Le cognomen « de Domnomartino » est un exemple de sa fixation dans le monde aristocratique dès la fin du XIe siècle.

A travers ces chartes apparaît un réseau d’aristocrates dont fait partie Hugues. L’appartenance d’Hugues à ce réseau montre son importance et le rôle qu’il joue dans les enjeux seigneuriaux en Ile-de-France. En utilisant le nom des témoins, nous pouvons le reconstituer ou du moins en donner les contours. Outre Hugues, nous retrouvons Yves, comte de Beaumont38, Hugues de Clermont, Guy de Montlhéry39, Thibault de Montmorency40, Simon de Montfort41, Bouchard, comte de Corbeil42, Guy de Ponthieu, Herbert de Vermandois, Guillaume de Soissons43. Tous ces hommes possèdent des terres en Ile-de-France et sont des fidèles du roi de France dont certains sont présents dans les chartes de Saint Leu d’Esserent. Ces familles s’allient par des mariages. La fille d’Hilduin II, Marguerite est marié avec Hugues, comte de Clermont.

Entre 1075 et 1081, la vie d’Hugues est jalonnée de donations pieuses et d’affrontements avec le roi. Il semble qu’Hugues détienne des possessions à Bulles par son mariage avec Roaide, sur laquelle nous ne disposons d’aucune information. Une charte datant de 1075 narre la rencontre décisive entre Hugues de Dammartin et l’évêque de Beauvais, Guy. Ce dernier, dont nous reparlerons pour la fondation est un ardent défenseur de la Réforme grégorienne et en amorce la mise en place dans le diocèse de Beauvais. Cette rencontre marque un tournant pour Hugues qui devient un de ses proches. Elle se fait au cours d’une restitution qui nous est connue par une charte reprise par Mabillon44. En 1075, Guy, évêque de Beauvais visite Goscelin dit l’enfant, malade. Ce dernier lui donne la moitié du fief d’Harcourt pour l’abbaye de Saint-Lucien. Pour cela, Goscelin demande le consentement à ses oncles, Hugues de Dammartin et Mathieu dit Payen. A la mort de Goscelin, les deux oncles posent le testament sur l’autel. Après cet évènement, Hugues commence à faire des donations pieuses. Nous pouvons aisément imaginer un Guy de Beauvais, prosélyte de la Réforme grégorienne poussant Hugues à rendre des églises qu’il possédait indûment. Ainsi, en 1075, il restitue les églises de Bulles à l’évêque de Beauvais45. Toujours en 1075, il fait une première donation à Cluny : la moitié de la ville de Brandalt Vileir46. Cette série de donations pieuses atteint son apogée par la restitution de l’église d’Hescerent47 et la donation qui l’accompagne en 1081, toujours sous l’impulsion de Guy, évêque de Beauvais.

Hugues reste un seigneur féodal qui commence à être gênant pour le roi de France. Hugues essaye de prendre place sur les terres du seigneur adverse, en l’occurrence le roi de France. La grande Chronique de Saint Denis nous apprend que le roi Philippe Ier fit construire, vers 1071, le château de Montmeliant48, en face de Dammartin, pour résister à ses incursions49. Malgré ces tensions, Philippe Ier souscrit à la donation d’Hugues pour Hescerent50. Est-ce un signe d’apaisement dans leurs querelles ou la présence royale est-elle simplement obligatoire en tant que seigneur de l’Ile-de-France ? Philippe Ier confirme aussi les donations faites par Hugues en 1082 à l’abbaye de Marmoutier51.

Hugues connaît aussi des problèmes avec les chanoines de Notre Dame de Paris, dont les terres sont limitrophes au nord de l’Ile-de-France. Une lettre adressée par les chanoines de Paris au pape Pascal II en 1104 nous apprend que, au temps d’Urbain II (1088-1099)52, les exactions commises avaient entraîné l’excommunication d’Hugues. Cette affaire n’est réglée définitivement qu’en 1093. Hugues passe alors une convention avec les chanoines de Notre Dame de Paris, promettant d’arrêter les exactions qu’il commettait à leur encontre sur les terres de Mitry et Mory53. Il se fait moine à Saint Leu à la fin de sa vie54 et meurt aux alentours de 1100.

Proche du roi, Hugues fait partie du jeu féodal du nord de l’Ile de France. Intégré à un réseau d’aristocrates, il affronte le roi et les puissances religieuses. Sa vie est celle d’un seigneur du XIe siècle avec ses affrontements, ses donations pieuses, ses alliances. La fin de sa vie, en tant que moine du monastère qu’il a fondé, en est d’ailleurs tout à fait symbolique.

3- Les acteurs religieux

Outre Hugues de Dammartin dont nous venons de retracer le parcours, la fondation de Saint-Leu fait intervenir des acteurs du monde religieux qu’il est important de resituer rapidement : Guy, évêque de Beauvais et Cluny.

Dans son livre Episcopus et Comes, Olivier Guyotjeannin55 se pose la question de savoir si Guy est un évêque pré-grégorien. Cette question est évidemment difficile à résoudre vu le parcours de cet homme. En revanche, de la même façon qu’Hugues est un aristocrate caractéristique du XIe siècle, Guy est un évêque caractéristique de cette époque. Il est tourmenté par deux aspects essentiels de cette période : la Réforme grégorienne qu’il commence à introduire en Beauvaisis et le jeu féodal, qu’il assimile parfaitement en tant que seigneur sur le Beauvaisis. Il n’est donc pas étonnant de voir Hugues et Guy proches et agissant ensemble pour la fondation de Saint-Leu. Guy, issu d’un lignage important, a été doyen et coûtre de la collégiale de Saint-Quentin56 puis archidiacre de Laon. Il est élu évêque de Beauvais en 1063-1064, certainement grâce à l’appui du comte de Flandre Baudouin. Son épiscopat est mouvementé. En butte à l’hostilité d’une partie du chapitre, il doit fuir pendant un temps Beauvais, avant d’y revenir grâce à l’appui du pape Grégoire VII en 1074. Toute sa vie, Guy affronte le dilemme entre réforme et pouvoir seigneurial et il n’est pas absurde de voir dans ses actions religieuses et ses fondations un moyen pour le comte de Beauvais, qu’il est , d’affirmer son pouvoir sur ses possessions. Ainsi, il fonde une collégiale dédiée à Saint-Quentin à proximité de Beauvais où il place Yves de Chartres en tant que praefectus. Il suscite et approuve de nombreuses donations et fondations, comme nous l’avons vu avec l’exemple d’Hugues à Bulles. Il commence à mettre en place la réforme grégorienne en récupérant les églises qui sont au mains des aristocrates laïcs et les exemples de la restitution de l’église de Bulles puis d’Hescerent montre comment Guy utilise à la fois son statut d’évêques et de comtes pour chercher à s’affirmer comme intermédiaire obligé de ces restitutions. Proche de la noblesse régionale, comme le laisse entendre Guibert de Nogent57 dans sa De vita sua, il se retrouve rapidement en rivalité avec « l’aile dure des milieux réformateurs »58. Accusé de simonie en 1078 par Hugues de Die, il fuit son siège épiscopal, se réfugie à Cluny en 1085 où il devient moine, une fois déposé, sans même s’être défendu.

Fondé en 909 par Guillaume, duc d’Aquitaine, Cluny a été le fer de lance du monachisme réformateur. Le monachisme clunisien mit plus de temps à s’implanter dans le nord de la France, malgré l’existence de monastères réformés par des clunisiens comme Saint-Denis ou Saint-Maur-des-Fossés. Il faut attendre l’abbatiat d’Hugues (1049-1109) pour que Cluny s’implante définitivement dans le nord du royaume. Entre 1029 et 1150, douze prieurés sont donnés ou agrégés à Cluny dans les diocèses de Senlis et de Beauvais. L’implantation clunisienne au nord de l’Ile-de-France, c’est à dire dans les diocèses de Senlis, Beauvais, Soissons et Amiens, représente une extension de la forte présence clunisienne dans le sud et sud-est du bassin parisien et sa limite septentrionale. Les diocèses de Laon, Noyon et Reims ne comptent qu’un prieuré chacun59. Ces installations s’expliquent par les excellentes relations entre Hugues et la monarchie capétienne et par la pénétration des thèmes réformateurs et grégoriens dans la société laïque. Selon Philippe Racinet60, « en acceptant d’implanter des maisons dans le domaine capétien ou aux alentours, et par là, de se rapprocher du roi de France [Hugues, abbé de Cluny] menait une politique qui visait à tempérer les réactions du pape » à l’égard du roi de France en lutte avec lui. Même si cela constitue peut-être une des raisons de la volonté de Cluny de s’implanter dans le nord de la France, il faut limiter la portée de l’action d’Hugues. La plupart des fondations ou des donations à Cluny entre 1050 et 1130 est le fait d’aristocrates laïques qui n’avaient pas de rapport avec Cluny, à l’image d’Hugues de Dammartin pour Saint-Leu ou de Simon de Crépy pour Saint-Arnoul de Crépy en Valois en 1076. Cluny s’est donc appuyé sur les structures de pouvoir existantes pour s’implanter dans le nord de l’Ile-de-France.

Avant la fondation de Saint-Leu, l’implantation clunisienne au nord de l’Ile-de-France n’est pas très importante. Crépy-en-Valois61 joue le rôle de précurseur. Saint-Arnoul est fondé en 1006 par le comte d’Amiens et du Valois, Gautier II. En 1076 ou 1077, le comte de Crépy, Simon donne son abbaye à Cluny62. Avant Crépy-en-Valois, nous pouvons signaler la fondation de Longpont63 en 1061 et de Coincy64 en 1072. En revanche, la fondation de Saint-Leu se place dans une période d’importantes fondations qui sont rattachées au prieuré de Saint-Martin-des-Champs ou directement à Cluny : Saint-Christophe-en-Hallate en 1089, Elincourt65 en 1089, Saint-Nicolas d’Acy66 en 1098, Nanteuil-le-Haudouin en 1090, Moussy-le-neuf67 en 1090. La fondation de Saint-Leu se place dans un contexte d’implantation clunisienne importante dans la région et joue, certainement, un rôle précurseur avec Saint-Arnoul de Crépy-en-Valois, les aristocrates du nord de l’Ile de France formant un réseau dont le roi capétien est la tête de pont.

3- Analyse de la charte de fondation

a- Analyse codicologique, paléographique et diplomatique

Le texte de la charte de fondation est connu par différents biais : le premier est une charte conservée aux Archives départementales de l’Oise68, à première vue, la charte de fondation ; le deuxième est la charte de confirmation par l’évêque Guy de Beauvais qui reprend le texte de la charte précédente, connue de l’historien du Beauvaisis Louvet69, dans son ouvrage Histoire et antiquité du diocèse de Beauvais qui date de 1635. Cette charte était conservée à Cluny, puisqu’elle est éditée dans le recueil des chartes de l’abbaye de Cluny70, de Bernard et Bruel, la première n’étant pas présente dans cet ouvrage.

La charte conservée aux Archives départementales de l’Oise pose des problèmes diplomatiques. Une analyse des caractères externes fait douter de la véracité de cette charte ou du moins amène à se demander s’il s’agit de l’original. Ainsi, parmi les actes de Saint-Leu qui nous sont parvenus, il est le seul à se présenter sous la forme d’une charte, tous les autres documents de la fin du XIe et du début du XIIe étant des chartes-notices ou des notices de cartulaire rédigées par les moines. A la deuxième ligne, il est écrit : « ego comes Hugo de Domnomartino ». A cet égard, cette charte est donc une exception parmi le fonds du prieuré. De plus, il n’apparaît aucun signum ou signe de souscription. Or, le roi annonce sa souscription : « Philippus rex laudavit et confirmando subscripsit ». Il est étonnant de ne pas avoir un signe montrant l’approbation du roi. Nous remarquons aussi l’absence de mention de la date dans cette charte, alors qu’elle est présente dans la confirmation de l’évêque de Beauvais Guy. Un trou à l’extrémité inférieure et un repli à côté peuvent faire penser à la présence d’un scellement, mais celui-ci a disparu, s’il a existé un jour, il faut ajouter que, vu la date, on attendrait plutôt un sceau plaqué. Enfin, les mentions au dos de la charte ont été portées bien plus tard, à l’époque moderne pour les plus anciennes ou par des archivistes contemporains qui signalent le contenu de la charte. Ces mentions ne sont donc d’aucune utilité pour savoir s’il s’agit ou non de l’original. En conclusion, sans avoir analysé le texte, nous pouvons penser que la charte conservée aux archives départementales n’est pas l’original de la charte de fondation, mais, une copie, peut-être contemporaine, l’écriture pouvant être de la fin du XIe siècle. L’original était certainement conservée à l’abbaye-mère de Cluny, les moines possédaient simplement une copie pour la mémoire et le souvenir de la fondation, charte qui nous est parvenue avec le reste du fonds de Sain-Leu.

En revanche, du point de vue des parties du discours diplomatique, cet acte ne présente aucune particularité majeure :

  • l. 1 à 271 : Préambule : l’auteur rappelle le labeur de la vie terrestre, et pense à la vie future pour vivre comme le christ « sine penuria et egestate ».

  • l. 3 : Suscription de l’auteur de l’acte : « ego, comes Hugo de Domnomartino ».

  • l. 3 à 6 : Exposé : Hugues rappelle ses nombreux péchés qui l’ont poussé à faire cette donation pour obtenir le pardon du seigneur.

  • l. 7 à 17 : Dispositif avec notification : Hugues décrit précisément la donation qu’il fait en deux parties : d’abord, la restitution de l’église à Guy puis les donations pour fonder le prieuré.

  • L. 18 à 21 : Clause de renonciation : Il renonce aux taxes qu’il perçoit sur les donations de ses vassaux.

  • L. 22 à 26 : Clause de consentement : Annonce des consentements de la famille d’Hugues, de Philippe Ier et de son frère Hugues de Crépy.

  • L. 27 à 33 : Liste des témoins : annonce des témoins pour Hugues de Dammartin, Philippe et Hugues de Crépy.

b- Analyse historique

La fondation se passe donc en deux volets. Hugues rend tout d’abord l’église, l’autel, l’aître et la dîme à l’évêque Guy de Beauvais. Hugues tient l’église d’Hescerent de Guy, comme cela est rappelé l.9 « de quo hęc omnia », à deux titres. D’un point de vue religieux, Guy, en tant qu’évêque de Beauvais, doit avoir la tutelle sur les églises de son diocèse. En réalité, il n’en contrôle pas la totalité et Guy, en tant qu’évêque pré-grégorien, est le premier évêque de Beauvais à vouloir les récupérer. D’un point de vue féodal, Guy est comte de Beauvais et possède des droits sur les terres de son comté. Il semble que cette raison est la plus pertinente pour expliquer cette phrase. Ainsi, il restitue autant l’église aux puissances religieuses qu’à la puissance temporelle qui en dispose de manière souveraine. Cette impression est renforcée par le fait qu’Hugues rend l’église « in manu Vuidonis, belvacensis episcopi ». Il faut voir dans ce geste la symbolique de l’investiture. Du point de vue religieux, la restitution en mains de l’église, symbole des restituions grégoriennes. Du point de vue seigneurial, ce geste rappelle l’investiture du fief.

Il est très intéressant de remarquer la restitution que fait Hugues, l. 8 : « ecclesiam de Hescerent, et altare, et atrium et decimam ». Les hommes du XIIe siècle font des séparations précises entre le bâtiment en lui-même, l’ecclesia, les revenus attachés à l’église différents de la dîme, l’altare, l’espace autour de l’église qui est protégé par des règles précises, l’atrium et la dîme, decimam. Il ne s’agit pas d’un ensemble homogène, mais de plusieurs parties qui ont leur existence et leur utilité propre et qui forment un tout. En donnant ces quatre éléments, Hugues abandonne tous ses droits sur l’église d’Hescerent. La première partie de la donation ne s’arrête pas là. Hugues pose des conditions précises. Il exige, de la part de Guy, que cette église soit donnée à l’ecclesia cluniacensis. Ce choix n’est pas surprenant de la part d’Hugues et Guy. Nous l’avons vu, ils sont tous les deux proches de Cluny. Hugues a fait une donation à Cluny en 1075 et a été plusieurs fois témoin aux côtés du roi pour une confirmation de donation à Cluny. Quant à Guy, il finit sa vie à l’abbaye de Cluny, avant même d’être destitué. Enfin, la donation de Simon de Crépy en 1077 à l’abbaye de Cluny a dû marquer les esprits des aristocrates de cette région. La présence d’Hugues de Crépy, frère du roi, confirme cette impression. Le déroulement de cette donation impose donc de donner deux fondateurs au prieuré de Saint-Leu : Hugues de Dammartin qui est resté le seul donateur aux yeux de l’histoire et Guy, évêque de Beauvais dont l’influence sur Hugues est difficile à connaître mais qui doit être essentielle dans cette donation, comme elle l’avait été pour la restitution des églises de Bulles.

La deuxième partie concerne les aspects matériels de la fondation. Hugues ajoute à la restitution de l’église un ensemble de donations pour permettre l’existence de la communauté monastique et sa pérennité (l. 14 à 17) :

« donavi ecclesie Cluniacensi et eis quicquid habebam in villa de Hescerent, terras scilicet arabiles et silvas, prata et vineas, servos et ancillas, hospites et justiciam, et omnes consuetudines, amnem quoque subtercurrentem cum transitu, feodum quoque Vuidonis de Rupe, et feodum Rogerii de Nantolio »

Hugues annonce les différentes donations dans un ordre bien précis : les terres, les hommes, les droits et les taxes, les coutumes et enfin les fiefs qui lui appartiennent en tant que seigneur. Par cette donation, Hugues fait des moines du prieuré des seigneurs d’Hescerent qui en possèdent tous les attributs : les terres, les serfs et la justice. Le prieuré de Saint-Leu devient une seigneurie ecclésiastique. Les moines doivent assurer leur mission spirituelle et, en même temps, ils sont les gestionnaires d’une seigneurie. En outre, la circulation sur l’Oise est une source de revenus non négligeables, car cette rivière est un axe stratégique pour aller des Flandres à Paris, et, donc très fréquentée. Par ses donations, Hugues assure au prieuré une assise économique et sociale qui lui permet de tenir un rôle essentiel dans le terroir d’Hescerent.

Enfin, Hugues prend une dernière disposition, l. 18 à 21 :

« Concessi etiam ut, si aliquis de hominibus vel militibus meis vellet aliquando de feodo suo Ecclesie beati Lupi aliquid donare vel vendere, omnino id sibi liceret facere absque ulla requisitione alterius concessionis, vel dono pecunie, quam ego vel aliquis successorum meorum exigeret »

Nous reviendrons plus loin sur les raisons et les conséquences de cette clause de renonciation pour la famille de Dammartin et pour le prieuré de Saint-Leu. Cette charte est confirmée par la famille d’Hugues : sa femme et ses enfants, Pierre, Basilie, Adélaïde et Eustachie, par le roi de France Philippe Ier, son frère Hugues de Crépy et sa femme Adèle de Vermandois, personnage très important dans le diocèse de Senlis et de Beauvais. La confirmation royale peut paraître superflue. Hescerent ne fait pas partie du domaine royal et Guy est seigneur du Beauvaisis. Cependant la présence du roi apporte une légitimité supplémentaire à la donation d’Hugues et, de plus, il ne faut pas oublier les conflits qui ont eu lieu entre Philippe et Hugues. A travers cette présence, nous pouvons voir une réconciliation temporaire entre le roi de France et la famille des Dammartin. Enfin, les témoins sont assez traditionnels, les officiers royaux du roi du côté de Philippe Ier : le sénéchal, l’échanson et le connétable, des proches de Hugues de Crépy de son côté ainsi que du côté d’Hugues. Nous pouvons relever deux noms qui reviendront ensuite dans la documentation : Igier, certainement de Bulles, déjà présent à la restitution des églises de Bulles et dont le fils fera des donations à Saint-Leu et Dreux, l’échanson des Dammartin que nous retrouvons souvent dans des actes impliquant la famille de Dammartin.

L’acte de confirmation de Guy72 reprend le texte de cette charte. Il est à noter quelques différences. Tout d’abord, il n’est pas fait mention de la donation des fiefs de Guy de la Roche et de Roger de Nanteuil. De plus, il manque la liste des témoins présents dans la charte conservée au prieuré. Par conséquent, nous pouvons penser que les moines ont fait cette charte quelques années après la donation, peut-être au moment du conflit avec Guy de la Roche73. Ils reprennent le texte de la charte initiale qu’ils interpolent pour pouvoir légitimer la possession de ces fiefs. Cette interprétation expliquerait la présence du trou à l’extrémité inférieure et du repli. Les moines essayent maladroitement de faire croire à la présence d’un sceau pendant des Dammartin ce qui est anachronique. La détention d’un sceau par cette famille est beaucoup plus tardive. Cette charte est donc une copie exécutée au prieuré quelques années après la fondation pour avoir une trace de cette fondation et des donations qui lui sont associés ou qui sont censés lui être associés.

Notes de bas de page

1 Arch. dpt de l’Oise, H2431 ; Müller, n°1.

2 Eugène Müller, Le prieuré de Saint Leu d'Esserent: cartulaire (1081-1538), n°3.

3 Albert Fossard, Le prieuré de Saint Leu d'Esserent (abbaye bénédictine de Cluny).

4 « Fouilles sur le site de la chapelle médiévale de Saint Michel », dans Bulletin de la société archéologique, historique et géographique de Creil, n° 109, 1980, p 5-24.

5 Dammartin-en-Goële, Seine-et-Marne, ch.-l. cant.

6 BNF : Ms. n° 10142 du fonds français

7 BNF : Ms. n° 15096 du fonds français

8 Les sources littéraires ne peuvent nous aider à retrouver les origines des Dammartin. Il faut s’appuyer sur les sources diplomatiques et les grandes études comme L’art de vérifier les dates, le père Anselme ou les travaux d’érudits tels que Joseph Depoin, Victor Leblond, Julien Delaitte ou plus récemment Jean-Noël Matthieu.

9 Comte de Luçay, Le comté de Clermont en Beauvaisis, étude pour servir à son histoire.

10 Montreuil, Pas-de-Calais, ch.-l. cant.

11 Aujourd’hui Nanteuil-le-Haudouin, Oise, cant. Crépy en Valois.

12 Breteuil-en-Beauvaisis, Oise, ch.-l. cant.

13 Nous parlerons, à présent, de Clermont pour désigner Clermont-en-Beauvaisis, Oise, ch.-l. cant.

14 nous ne savons rien de plus sur cette Constance ; .Julien Delaitte, Les comtes de Dammartin-en-Goëlle et leurs ancêtres du VIIIe au XIIIe .

15 Nous n’avons pu identifier quand les sources parlent pour la première fois de comté de Dammartin. Il semblerait qu’il fasse partie des nouveaux comtés nés au XIe siècle, Dammartin n’étant pas un pagus.

16 Senlis, Oise, ch.-l. cant.

17 Crépy-en-Valois, Oise, ch.-l. cant.

18 Olivier Guyotjeannin, Episcopus et Comes, p.19

19 Episcopus et Comes, loc. cit., la liste des biens et droits donnés suit cette phrase.

20 Bulles, Oise, cant. Clermont.

21 Cf note infra ; aujourd’hui Saint-Leu-d’Esserent, Oise, cant. Montataire.

22 Mouchy-le-Châtel, Oise, cant. Noailles.

23 Benjamin Guéard, Cartulaire de Notre-Dame-de-Paris, t. I, p. 325

24 Bouquet, tome X, 617 B ; William newman, Catalogue des actes de Robert II roi de France, n°72

25 Bouquet, tome X, 625 D ; Newman, n°88, ce dernier cite cette charte mais identifie Manassès au comte de Dreux et non au comte de Dammartin comme nous le pensons.

26 d’Arbois de Jubainville, Histoire des comtes et duc de Champagne, tome I, p. 291.

27 D’Arbois de Jubainville, loc. cit., t. I, p. 324.

28 Combs-la-ville, Seine-et-Marne, ch.-l. cant.

29 moranvillé, H., « Origine de la maison de Ramerupt-Roucy », dans Bibliothèque de l’Ecole des chartes.

30 Ex vita Beati Richardi abbatis Sancti Vitoni Virdunensis, dans Bouquet, t. XI, 459 A

31 Maurice Prou. Recueil des actes de Philippe Ier, roi de France (1059-1108), n°13.

32 Prou, n°11.

33 Frédéric Soehnée, Catalogue des actes d’Henri Ier (roi de France 1031-1060), n°55.

34 Prou, n°32

35 Prou, n°52

36 Prou, n°60

37 Prou, n°62

38 Beaumont-sur-Oise, Val-d’Oise, ch.-l. cant.

39 Montlhéry, Essonne, ch.-l. cant.

40 Montmorency, Val-d’Oise, ch.-l. cant.

41 Montfort-l’Amaury, Yvelines, ch.-l. cant.

42 Corbeil-Essonnes, Essonne, ch.-l. cant.

43 Soissons, Aisne, ch.-l. cant.

44 Mabillon dom, De re diplomatica libri VI, p. 586 D

45 Pierre Louvet, Histoire et antiquitez du pais de Beauvaisis, i 632

46 Bernard A., Bruel A., Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, n°3487. Brandalt Vileir semble être Brandonvillers, Marne, cant. Saint-Rémy-en-Bouzemont-Saint-Genest.

47 Nous parlerons d’Hescerent pour désigner le village antérieur à la fondation, de Saint Leu pour désigner le prieuré, et de Saint Leu d’Esserent pour désigner la ville à partir de la deuxième moitié du XIIe siècle et l’association entre le village et le prieuré.

48 Montmeliant, Val-d’Oise, cant. Luzarches, comm. Saint-Witz.

49 Bouquet, t. XI, pp. 158, 410 et t.XII, p. 135.

50 Prou, n°103 ; Müller,n° 1

51 Prou, n°107.

52 Bouquet, t. XV, p. 30

53 Benjamin Guérard, Cartulaire de l’église de Notre-Dame de Paris, tome I, p. 288 ; Mitry-Mory, Seine-et-Marne, ch.-l. cant.

54 Müller, n° 11.

55 Episcopus et Comes, pp. 70-73.

56 Saint-Quentin, Aisne, ch.-l. cant.

57 Guibert de Nogent, Autobiographie, éd. et trad. E.-R. Labande, Paris, 1981 (Classiques de l’histoire de France au Moyen-Âge, 34)

58 Episcopus et Comes, p. 72

59 Racinet Philippe, « Les prieurés clunisiens de Picardie au moyen âge et au XVIe siècle. Étude archéologique », dans Revue archéologique de Picardie, p. 199.

60 Racinet, Philippe, « Le prieuré clunisien de Saint-Arnoul de Crépy (Oise) : Histoire et archéologie », dans Revue archéologique de Picardie, p. 121.

61 Crépy-en-Valois, dpt Oise, diocèse de Senlis

62 Bernard A., Bruel A., op.cit., n°3493.

63 Longpont, Aisne, cant. Villers-Cotterêts

64 Coincy, Aisne, cant. Fère-en-Tardenois

65 Elincourt-Sainte-Marguerite, Oise, cant. Lassigny

66 Acy-en-Multien, Oise, cant. Betz

67 Moussy-le-neuf, Seine-et-Marne, cant. Dammartin-en-Goële

68 Arch. dpt. de l’Oise, H2431 ; Müller, n°1.

69 Pierre Louvet, Histoire et antiquité du diocèse de Beauvais, t. I, p. 645.

70 Bernard A. et Bruel A., op. cit., n°3586 ; Müller, n°2.

71 Malgré quelques erreurs de transcription (cf. les pièces justificatives), nous donnons les numéros de ligne par rapport à l’édition du chanoine Müller, charte n°1.

72 Müller, n°2.

73 Cf la partie consacrée aux difficultés de la mise en place.

B- Saint-Leu et les Dammartin

Après avoir étudié la fondation du prieuré, ses motivations, son contexte et ses acteurs, nous devons maintenant étudier les rapports qu’entretiennent le prieuré et la famille des fondateurs, les Dammartin. En effet, pendant trente ans, les Dammartin vont rester dans l’univers du prieuré. Cette influence se ressent dans les donations et les choix d’implantation des moines. Il est donc important d’analyser les motivations des Dammartin, Sont-elles seulement religieuses ou existe-t-il un enjeu seigneurial ? Quel prestige le prieuré apporte-t-il aux Dammartin ?

1- Une nécropole familiale

a- L'installation du prieuré dans l'enclos comtal

A la suite à la donation d’Hugues de Dammartin, les moines s’installent aux abords de l’église, sur une terre se situant au nord de l’église primitive. Le mécanisme de l’installation des moines à cet emplacement est assez difficile à reconstituer ; nous pouvons tout de même nous y risquer en prenant appui sur les différentes fouilles archéologiques menées dans et autour de l’église1. Ainsi, il semble que ce site ait été un sanctuaire religieux, bien avant le XIe siècle. Des sarcophages du haut Moyen Age ont été retrouvés sous les fondations de l’église dite primitive. Les constructeurs de cette église ont donc perturbé un site plus ancien pour construire une nouvelle église, certainement sur l’emplacement d’une ancienne nécropole.

La datation de l’église primitive a posé des problèmes, qui semblent aujourd’hui résolus. Or, cette datation est essentielle pour comprendre la stratégie d’Hugues de Dammartin. Lors de la première fouille, une monnaie de la fin du Xe siècle est retrouvée dans le remblai de tombe d’un sarcophage, Pierre Durvin en déduit la date de construction de l’église à la fin du Xe siècle. Dès 1959, Jean Hubert2 remet en cause cette datation après la communication de Pierre Durvin devant la Société nationale des Antiquaires de France. Il appuie cette remise en cause sur le plan qui lui paraît correspondre aux édifices du premier art roman régional que l’on retrouve dans le Soissonnais : Berny-Rivière, Montlevon, Oulchy-le-Château, ou encore la première église du prieuré clunisien de Nanteuil-le-Haudouin. Or, Dammartin est très proche de Nanteuil-le-Haudouin. Il semble donc plus vraisemblable que l’église dite primitive mise à jour par les fouilles de 1955 a été construite par Hugues de Dammartin peu avant 1081. Philippe Racinet ajoute qu’Hugues a fait construire cette église dans « le but de la céder à Cluny pour que l’abbaye y installe une communauté »3. Cette hypothèse est séduisante, mais les sources manquent pour la confirmer. Nous pouvons peut-être voir aussi dans cette construction la volonté d’Hugues de Dammartin de rassembler ses serfs autour d’un pôle constitué par l’église, dans le contexte d’encellulement.

La présence de l’église sur cette terre oblige les moines à s’installer sur le plateau. Au sud-ouest de l’église, la place manquait au développement de l’espace monastique. C’est pourquoi les moines s’installent au nord de l’église, certainement à l’emplacement d’un enclos comtal. En effet, il semble qu’une construction seigneuriale existait déjà à cet endroit. Le manoir prioral, construit au XIVe siècle, prend appui sur des substructions qui paraissent plus anciennes. D’autre part, l’emplacement du château à côté du prieuré se retrouve à Nanteuil-le-Haudouin et à Saint-Arnoul de Crépy-en-Valois, deux sites qui se trouvent à moins d’une trentaine de kilomètres de Saint-Leu.

Ainsi, Hugues fait construire une église sur un alleu lui appartenant à l’emplacement d’une ancienne nécropole. Elle lui permet d’affirmer son pouvoir seigneurial sur le terroir d’Hescerent. Au moment de la fondation, l’existence de cette église oblige donc les moines à installer leurs bâtiments conventuels à l’emplacement de l’enclos comtal. Les moines sont donc contrôlés par la famille de Dammartin. Ces derniers considèrent que cette fondation leur appartient, ils en font une nécropole familiale dont ils tirent un prestige certain. Les moines se sont installés sur une terre des Dammartin, mais pas n’importe laquelle, celle qui contient les symboles du pouvoir seigneurial au XIe siècle : l’église et le château.

b- Un prestige familial

Dans sa thèse sur les rapports entre l’aristocratie et le monachisme en Provence, Eliana Magnani Soares-Christen affirme : « La création d’un monastère est, avec l’élévation d’un château, un acte fondateur : le château est l’expression monumentale du pouvoir coercitif, le monastère est sa sacralisation. »4. Cette remarque faite sur un domaine géographique et sur une période différents semble appropriée pour qualifier la fondation d’Hugues de Dammartin. La fondation de ce monastère est avant tout un moyen de mettre en valeur sa famille. Avec Hugues, la famille de Dammartin acquiert une indépendance par rapport aux comtes de Ponthieu et devient une des familles les plus importantes du nord de l’Ile-de-France. Proche du roi ou en guerre contre lui, il pèse de tout son poids dans les jeux seigneuriaux. La proximité de son comté avec le domaine royal lui donne une position incontournable face aux aristocrates de la région. D’autre part, la fondation n’est qu’une suite logique à la restitution des églises de Bulles à l’évêque Guy de Beauvais. La fondation de Saint-Leu doit donc s’interpréter comme un signe de maturité de la famille de Dammartin. En plus du pouvoir seigneurial, cette fondation leur permet de se positionner au niveau religieux.

La présence du roi au moment de la fondation est tout à fait caractéristique du prestige qu’espère recevoir Hugues de cette fondation. Hescerent ne fait pas partie du domaine royal, pourtant Hugues légitime son action et fait souscrire sa donation par le roi de France, alors qu’il aurait pu se contenter du seigneur du Beauvaisis, l’évêque de Beauvais Guy. La présence du frère du roi, Hugues de Crépy et de sa femme Adèle de Vermandois ne fait qu’accentuer cette impression. Ce couple possède une place primordiale dans le nord de l’Ile-de-France à cette époque et Hugues voit certainement dans leur présence un moyen d’attirer les donations des autres aristocrates et, de gagner un certain prestige auprès du roi contre qui, rappelons-le, il était en guerre quelques années plus tôt.

L’installation clunisienne dans le nord de l’Île-de-France se fait par l’intermédiaire de seigneurs comme Hugues. Outre l’aspect religieux indéniable, ces seigneurs voient dans la fondation d’un établissement religieux un moyen d’assurer à leur famille un prestige et une mémoire éternelle. Ainsi, à plusieurs reprises dans le courant du XIIe siècle, le nom du fondateur Hugues de Dammartin est cité dans les chartes. Lors d’un conflit entre les moines et la population d’Hescerent sur la taxe sur le vin, les moines rappellent le souvenir d’Hugues qui leur avait fait cette donation pour rejeter les récriminations de la population5. Ce prestige d’Hugues a traversé les siècles, puisqu’il est devenu le héros d’une légende expliquant la fondation, comme nous l’avons déjà vu.

c- Être enterré à Saint-Leu : une nécessité pour les Dammartin

Outre le prestige familial, la fondation de Saint-Leu permet aux Dammartin de disposer d’un lieu de sépulture. Ainsi, les trente premières années de l’existence du prieuré sont marqués par l’inhumation des Dammartin à l’intérieur de l’église. Même si, comme nous l’avons vu, Hugues voyait dans cette fondation un moyen d’asseoir une domination seigneuriale dans le nord de l’Ile-de-France, il ne faut pas négliger les raisons religieuses. Pour les hommes de la fin du XIe siècle, le choix du lieu de sépulture est essentiel et la fondation de Saint-Leu est marquée par cette préoccupation.

La documentation nous apporte un cas bien précis d’inhumation d’un Dammartin à l’intérieur de l’église6. Il s’agit de Pierre, comte de Dammartin, fils et successeur d’Hugues de Dammartin. Les circonstances de sa mort sont assez particulières et illustrent l’importance que revêt l’enterrement à Saint-Leu pour les comtes de Dammartin. Vers 1107, Pierre est entraîné par son seigneur le comte de Champagne à combattre le roi de France, Louis VI le Gros. Au cours de la bataille de Gournay, Pierre est mortellement blessé : le texte de la charte nous dit : « captus infirmitate ». Il se réfugie dans le château de Rosnay7 en Champagne. Ce texte, qui est une notice d’un cartulaire perdu et recopié par Baluze au XVIIe siècle8, donne quelques précisions sur ce passage de la vie de Pierre. Selon ce texte, Pierre fait appel aux moines de Saint-Leu pour recevoir les derniers sacrements. Le prieur Aimar fait dépêcher à ses côtés le frère Brice9. Il reçoit les dernières donations de Pierre pour le prieuré de Saint-Leu. C’est à cette occasion que nous apprenons qu’Hugues a fini sa vie en tant que moine de Saint-Leu : « pater suus [Pierre de Dammartin] Hugo comes, monachus noster ». La donation s’accompagne des souscriptions des témoins, tous des proches des Dammartin.

La deuxième partie de la notice nous intéresse plus :

« Cumque omnia jure et ut competebat confirmasset, nimio animi fervore a nobis postulavit ut juxta patrem suum atque fratrem [matrem10] apud Sanctum Lupum de Escerente habere sepulturam mereretur ; quod Christo propitio, cum magno labore ac difficultate a nobis completum est. »

Par ce texte, nous apprenons qu’Hugues et sa femme Roaide, sont enterrés dans l’église de Saint-Leu. La première génération des Dammartin s’est donc bien servi de Saint-Leu comme une nécropole familiale. Il est donc normal de voir Pierre désireux d’être aux côtés de ses parents et être enterré à l’intérieur de l’église. Or, comme nous le voyons, les moines ont eu du mal à accomplir cela, « cum magno labore ac difficultate a nobis completum est ». Ces problèmes s’expliquent assez aisément : révolté contre le roi, Pierre a perdu son comté. Sa traîtrise a entraîné la confiscation du château de Dammartin-en-Goële par le roi de France, Louis le Gros, qui s’oppose certainement à ce que le comte soit enseveli à Saint-Leu. Faisant fi de ces problèmes, les moines réussissent à rapatrier le corps et à l’enterrer à l’intérieur de l’église. Le texte se termine par la confirmation des donations par la veuve de Pierre, Eustachie. Non seulement, il s’agit d’une priorité pour les Dammartin d’être enterré à l’intérieur de l’église de Saint-Leu, mais aussi pour les moines qui font en sorte de pouvoir respecter les désirs de Pierre de Dammartin. Ainsi, le prestige est partagé entre la famille de Dammartin et les moines. Ces derniers voient leur établissement valorisé par l’ensevelissement d’une grande famille aristocratique à l’intérieur de leur église.

2- Un moyen de contrôler la terre et les vassaux

a- Saint-Leu dans les terres des Dammartin

Les Dammartin possède au moment de la fondation de Saint-Leu un grand nombre de terres que nous pouvons séparer en trois parties : une francilienne, une champenoise et une beauvaisienne. Leur dispersion a, certainement, obligé Hugues à prendre des décisions pour réussir à les maintenir.

La plus importante correspond évidemment à la partie francilienne, autour de Dammartin-en-Goële, où les Dammartin possèdent un château. Le village de Dammartin surplombe la route allant de Paris vers Soissons et Reims, juste à la frontière du domaine royal. Les comtes de Dammartin ont donc peu à peu étendu leur influence à tout le nord-est de Paris. Les problèmes entre le chapitre de Paris et Hugues de Dammartin permettent d’apprécier ses possessions au nord de l’actuelle Seine-Saint-Denis et au sud du Val-d’Oise : Sevran11, Mitry-Mory sont les causes de nombreux conflits et valent à Hugues une excommunication. Le cartulaire blanc de Saint-Denis montre la puissance des Dammartin dans le dispositif mis en place par l’abbaye pour le contrôle et l’exploitation de ces terres et les problèmes qui en découlent. Ainsi, les Dammartin était les avoués de l’abbaye de Saint-Denis à Tremblay-en-France12 qui se trouve à une quinzaine de kilomètres de Dammartin13. Le sénéchal héréditaire des Dammartin était le seigneur d’Aulnay-sous-Bois14 dont l’autorité s’étendait au Blanc-Mesnil15 et à Bondy16. Les comtes de Dammartin disposaient aussi de deux points d’appui sur la Marne : Noisy-le-Grand17 et Annet. Leur territoire en Île-de-France s’étendait donc d’Ermenonville dans le diocèse de Senlis au nord à Noisy-le-Grand dans le diocèse de Paris au sud, et à tout l’ouest du diocèse de Meaux autour de Dammartin-en-Goële. Ainsi, ils maîtrisaient, dans cette partie francilienne, plusieurs voies d’accès : la route vers Soissons et Reims, la Marne, la route vers Senlis et encadraient une partie des possessions royales.

Les possessions champenoises de la famille de Dammartin sont tenues conjointement avec ses cousins de Ramerupt-Roucy et sont connues grâce aux donations d’Hugues et ses cousins à différents établissements ecclésiastiques. Le comte Ebles II de Roucy et son cousin Hugues de Dammartin abandonnent leur droit de voirie sur le site du prieuré de Mortcerf, au profit de l’abbaye Saint-Martin-de-Pontoise18. En 1082, Hugues est accompagné par ses cousins Ebles et André de Ramerupt pour donner à l’abbaye de Marmoutier le prieuré de la Celle-en-Brie19. Ainsi, ils possèdent quelques terres dans la Brie champenoise auxquelles il faut ajouter une partie de l’Arcesais et du pays de Rosnay, terre champenoise elle aussi20.

La dernière partie des possessions des Dammartin est composée des terres dans le Beauvaisis. Aucun document ne permet de savoir comment ces terres sont arrivées aux mains des Dammartin, ni même d’être sûr de leur étendue. Les seules certitudes concernent Hescerent, Bulles et le droit de transit sur l’Oise. Bulles se trouve à 18 km au nord-est de Beauvais. La plupart des historiens attribuent la possession de cette terre au mariage entre Hugues et Roaide. Les Dammartin possèdent le château de Bulles, ainsi que l’église du lieu qu’Hugues restitue à l’abbaye Saint-Lucien de Beauvais devant l’évêque Guy. En 1065, Hugues exempte de tout droit de transit sur l’Oise les navires de l’abbaye de Fécamp21. Quant à Hescerent, cette possession est connue par la donation qu’Hugues fait à Cluny et la fondation du prieuré de Saint-Leu.

Ainsi, Hugues est obligé de mettre en place différents moyens de contrôle sur les différentes terres qu’il possède : un contrôle direct sur la partie francilienne, un contrôle partagé avec ses cousins sur la partie champenoise qui lui est imposé par la possession partagé des terres dans cette partie et un contrôle indirect dans l’Oise. En effet, la fondation de Saint-Leu lui permet de laisser la tutelle officielle aux moines, mais en réalité, nous pouvons penser qu’Hugues contrôle toujours le terroir d’Hescerent et ses vassaux sur ce territoire. Par cette implantation et les facilités qui l’accompagnent, il oblige ses vassaux à faire des donations à Saint-Leu, et garde ainsi un contrôle, même réduit, sur les terres de ses vassaux. Tant que le prieuré contrôle les terres de l’Oise, il peut se concentrer plus facilement sur ses possessions franciliennes où il se trouve confronté au roi de France et aux établissements ecclésiastiques, chapitre de Paris et abbaye de Saint-Denis. D’autre part, Hescerent est un endroit stratégique dans l’accès au domaine royal. Le prieuré domine l’Oise, contrôle la rivière et permet d’avoir une vue dégagée vers Creil22 au nord et vers Boran23 au sud. L’Oise est un point d’accès à la Seine et une voie permettant aux marchands de Flandre d’acheminer leur marchandise vers le sud. Ainsi, Hugues contrôle une quatrième route stratégique d’accès au domaine capétien. Ne pouvant assumer seul cette surveillance, la mise en place d’un prieuré fidèle à sa famille lui assure la protection de ce territoire.

2- Dominer les vassaux par l’intermédiaire des moines

Hugues prend une décision importante dans l’acte de fondation. Il permet à ses vassaux de donner des terres dont il est le seigneur au prieuré de Saint-Leu sans réclamer de compensations financières24.

Cette décision a deux conséquences. Tout d’abord, elle assure aux moines l’afflux de donations et donc, la pérennisation de l’établissement. Ces donations sont motivés par le prestige familial des Dammartin et le fait que Saint-Leu représente leur nécropole familiale, les vassaux des Dammartin ont plus de facilité à donner à Saint-Leu qu’à un autre établissement ecclésiastique. D’autre part, elle permet aux Dammartin de contrôler les donations de terres qui leur appartiennent. Ils préfèrent voir une terre donnée à Saint-Leu qu’ils contrôlent même indirectement, plutôt qu’à un autre établissement ecclésiastique dont ils n’ont pas le soutien. En cas de problème, les moines de Saint-Leu peuvent aider les Dammartin, alors qu’un autre établissement ecclésiastique a plus de réticence. Ainsi, les quarante premières années de l’existence du prieuré sont marqués par des donations de petits aristocrates locaux se trouvant dans un rayon de 15 km autour du prieuré. Il est difficile d’être sûr que tous ces petits aristocrates sont vassaux des Dammartin, mais certaines chartes font référence directement aux Dammartin et nous pouvons identifier d’autres petits aristocrates parmi les proches des Dammartin. Sur les vingt-trois documents conservés sur la période allant de 1081 à 1117, treize documents sont le fait de proches de Dammartin ou font références directes aux Dammartin, huit documents ne peuvent être, à coup sûr, rattachés aux Dammartin, l’identification des personnes étant impossible, et seulement deux documents sont le fait de personnes totalement indépendantes des Dammartin : une bulle de confirmation du pape Pascal II25 et une donation de Gui le chambrier du roi26.

Les interventions des Dammartin sont de deux types : direct, c’est-à-dire qu’ils interviennent directement dans le déroulement de la donation ou indirect, c’est à dire que leur nom est cité ou qu’il s’agit de personnes identifiées parmi des proches ou des vassaux des Dammartin. Nous avons déjà étudié les deux premiers documents : l’acte de fondation et la notice de confirmation par Guy, évêque de Beauvais27. Quatre documents rapportent une intervention directe des Dammartin :

  • La vente d’une terre de Dammartin au prieur de Saint-Leu par Roger, marchand de Dammartin est acceptée par Pierre de Dammartin28 en 1104.

  • La donation d’Aubri dit Payen de Mello de la moûte d’Esserent est approuvée par Pierre de Dammartin29.

  • La donation de Pierre de Dammartin30 vers 1107

  • Un Hugues comte de Dammartin est témoin d’une donation d’un jardin par Pétronille, veuve de Dreux, fils d’Adam31.

Les deux donations confirmées par Pierre le sont à la demande des moines de Saint-Leu. Il est probable que les vassaux connaissaient les dispositions prises par Hugues, ils ne demandaient donc pas une confirmation de leur seigneur. Les moines, voulant s’assurer la possession de ces biens, préfèrent assurer la légitimité sur ces terres en faisant appel aux Dammartin. Ainsi, Pierre est prévenu de la donation qu’il peut confirmer suivant en cela les volontés de son père. Cet aspect est d’ailleurs présent dans une des chartes :

« Qui [Pierre de Dammartin] volens ut Ecclesia ab antecessoribus suis fundata suis etiam amplificaretur donis, elemosinam, sicuti facta fuerit tam in monneta quam in pratis libenter concessit… »

Dans ces conditions, nous avons l’impression que les Dammartin et les moines de Saint-Leu sont liés par une volonté commune, les deux parties trouvant leur avantage dans cette intervention : les moines, puisqu’ils s’assurent la possession des terres données, et les Dammartin, dont les vassaux donnent les terres à l’établissement ecclésiastique qu’ils ont fondé. De la même façon que pour les deux donations, la vente au prieur Aimar est faite avec le consentement de Pierre de Dammartin : « annuente Domino Petro comite de Domno Martino ».

Sept documents semble traduire une intervention indirecte des Dammartin. Parmi ces documents, deux font référence aux Dammartin mais sans qu’ils ne soient présents. Il s’agit des deux règlements de conflits qui ont lieu à la suite de la donation d’Hugues32. Les autres actes sont des donations de proches des Dammartin ou de vassaux. Ainsi, deux exemples sont caractéristiques de cet état de fait : la donation faite par un petit aristocrate : Foulques de Breuil33 et par Gérard, fils d’Igier de Bulles34. Breuil35 est une petite terre à moins d’un kilomètre du prieuré, aujourd’hui dépendante de la ville de Saint-Leu d’Esserent. Il est présent aux côtés du sénéchal des Dammartin dans une charte de Saint-Leu36, et de plus, il semble que le terroir de Breuil appartenait aux Dammartin. La famille de Breuil devient des proches du prieuré, nous les retrouvons à plusieurs reprises témoins du côté des moines ou acteurs de donations. L’autre exemple est la donation faite par Gérard, fils d’Igier de Bulles37. Ce dernier est bien attesté comme un proche des Dammartin. Il est témoin pour la restitution des églises de Bulles et pour la fondation du prieuré de Saint-Leu. L’ombre des Dammartin plane donc au-dessus de cette donation, d’autant plus que les biens donnés se trouvent à proximité des Dammartin : « quam apud Domnum Martinum castrum habebat juxta Ecclesiam Beatae Mariae quae cognominatur ad Evam »38. Ainsi, les Dammartin sont aussi présents dans ces donations, puisque la donation est faite soit par un de leurs vassaux, soit par un de leurs proches. A travers cette présence constante pendant les quarante premières années, ils s’assurent le contrôle des terres de la basse vallée de l’Oise et de leurs vassaux dans ce terroir. Ils permettent aussi d’accompagner la construction du nouvel établissement ecclésiastique et pérenniser son existence. Pourtant, d’autres circonstances vont voir la disparition des Dammartin du jeu seigneurial et donc de la documentation de Saint-Leu.

3- La disparition des Dammartin

a- Les problèmes de la famille de Dammartin

Malgré le prestige familial que leur donne la fondation du prieuré et les précautions prises par Hugues, la famille de Dammartin connaît une période difficile et trouble au début du XIIe siècle qui a pour conséquence la disparition des Dammartin de la documentation de Saint-Leu pendant plus de quarante ans.

A la mort d’Hugues vers 1100 ou au moment de son entrée dans la vie monastique, son fils, Pierre, prend sa succession. Ce dernier a laissé moins de traces dans la documentation que son père. Nous pouvons néanmoins réussir à retracer son parcours. Il apparaît pour la première fois aux côtés de son père, sa mère et ses sœurs pour la fondation de Saint-Leu39. En plus de l’acte de fondation, il apparaît dans sept documents:

  • Il est cité dans une charte de Louis VII de 1175 ou 1176 rappelant une charte antérieure par laquelle il exemptait le village de Lagny-le-Sec du droit de gîte40.

  • Il confirme vers 1104 une vente d’une vigne d’un marchand de Dammartin au prieur de Saint-Leu Aimar41.

  • Il confirme vers 1105 la donation d’Aubri dit Payen de Mello au prieuré de Saint-Leu42.

  • Il est mentionné dans une confirmation générale du pape Eugène III du 7 juin 1147 dans laquelle il est dit qu’il donna une terre aux chanoines du chapitre de Ruricourt.

  • Il donne à l’abbaye de Molesmes des terres de Coclois près de Ramerupt43.

  • Il souscrit une charte de l’abbaye de Montieramey44.

  • Avant sa mort, il fait des donations au prieuré de Saint-Leu et demande à y être enterré aux côtés de son père et de sa mère vers 110745.

Comme nous pouvons le constater, il ne fait que poursuivre la politique de son père dans les différents territoires possédés par la famille de Dammartin. Ainsi, dans les alentours de Dammartin-en-Goële, il intervient à Lagny-le-Sec46. Il confirme les donations au prieuré de Saint-Leu et s’investit dans la vie du prieuré. Il poursuit l’action de son père en Arcesais et en Pays-de-Rosnay avec sa donation à l’abbaye de Molesmes. Il ne change donc pas la politique familiale de présence dans le jeu seigneurial et de donations aux établissements ecclésiastiques.

Cette comparaison avec son père se poursuit dans les actes juridiques, puisqu’il a lui aussi des problèmes avec les chanoines de Paris, comme nous l’apprenons dans une lettre adressée au pape Pascal II en 1104, dans laquelle les chanoines demandent de l’excommunier et de lancer l’interdit sur ses terres. Enfin, l’échec de Pierre et, certainement, de la famille de Dammartin au début du XIIe siècle, se situe dans l’alliance avec le comte de Champagne. De la même façon que Manassès et, dans une moindre mesure, Hugues, Pierre trahit le roi de France. Il n’a pas réussi comme son père à limiter ses affrontements avec lui, il perd la vie mais aussi le comté à la suite de la bataille de Gournay en 1107. Le roi confisque le château de Dammartin et fait en sorte de confier la tutelle du comté à un proche : Lancelin de Beauvais.

Lancelin est issu d’une famille de puissants milites urbains qui réussissent à devenir à la fin du XIe siècle et le début du XIIe siècle des seigneurs banaux du plat-pays47. Il est le frère de deux évêques de Beauvais : Foulques (1089-1095) et Pierre (1114-1133) et fils aîné de Lancelin Ier. Ce dernier est bien connu dans la documentation. Il souscrit un diplôme de Henri Ier en 1057 et plusieurs diplômes de Philippe Ier en 1069 et 1079. A la suite d’Olivier Guyotjeannin, nous pouvons l’assimiler au bouteiller du roi, son homonyme48. Lancelin I est aussi le fondateur du prieuré de Villers-Saint-Sépulchre49 dépendant de Saint-Germer-de-Fly50. Il s’agit donc d’un lignage bien implanté dans le Beauvaisis et fidèle aux Capétiens. Pour confier le comté à ce proche, le roi marie Lancelin à une des filles d’Hugues de Dammartin et sœur de Pierre : Adélaïde. Dès 1111, Lancelin est qualifié de comte de Dammartin par Suger : « Lancelinum, comes de Domno martini »51. A la même date, ses relations avec le roi de France, Louis VI le gros, se détériorent. Il continue en cela la politique des Dammartin, puisqu’il prend le parti du comte de Blois Thibaut IV. Mais, à la suite de la paix entre Thibaut IV et le roi de France, Lancelin perd le « conduit » de Beauvais : « Lancelinum, comes de Domno martini, querelam Belvacensis conductus sine spe recuperandi amiserit »52. Seigneur de Bulles par son mariage avec Adélaïde, il n’a que la tutelle sur le comté de Dammartin à la place de son neveu, le fils de Pierre. Le roi de France aurait-il agi en conséquence de cette nouvelle trahison et serait-il intervenu de nouveau dans les destinées du comté ? Cette intervention royale est hypothétique, mais expliquerait le fait que nous ne trouvons aucune trace d’un comte de Dammartin entre 1111 et 1138.

Les destinées du comté sont assez difficiles à connaître après cette nouvelle trahison d’un comte de Dammartin. La solution la plus envisageable paraît être celle de Jean-Noël Mathieu publiée dans un article récent53. Après l’essai de mise au pas des Dammartin par l’intermédiaire de Lancelin, le roi décide de retirer la tutelle du fils de Pierre et la garde du château de Dammartin à Lancelin, puis de marier le fils de Pierre, peut-être Hugues cité dans une charte du prieuré de Saint-Leu54 à Clémence de Bar. Elle est la fille de Renaud Ier de Bar-le-Duc et de Gisèle de Vaudémont. Dans ce mariage, le roi voit plusieurs avantages. Il lui permet d’une part, de contrôler le comté de Dammartin, Clémence est alors très jeune et son mari ne doit pas être beaucoup plus âgé et, d’autre part, de renforcer ses liens avec le lignage de Bar. Cette stratégie est certainement influencée par l’abbé de Saint-Denis Suger, qui connaît de nombreux problèmes sur les terres de l’abbaye sous l’influence des Dammartin et qui veut récupérer des terres en Lorraine. Le fils de Pierre meurt, semble-t-il, assez rapidement et Clémence est remariée avec un membre de la famille des Clermont, le comte Renaud, un proche du roi.

Dès ce moment, la famille de Dammartin est séparée en trois branches : d’un côté, la branche des Bulles, c’est à dire les enfants d’Adélaïde de Dammartin et de Lancelin de Beauvais, la branche des Clermont, avec le mariage entre Clémence de Bar et Renaud de Clermont et une troisième branche que nous nommerons les Dammartin d’Angleterre que nous étudierons plus loin. Tous ces personnages apparaissent de façon sporadique pendant quarante ans dans la documentation de Saint-Leu, avant de faire une réapparition plus importante dans la deuxième moitié du XIIe siècle que nous étudierons plus loin.

b- Conséquences de cette disparition pour le prieuré de Saint-Leu

La disparition des Dammartin ne remet pas en cause la survie du prieuré. Les dispositions prises par Hugues et l’accompagnement de la famille de Dammartin pendant près de trente ans a permis au prieuré de se faire connaître et d’assurer les donations. La genèse du prieuré est terminée au moment où les Dammartin disparaissent de la scène politique. Par ailleurs, l’influence des Dammartin est toujours plus ou moins présente. La mémoire des fondateurs entretenue par les moines permet d’assurer le prestige de l’établissement. D’après la documentation, au moins trois membres de la famille des Dammartin, Hugues, sa femme et Pierre, sont enterrés à Saint-Leu et les moines ont participé à l’effort familial pour faire de Saint-Leu un lieu de sépulture familiale. Il faut ajouter que la branche des Clermont associée au prieuré depuis son existence55, ne cessera pendant toute la première moitié du XIIe siècle d’intervenir par des donations ou des confirmations. Elle reste néanmoins en retrait par rapport à son action pendant la deuxième moitié du siècle.

Ainsi, par la disparition des Dammartin, les moines accèdent à une certaine indépendance. Ils ne sont plus l’instrument d’une famille dans le jeu seigneurial. Ils peuvent totalement se concentrer sur la formation et la consolidation de leur patrimoine. Ainsi, à aucun moment les moines ne font appel à des Dammartin, même à Clémence en tant que comtesse de Dammartin, pour confirmer un acte ou une donation d’un vassal ou d’un proche des Dammartin. Ces derniers ne sont pas présents en tant que témoins lors d’une donation d’un de leurs proches. Ainsi, Gérard, fils d’Igier de Bulles, est un proche des Dammartin, puisque son père était présent à la restitution des églises de Bulles et à la fondation de Saint-Leu. Pourtant, les deux actes56 qui rapportent ses donations à Saint-Leu ne font aucune mention des Dammartin, même si la première concerne un château à côté de Dammartin et la seconde est faite dans cette ville. Nous l’avons vu, à l’époque de Pierre de Dammartin, ce dernier confirme plusieurs actes dont les terres concernent des possessions des Dammartin. La disparition des Dammartin donne aussi à leurs anciens vassaux une plus grande souplesse dans les donations qu’ils font au prieuré de Saint-Leu. Le contrôle du seigneur ne s’exerce plus et la donation perd dans ce contexte une partie de sa signification politique au profit d’un sentiment religieux. Dans la première donation de Gérard, le frère Brice joue un rôle primordial, puisqu’il a un rôle de prosélyte pour son établissement. Il encourage cette donation. Ainsi, l’attitude des moines trahit cette indépendance et l’absence de contrôle exercé par une tutelle supérieure. Pourtant, cette relative indépendance ne doit pas faire oublier les difficultés auxquelles les moines doivent faire face pour s’imposer dans le terroir et légitimer l’appartenance de leurs biens en droit propre.

Notes de bas de page

1 Pierre Durvin,"Les fouilles de l'abbatiale de Saint Leu", Bulletin de la société archéologique, historique et géographique de Creil, janv. 1956, pp1-7 ; Philippe Racinet, "Observations sur l'implantation et l'agencement du prieuré clunisien de Saint Leu d'Esserent", Revue archéologique de Picardie, 1-2, 1989, p.131-141 ; Jean-Louis Bernard, « Le prieuré de Saint-Leu d’Esserent (Oise), une réinterprétation du site après les fouilles de 1998. », Revue archéologique de Picardie, n°3-4, 2000, p 155-174.

2 Jean Hubert, « Observations sur l’intérêt des substructions retrouvées dans la nef de Saint-Leu d’Esserent », Bulletin de la société des Antiquaires de France, 1959, p. 72-73.

3 Philippe Racinet, art. cit., p. 135

4 Soares-Christen, Eliana Magnani, Monastères et aristocratie en Provence, milieu Xe – début XIIe siècle, p. 415.

5 Müller, n°33.

6 Müller, n°11.

7 Rosnay, Marne, cant. Ville-en-Tardenois.

8 BNF : Coll. Baluze, t. 46, p. 3-113, n°69

9 Brice est le seul moine à être nommé pendant tout le XIIe siècle, il réapparaît dans une autre charte. Il semble être un moine important dans le prieuré et proche des Dammartin, puisqu’il permettra la donation d’un proche des Dammartin, le fils d’Igier de Bulles.

10 Nous avons changé le fratrem en matrem, pensant qu’il sagit d’une erreur de transcription de Baluze, puisque Pierre n’avait pas de frère mais que des sœurs.

11 Sevran, Seine-Saint-Denis, ch.-l. cant.

12 Tremblay-en-France, Seine-Saint-Denis, ch.-l. cant.

13 Guyojeannin Olivier dir., Le cartulaire blanc de Saint-Denis, n°2, http://www.enc.sorbonne.fr

14 Aulnay-sous-bois, Seine-Saint-Denis, ch.-l. cant.

15 Le Blanc-Mesnil, Seine-Saint-Denis, ch.-l. cant.

16 Bondy, Seine-Saint-Denis, ch.-l. cant.

17 Noisy-le-Grand, Seine-Saint-Denis, ch.-l. cant.

18 Joseph Depoin, Cartulaire de Saint-Martin de Pontoise, n°11, 13, 14

19 Prou, n°107.

20 Bernard A., Bruel A., Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, n°3487, la ville de Brandalt Vileir correspond à la ville de Brandonvillers.

21 BNF : coll. Moreau, vol. 28, fol. 192.

22 Creil, Oise, ch.-l. cant.

23 Boran, Oise, cant. Neuilly-en-Thelle

24 Nous avons déjà cité cette clause de renonciation dans la partie consacrée à l’analyse de la charte.

25 Müller, n°3 bis.

26 Müller, n°29.

27 Müller, n°1 et n°2.

28 Müller n°4.

29 Müller, n°8.

30 Müller, n°11.

31 Müller, n°12, cf note infra.

32 Müller, n°3 ; Müller n°7.

33 Müller, n°15.

34 Müller, n°22.

35 Breuil, com. Saint-Leu-d’Esserent, Oise, cant. Montataire ; une charte de 1385 précise : « L’église du prieuré possède à Saint-Leu, un fief nommé le fief de Breuil comprenant un hôtel en ruines et un jardin » et les vieux plans cadastraux de Saint-Leu-d’Esserent indiquent une rue du Breuil.

36 Müller, n°16.

37 Müller, n°22.

38 Idem.

39 Müller, n°1.

40 Luchaire Achille, Etudes sur les actes de Louis VII, n°688.

41 Müller, n°4.

42 Müller, n°8.

43 Laurent J., Cartulaires de Molesme, tome I, n°148.

44 Abbé Lalore Ch., Collection des principaux cartulaires du diocèse de Troyes, tome VII, n° 26.

45 Müller, n°11.

46 Lagny-le-Sec, Oise, cant. Nanteuil-le-Haudouin.

47 Episcopus et comes, p. 102-103.

48 Ibid.

49 Villers-Saint-Sépulcre, Oise, cant. Noailles.

50 Saint-Germer-de-Fly, Oise, cant. Le-Coudray-Saint-Germer.

51 Suger, Vie de Louis VI le gros, p. 172.

52 Suger, Vie de Louis VI le gros, p. 172.

53 Mathieu, Jean-Noël, « Recherches sur les premiers comtes de Dammartin », Mémoires publiés par la fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, tome 47, 1996, p. 7-59

54 Müller, n°12, les interprétations sont nombreuses sur cet Hugues, pour certains comme Catherine Théry il s’agit d’Hugues de Dammartin, le fondateur de Saint-Leu, pour d’autres comme Müller ou Olivier Guyotjeannin, il s’agit du fils de Pierre qui n’est pas nommé dans la charte n°11 s’appuyant en cela sur les noms identiques des témoins entre les deux chartes. Nous pensons, effectivement, que cette solution est la plus probable, Hugues étant mort au mieux sept années plus tôt.

55 Müller, n°3 ter. Le chanoine Müller date, avec justesse, d’au plus tard 1101 certains privilèges et concessions rappelés dans une notice datée de 1150 et faites au prieuré par Ermentrude, fille d’Hugues de Clermont, sœur de Renaud et veuve d’Hugues d’Avranches, comte de Chester.

56 Müller, n° 22 ; Müller, n° 30.

C- Les difficultés de la mise en place

Les dispositions prises par Hugues de Dammartin permettent la fondation et la pérennisation du prieuré, mais déclenchent des conflits que les moines doivent régler. En effet, la propriété de la terre est remise en cause à plusieurs reprises et les moines doivent faire face à ces problèmes pour réussir à conserver les terres en jeu. Patrick Geary1 y voit la confrontation de groupes sociaux aux intérêts différents. Or, dans une France féodale où les tribunaux carolingiens ont disparu, comment les résoudre ? Il ne faut pas appréhender les règlements de conflits des XIe-XIIe siècles d’un point de vue juridique, comme ont pu le faire les historiens qui ont décrit l’ « anarchie féodale » mais d’un point de vue social et culturel, comme se propose de le faire Patrick Geary. Nous nous efforcerons donc de suivre ce modèle pour comprendre les mécanismes de déclenchement et de règlement des conflits.

1- Les différents acteurs des conflits

a- Les petits aristocrates

Il est important de définir ce groupe social et de justifier la dénomination choisie. Par petits aristocrates, il faut entendre une part importante des donateurs du prieuré qui vivent dans un rayon de 20km autour de l’établissement, vassaux de seigneurs plus puissants, souvent les Dammartin puis les Clermont, et qui ne sont présents dans la documentation d’aucun autre établissement ecclésiastique. Ils possèdent peu de terres, quelques taxes et ne disposent que peu de serfs. Ils se reposent, le plus souvent, sur leur entourage familial pour prendre en main le terroir, comme nous le verrons dans les conflits. Nous avons appliqué plusieurs critères pour définir ce groupe. Les petits aristocrates ne sont présents dans aucune autre documentation d’un établissement monastique. Ils doivent habiter dans un rayon de 10 km autour du prieuré. Ils portent souvent le titre de miles, même si ce critère est difficile à prendre en compte vu la difficulté de donner une définition au mot miles.

La famille la plus représentative de cette classe sociale dans l’entourage du prieuré est la famille de Breuil. Petit terroir à 1km du prieuré, Breuil appartient à une famille vassale des Dammartin. Dans tous les actes qui les concernent, ils sont facilement identifiables par le cognomen « de Breuil ». Il s’agit d’une famille importante dans les environs d’Hescerent et ils sont devenus des proches du prieuré. Les familles des petits aristocrates présentent certaines caractéristiques des grandes familles seigneuriales. Ainsi, nous pouvons identifier un programme anthroponymique dans cette famille. Sur l’ensemble du XIIe siècle, trois Foulques de Breuil sont identifiés. Cette caractéristique montre l’attachement particulier qu’avaient les familles seigneuriales, même petites, à assurer le maintien d’une tradition familiale et à travers cela leur autorité seigneuriale sur leurs terres.

L’attachement à leurs terres, peu nombreuses, est évidemment plus importante que pour les autres aristocrates, puisqu’elle assure le maintien de la seigneurie et donc le prestige familial. Les donations qu’ils font sont en général assez limitées et concernent souvent une terre aux abords de celles du prieuré. Par conséquent, il n’est pas rare de voir un membre de la famille du donateur contester la donation, car il se sent spolié d’une partie de la terre qu’il aurait pu récupérer au moment de la mort du donateur.

Dans la période de genèse du prieuré, la documentation a gardé le souvenir de deux conflits entre les moines et des petits aristocrates. Ces deux conflits sont difficiles à dater, les personnes impliquées difficiles à resituer dans le temps. Une seule certitude demeure, elles datent du début du XIIe siècle, au moment où les moines s’installent sur le terroir et essayent de s’imposer face à ces nombreux petits seigneurs locaux. Ces deux actes2 mettent en jeu des membres ou des proches de la famille de Breuil.

Dans le premier cas, le conflit est détaillé dans une notice de cartulaire. Elle narre tout d’abord la donation et ses circonstances. Il semble d’ailleurs que cette donation ait été faite à la suite d’un premier conflit qui n’est pas rapporté, car les moines donnent 40 sous et un cheval au donateur, signe d’un compromis entre les deux parties. Puis la terre donnée est réclamée à trois reprises par différentes personnes de la famille : le beau-frère du donateur, le frère cadet du donateur et la nièce du donateur, fille du premier réclamant. Ainsi, il s’agit de la famille proche du donateur qui remet en cause la donation à quelques années d’intervalle. Ils font cette réclamation directement auprès des moines du prieuré.

Dans le second cas, un peu plus tardif, après une donation, la petite-fille de la donatrice réclame la terre, alors que sa mère avait confirmé la donation. Il s’agit du même schéma que l’acte précédent. Un membre de la famille qui n’a pas assisté à la confirmation se sent spolié de cette terre donnée à l’établissement ecclésiastique et remet en cause cette donation. Cette action lui permet aussi de réaffirmer sa place à l’intérieur de sa propre famille et son droit sur les terres.

Enfin, il faut voir dans ces conflits l’envie des petits aristocrates de se rapprocher de l’établissement ecclésiastique. Par leurs donations et encore plus par ces conflits, ils établissent entre leurs familles et le prieuré un lien qui se prolonge dans le temps par d’autres donations ou des témoignages en faveur des moines. Ce phénomène a été décrit par Barbara Rosenwein3. Pour elle, ce lien met en place un sentiment de proximité4 entre le prieuré et les aristocrates. Or, ce lien est indispensable aux petits aristocrates locaux, dont la légitimité à s’imposer sur le terroir ne tient qu’à quelques terres. L’appui des moines et leur amitié renforce leur position face aux autres petits aristocrates. La famille de Breuil est très représentative de ce lien.

b- Les aristocrates

La puissance seigneuriale s’exprime de plusieurs façons : les petits aristocrates défendent une assise territoriale étroite, les ordres monastiques leur survie et l’influence spirituelle, et les aristocrates leur puissance seigneuriale. A la différence des petits aristocrates, les motivations ne sont pas familiales dans les conflits qui opposent les aristocrates aux moines de Saint-Leu, mais la puissance seigneuriale qui est remis en cause. Le conflit leur permet de réaffirmer leur pouvoir perdu et bafoué par la perte supposée d’une de leur terre. L’ordre social est perturbé et le conflit permet sa remise en place. La possession d’une terre par deux seigneurs, ici des moines et des laïcs, remet en question les hiérarchies et les liens sociaux existants, qui doivent être réaffirmés ou rompus. La situation est alors plus tendue qu’avec les petits aristocrates ou les autres ordres monastiques, puisque moines et aristocrates représentent les deux forces de la société féodale. Or, elles n’ont pas les mêmes impératifs et les mêmes objectifs. Les aristocrates assurent par la propriété de la terre leur puissance seigneuriale ; au contraire les moines, même s’ils sont seigneurs, assurent leur survie et leur puissance spirituelle sur leur terroir. Les aristocrates encadrent les hommes par la coercition, tandis que les moines encadrent aussi les hommes par la force de la religion. Il n’est donc pas étonnant que les conflits opposant moines et laïcs puissants soient les plus violents, d’autant plus qu’ils jouent sur le même terrain.

Le conflit le plus important au moment de la mise en place du prieuré et opposant les moines à un laïc puissant concerne le fief de Guy de la Roche5. Ce fief avait été donné aux moines par Hugues dans l’acte de fondation6 : « feodum quoque Vuidonis de Rupe, et feodum Rogerii de Nantolio ». Dix ans plus tard, Guy de la Roche et sa famille réclament ce fief. La famille de la Roche est une puissante famille du Vexin. Guy est le constructeur du château de la Roche-Guyon7 à une centaine de kilomètres de Saint-Leu d’Esserent. Il fait partie de l’entourage royal. Il ne réclame pas directement ce fief, mais son frère, Richard, envoie un de ses hommes pour porter réclamation. Ce dernier n’est pas nommé dans la charte, il n’est donné que quelques indications : « miles nepos Gisleberti de Marlo, qui vulgo vocabatur Compains, ex parte Ricardi, fratris Widonis de Rupe »8. La distance séparant La Roche-Guyon de Hescerent peut expliquer le fait que Richard de la Roche fait envoyer un de ses hommes pour porter réclamation. D’autre part, cette attitude montre qu’il cherche certainement aussi à démontrer la puissance de la famille et son assise territoriale aux alentours du prieuré. Ils montrent ainsi au prieuré qu’ils ont des hommes dévoués prêts à se déplacer en cas de problème et à attaquer les possessions des moines.

c- Les ordres monastiques

Les conflits avec le prieuré ne concernent pas que les laïcs. En tant que seigneur, les ecclésiastiques possèdent de nombreuses terres et au même titre que les seigneurs laïcs revendiquent les droits sur leur possession. Ils n’interviennent pas en tant que puissance religieuse mais en tant que propriétaire terrien. Les motivations sont évidemment différentes de celles seigneurs laïcs. Les ecclésiastiques ne cherchent pas à imposer leur puissance temporelle sur le terroir de la même façon que les petits aristocrates. Les terres qu’ils possèdent comportent deux enjeux pour eux. D’une part, la possession des terres assure à la communauté religieuse le ravitaillement en vivres nécessaire à la bonne marche de l’établissement soit en nature, soit en argent par la vente de leur production ou à travers les taxes qu’ils perçoivent sur ces terres. D’autre part, la possession d’une terre permet aux religieux d’avoir une assise dans un terroir. Cette assise se traduit, le plus souvent, par une présence religieuse de la communauté sur le terroir qu’il possède. Il n’est donc pas étonnant de voir des ordres monastiques en conflit avec le prieuré de Saint-Leu pour le contrôle d’une terre qu’ils possèdent tous les deux.

Ainsi, l’acte de fondation d’Hugues et les donations qu’il a faites aux moines de Cluny déclenchent un conflit entre les moines de Saint-Leu et les moines de Vézelay9. D’après cet acte, Hugues avait donné aux moines de Vézelay10 un cens, une vigne et une chapelle dans le bois Saint-Michel, petit bois au nord d’Hescerent, avant qu’il ne fasse sa donation aux moines de Cluny. Les moines de Vézelay réclament donc la propriété de cette donation antérieure. Comme les moines de Vézelay apprennent la donation d’Hugues, ils se dirigent vers le prieuré de Saint-Leu pour régler le conflit sur les terres que les deux communautés possèdent de droit puisque c’est le même seigneur, Hugues, qui les a données.

2- Déroulement du conflit

Dans son ouvrage Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny, Xe-XVe siècle, Didier Méhu présente ainsi les règlements de conflits rapportés dans les chartes : « Les chartes, seules sources sur lesquelles on peut s’appuyer pour tenter de saisir les ‘applications concrètes’ des normes sont rédigées par les moines. Elles codifient les règlements de conflits plus qu’elles n’en dressent un rapport ‘objectif’ »11. Evidemment, cette constatation vaut aussi pour la documentation de Saint-Leu. Il est tout de même intéressant d’étudier le déroulement des conflits, car bien que codifié, il nous apprend beaucoup sur la place que les moines s’assignent dans la société et surtout sur le type de rapport qu’ils veulent entretenir avec les autres membres de la société en particulier les plus influents : petits aristocrates, aristocrates et ordres monastiques.

a- La réclamation

Un conflit commence toujours par une réclamation. Les chartes de Saint-Leu emploient toujours le même mot : calumpnia. Ce mot vient du mot latin classique calumnia qui signifie accusation injuste. Niermeyer lui donne entre autres significations celle de fausse réclamation12. Cette étymologie nous renseigne sur le sentiment des moines vis à vis de ces réclamations. Ils se trouvent dans leur bon droit et le font savoir dans la notice qui découle du conflit. L’utilisation de ce mot renvoie à la remarque de Didier Méhu vue précédemment. Celui qui lance le conflit se présente aux moines pour réclamer le bien en jeu. Les petits aristocrates se présentent en personne, ils font souvent partie de la famille des donateurs initiaux. En revanche, Richard de la Roche fait envoyer le dénommé Compains, neveu de Gislebert de Mello13. Cette attitude peut montrer la différence de statuts entre les deux réclamants, mais s’explique aussi par la distance séparant la Roche-Guyon de Saint-Leu d’Esserent.

La réclamation crée le conflit en lui-même mais déclenche aussi la rupture dans la société. A partir de ce moment-là, le conflit doit être réglé pour que la société retrouve son ordre naturel. Cette réclamation n’a pas lieu dans l’acte qui met en jeu les moines de Vézelay14. Cette rupture n’existe donc pas quand les deux partis mettent en jeu des ecclésiastiques. Leur vision commune de la société leur permet d’éviter l’affrontement produit par la calumpnia.

b- Les différentes réactions des moines

Les moines ne réagissent pas de la même façon en fonction du réclamant. Cette remarque vaut pour les trois types de réclamant ici étudiés. Ainsi, les moines ne cherchent pas à envenimer le conflit face aux petits aristocrates. Cette attitude peut s’expliquer assez facilement. Les petits aristocrates sont issus de la même zone géographique que les moines, ils doivent donc s’efforcer de mettre en place une cohabitation pacifique. D’autre part, les moines préfèrent payer une compensation et garder la terre. Ils agrandissent leur patrimoine foncier et garantissent la pérennité économique de leur communauté et leur assise territoriale sur le terroir autour d’Hescerent. Enfin, ces petits aristocrates peuvent se révéler des alliés de poids face à des chevaliers qui pourraient venir piller leur terre. Les moines de Saint-Leu ne disposent pas de moyens armés, leur seule défense réside dans les armes religieuses. L’appui des petits aristocrates, implantés dans le terroir, leur assure, dans un premier temps, une défense. Cet état de fait est renforcé par la présence à de nombreuses reprises de membres de la famille de Breuil15, petits aristocrates influents, pour souscrire des chartes du côté des moines.

De la même façon, les moines ne cherchent pas l’affrontement avec les autres ordres monastiques. Dans la charte envisagée16, le souvenir commun d’Hugues de Dammartin évite un lourd conflit entre les deux communautés. Le texte insiste d’ailleurs sur cet aspect : « pro concordia pacis et amore predicti comitis [Hugues de Dammartin] ». D’autre part, les moines partagent la vision commune d’une société où les clercs doivent assurer la paix sur terre, même s’ils font partie de deux communautés différentes. Malgré tout, plus que les problèmes religieux, ce conflit montre que les clercs peuvent se comporter en seigneur, lorsqu’il s’agit de défendre leur terre.

En revanche, le conflit peut être beaucoup plus violent avec les aristocrates. Ainsi, le conflit qui oppose les moines à Richard et Guy de la Roche prend une toute autre nature, d’après la notice17 qui nous la rapporte. Dès le préambule, les moines rappellent la fondation du prieuré par Hugues de Dammartin et les donations qui l’accompagnaient. Ils indiquent même la présence de l’abbé de Cluny, Saint Hugues, à cette fondation pour renforcer la légitimité de leurs possessions. Ils insistent aussi sur l’importance de l’écrit dans l’inaliénabilité de leur terres :

« litteris confirmabant, ne ulla dissensio amplius inde oriretur, quatinus in ecclesia Dei sub testimonio litterarum, pax et concordia semper inesset »

Ce préambule annonce l’importance que représente la terre en jeu pour les moines et surtout, qu’ils se considèrent dans leur bon droit, possédant la charte de donation d’Hugues de Dammartin. A la suite de la réclamation, les moines sont prêts à faire appel à la justice du comte, c’est-à-dire à une personne extérieure pour juger le conflit. Cette action montre que les enjeux de ce conflit sont totalement différents des autres. En effet, installés depuis dix ans, les moines n’ont certainement pas encore réussi à s’imposer sur leur terroir. La terre de Guy de la Roche donnée par Hugues représente certainement une bonne partie de leur terroir à ce moment-là, et renoncer à cette terre serait un problème économique, mais aussi stratégique dans la perspective d’une véritable implantation autour d’Hescerent. Les deux parties en sont amenées aux menaces de guerre et de pillage : « vel depredatio aut combustio injuste facta esset. ». Ainsi, la réaction des moines est proportionnée à l’importance de la terre et au prestige et à l’importance des réclamants.

3- Le règlement du conflit

a- Déroulement du règlement

Le règlement des conflits est assez simple pour la période envisagée (1081-1120). Il ne fait intervenir aucun arbitrage, contrairement à la période suivante. L’absence d’arbitrage est peut être due à la jeunesse de la communauté monastique. Les moines sont certainement peu nombreux et le prieuré n’est pas encore structuré. Les moines font donc face seuls aux conflits qui se présentent à eux et essayent de les régler le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions.

Les réclamants se voient donc offrir une compensation sous forme d’argent en fonction de la terre en jeu, ou abandonnent la terre sans compensation, on parle alors de guerpitio ou werpitio :le réclamant évacue la terre en jeu au profit des moines. Ainsi, Bourdin18, sœur d’un petit aristocrate donateur, se voit offrir 20 sous de Senlis ; pour la même terre, Achard, frère du même donateur, 20 sous de Beauvais, et Havoise, fille de Bourdin, 10 sous de Senlis. Guy de la Roche19 reçoit 100 sous, son frère, Richard qui avait lancé la réclamation, 7 livres et le fils de Guy de la Roche, 25 sous. Enfin, dans le troisième conflit étudié20 qui amène une compensation, Geoffroy reçoit 40 sous de Beauvais. Nous remarquons que les sommes sont différentes. Le conflit le plus important entre Guy et Richard de la Roche et le prieuré amène les plus grosses compensations. Ceci s’explique par la position sociale différente des réclamants qui sont des aristocrates proches du roi de France, et certainement à cause de l’étendue de la terre envisagée. Au contraire, les petits aristocrates reçoivent des compensations plus modestes. Nous avons l’impression qu’elles servent à les faire taire et à s’assurer la tranquillité de ces personnes. En effet, Guy de la Roche est certes plus éloigné mais beaucoup plus puissant et l’envoyé est une démonstration de force. En revanche, Bourdin, Achard ou Geoffroy n’ont pas de puissance militaire importante, mais ils sont proches du prieuré. En donnant cette compensation qui peut paraître symbolique à côté de celle de Richard de la Roche, les moines cherchent à assurer la paix à l’intérieur de leur terroir.

Le paiement de la compensation peut s’accompagner d’une clause de promesse21, de la donation d’une autre terre22 ou de la restitution de la compensation sous forme de donations23. Ces actes mettent fin aux conflits. Les donations prennent alors la signification d’une donation normale, ce que nous étudierons dans une autre partie. En ce qui concerne Guy et Richard de la Roche, nous pouvons penser que ce règlement les arrange. Ils ont mis, d’après le texte, une dizaine d’années à réagir avant de réclamer la terre. Ainsi, ils obtiennent de l’argent d’une terre qui leur appartenait mais qu’ils ne géraient plus et qui était trop loin de leur comté d’origine. La donation de leurs compensations ne représente pas pour eux un sacrifice énorme, au contraire, le prestige et l’avantage religieux qu’ils en tirent sont supérieurs et montrent leur magnanimité.

b- Les moines, garants de la paix

Les conflits mettent en péril la cohésion sociale de la société. Pourtant, ils ont une utilité non négligeable, puisqu’ils permettent de mettre en place des liens privilégiés entre les réclamants et les moines. Le règlement du conflit voit la remise en place de la société telle que les moines la voient. Ils se posent alors en garant de la paix que Didier Méhu a qualifié de « paix clunisienne »24. Or, pour ce dernier, « la paix n’existe pas sans la guerre, sans certaines remises en cause de l’ordre social qui produisent des ajustements, parfois des bouleversements fondamentaux, mais qui conduisent le plus souvent à la réaffirmation quasi rituelle de l’ordre. »25. Ainsi, les conflits permettent aux moines de réaffirmer une paix qui correspond à leurs idéaux clunisiens. Le règlement du conflit voit la restauration ou l’instauration de cette conception monastique de la paix : « harmonie entre Dieu, les hommes et les saints, via la médiation des ecclésiastiques…tendant à la réalisation de l’unitas et de la concordia »26.

Les conflits présents dans la documentation du prieuré n’échappent pas à cette remarque. Dans tous les conflits, les moines se posent comme des garants et des amoureux de la paix et les mots utilisés montrent cet état de fait : « pax et concordia semper inesset »27, « ut pacis amatores, ipsos eosdemque fratres perpetuo pacificos habere volentes »28, « pro concordia pacis »29. Ces exemples pris dans les conflits de la fin du XIe et du début du XIIe siècle montrent donc l’importance qu’accordent les moines à ce sentiment de paix. Leur rôle dans la société est à leurs yeux de maintenir cette paix. Les conflits leur servent à réaffirmer cette position et les notices rédigées à la suite des conflits n’oublient pas de le rappeler. Même dans les premiers temps, au moment de la structuration de la communauté, les moines imposent leur vision aux réclamants éventuels et à ceux qui voudraient remettre en cause leur place dans le terroir voire dans la société.

Loin de démontrer l’anarchie féodale, ces conflits et leurs règlements montrent l’organisation précise d’une société. Ils permettent à ses composantes de mettre en place entre elles des relations essentielles. L’analyse du règlement du conflit révèle une organisation précise des évènements. Chaque parti y voit des avantages non négligeables. Les aristocrates réaffirment leur position sur la région ou dans une famille, ils mettent en place une « proximité » avec l’établissement ecclésiastique et, d’un point de vue économique, les compensations leur permettent de posséder du numéraire, alors que l’économie se transforme peu à peu. Quant aux moines, les conflits leur permettent d’asseoir leur présence sur les environs et leur rôle de seigneurs sur le terroir, et ils peuvent par l’intermédiaire des conflits mettre en place une concordia avec les réclamants, c’est à dire imposer à la société leur vision de la « paix clunisienne » essentielle pour continuer à survivre et pour la poursuite des donations.

Notes de bas de page

1 Geary, Patrick J., « Vivre en conflit dans une France sans état : typologie des mécanismes de règlement des conflits (1050-1200) », Annales ESC, septembre-octobre 1986, n°5, pp. 1107-1133

2 Müller n°5 ; Müller n°17.

3 Barbara H. Rosenwein, To be the neighbor of Saint Peter, the social meaning of Cluny’s property, 909-1049.

4 Nous avons voulu essayer de traduire le terme « neighborhood », le terme français de “proximité” nous a paru le plus approprié.

5 Müller, n°3.

6 Müller, n°1.

7 La Roche-Guyon, Val-d’Oise, cant. Magny-en-Vexin.

8 Müller, n°3.

9 Müller, n°7

10 Vézelay, Yonne, ch.-l. cant.

11 Didier Méhu, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny, Xe-XVe siècle, p. 259.

12 Niermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, p. 116.

13 Mello, Oise, cant. Montataire.

14 Müller, n°7.

15 Par exemple, Müller, n°32. Nous reviendrons sur cette famille et en particulier sur la figure d’Eudes de Breuil

16 Müller, n°7.

17 Müller, n°3.

18 Müller, n° 6.

19 Müller, n°3.

20 Müller, n°17

21 Müller, n°6.

22 Müller, n°17.

23 Müller, n°3.

24 Didier Méhu, op. cit., p. 231-236.

25 Didier Méhu, op. cit., p. 232.

26 Didier Méhu, op. cit., p. 235.

27 Müller, n°3.

28 Müller, n°6.

29 Müller, n°7.

II- Le temps de la consolidation de l'établissement, 1120-1150

Malgré les difficultés, le prieuré de Saint-Leu se structure et s’organise. Les moines réussissent à s’implanter sur le territoire d’Hescerent et à faire face aux conflits. La disparition des Dammartin leur permet d’acquérir une indépendance dans leur champ d’action, même si le souvenir et l’influence indirecte de cette famille sont toujours présentes. Il leur faut maintenant s’imposer complètement, augmenter leurs possessions et les consolider pour pouvoir survivre, organiser leur espace prieural et la vie liturgique qui doit l’accompagner.

A- Etude du lien établi entre les moines et la société par la donation

Les donations sont les actes les plus représentés dans notre documentation. Dans la période envisagée (1107-1150), sur 55 documents, 35 rapportent des donations. Cette constatation révèle l’importance de la donation pour le prieuré de Saint-Leu, comme pour tous les établissements ecclésiastiques. Une étude attentive s’impose donc pour essayer de comprendre les mécanismes de la donation, sa signification et les motivations qui poussent les donateurs. Il n’est bien sûr pas ici question de refaire l’analyse de Barbara Rosenwein, dont l’ouvrage To be the neighbor of Saint Peter est entièrement consacré à cette question, mais plutôt d’essayer de s’appuyer sur ses résultats, comme elle le préconise elle-même1. Ainsi, nous essayerons d’aborder le problème des donations comme un phénomène global en essayant de ne jamais séparer les aspects sociaux, économiques et religieux liés à chaque instant dans cette relation entre les moines et les autres composantes de la société.

1- Qui donne ?

a- Les petits aristocrates

Il n’est plus utile de présenter ce groupe social que nous avons défini dans la première partie. Composante essentielle de l’entourage du prieuré, les petits aristocrates sont aussi des donateurs importants du prieuré. Plus que les conflits, les donations sont le moment privilégié de la relation entre le prieuré et la petite aristocratie. L’appui que représente l’amitié des moines est pour ce groupe essentiel à sa légitimité. Ainsi, les donations des petits aristocrates constituent 34% de l’ensemble des donations. Ces petits aristocrates sont souvent des vassaux de comtes plus importants comme les Dammartin ou les Clermont. Pourtant, certaines familles de petits aristocrates s’imposent et leur influence est palpable dans un certain nombre de donations. C’est le cas de la famille de Breuil dont nous avons déjà vu l’intervention dans les conflits qui représente un exemple parmi d’autres de petits aristocrates donateurs.

Les Breuil semblent avoir compris, dès l’installation du prieuré, de l’avantage qu’il pourraient tirer du fait de mettre en place des relations privilégiées avec les moines. D’un point de vue géographique, ce sont les aristocrates les plus proches du prieuré, donc les premiers appuis ou les premiers ennemis pour le prieuré. Cette influence s’exprime par des donations directes et la présence des Breuil parmi les témoins. Sur l’ensemble des donations, 14 % des donations peuvent être à coup sûr attribuées à des Breuil ou à leurs proches. Cette proportion s’élève à 41 %, si nous ne prenons en compte que les donations des petits aristocrates. Barbara Rosenwein explique que les donations tendent à être dominées par un certain nombre de membres-clés de la communauté locale2. Il semble que ce soit le cas pour les Breuil qui représentent la petite aristocratie locale.

Un personnage de cette famille est représentatif de l’importance de la famille et de ses liens privilégiés avec le prieuré. Il s’agit d’Eudes de Breuil qui apparaît à huit reprises dans notre documentation entre 1104 et 1136. Il est le fils de Foulques de Breuil et est marié à Aude. Il est qualifié à deux reprises de miles. Il fait donc partie de la chevalerie mais il ne faut pas pour autant en tirer conclusion sur sa place dans l’aristocratie ; le terme miles est difficile à définir et sa réalité nous échappe encore largement. La première mention date de 1114, il est témoin lors de l’achat d’une terre à Dammartin par le prieur3. Proche des Dammartin, le jeune Eudes de Breuil était peut-être alors au service de son comte pour faire son apprentissage. Il est ensuite à six reprises témoin dans des donations ou des conflits dont quatre4 clairement identifié du côté des moines. Il intervient d’ailleurs à plusieurs reprises à la fin de sa vie, puisque ces cinq dernières apparitions se font sensiblement à la même époque. La dernière5 est, bien-sûr, une donation qui représente une sorte d’apogée des rapports entre le prieuré et ce personnage. Il fait une donation avant de prendre l’habit monastique et de mourir. Nous reviendrons plus loin sur cette pratique. Il faut voir dans cette donation l’aboutissement de la proximité (« neighborhood ») entre les moines et Eudes de Breuil. La donation est pour les petits aristocrates le rapport le plus important établi avec les moines au XIIe siècle.

b- Roi, évêques et comtes

De la même façon que pour les précédents, les donations des aristocrates sont dominées par des personnages-clefs de la communauté locale. Nous trouvons quatre influences majeures parmi les donateurs : le roi de France par des interventions directes6 ou par des donations d’officiers royaux7, l’évêque de Beauvais8, seigneur du Beauvaisis, les Dammartin et les Clermont. Les donations que nous pouvons attribuer aux aristocrates représentent la moitié de l’ensemble des donations. Les motivations sont sensiblement les mêmes que pour les petits aristocrates, même si les enjeux sont ici plus importants. La différence avec le précédent groupe réside dans l’étendue de la zone d’influence. Alors que la famille de Breuil cherche à s’imposer sur un territoire d’un rayon de 5 à 10 km, les aristocrates ont un champ d’action beaucoup plus élargi qui s’étend à l’ensemble du nord de l’Île-de-France pour le roi ou à l’ensemble du Beauvaisis pour l’évêque ou les Clermont.

L’influence de ces différents personnages est sensible à des périodes bien déterminées. Ainsi, la disparition des Dammartin dont nous avons déjà analysé l’influence sur les donations laisse peu à peu place aux Clermont dont l’importance s’accroît dans cette première partie du XIIe siècle. Ainsi, ces deux familles se partagent l’essentiel des donations : 20% pour les Dammartin et 25% pour les Clermont. Le transition entre les Clermont et les Dammartin se fait aux alentours de 1120. L’importance de ces deux familles dans les donations du prieuré leur permet d’accroître leur champs d’action sur l’ensemble du Beauvaisis et d’augmenter leur puissance sur la région. A travers les donations, ils contrôlent l’action de leurs vassaux et voient dans le prieuré un allié de poids. Il ne faut pas oublier la place géographique stratégique de Saint-Leu dans le passage vers l’Île-de-France et Paris.

L’évêque de Beauvais a une position un peu plus ambiguë envers le prieuré de Saint-Leu. L’immunité clunisienne empêche une intervention directe sur les affaires religieuses du prieuré, mais son rôle de seigneur du Beauvaisis ne l’écarte pas totalement des affaires du prieuré. Pourtant, les rapports entretenus entre eux ne sont nullement conflictuels, comme dans d’autres évêchés. Au contraire, certains évêques sont des donateurs de Saint-Leu et des proches du prieuré, comme Eudes II, évêque de Beauvais de 1133 à 1145. Ancien abbé de Saint-Germer-de-Fly, son statut d’ancien bénédictin a certainement permis un rapprochement plus facile avec Saint-Leu. Il fait deux donations aux moines de Saint-Leu9. Les donations des évêques tiennent donc plus aux personnages qu’à une véritable tradition. D’autre part, Saint-Leu étant à 30 km de Beauvais et à l’extrême-sud du diocèse, le prieuré représente pour les évêques un utile point d’appui pour transmettre les messages de la réforme grégorienne. L’évêque de Beauvais agit donc en tant que seigneur, mais aussi en tant qu’évêque dans ses donations pour Saint-Leu. Ses motivations sont donc les mêmes que celles des autres aristocrates, même si les objectifs recherchés sont un peu différents. Le but est de quadriller l’espace et d’imposer son pouvoir, à la fois seigneurial et religieux, sur le Beauvaisis10.

Pour les moines, l’appui des aristocrates est fondamental, car leurs donations leur permettent d’accroître leurs possessions de façon plus considérable que celles des petits aristocrates. L’éloignement des donations faites par les aristocrates leur permet d’augmenter leur zone d’influence. Cet éparpillement géographique leur font espérer l’arrivée de nouveaux donateurs qu’ils n’auraient pu espérer sans cela. Outre cette importance économique non négligeable, la proximité avec les aristocrates fait de ces derniers des alliés de poids en cas de problèmes divers. Ainsi, il réside dans ces liens créés par la donation un impact social et un prestige pour la communauté monastique. Avec les donations, ils associent les aristocrates à leur societas. Or, disposer de l’appui du roi de France, des Dammartin puis des Clermont est pour eux une chance vis à vis du rôle qu’ils peuvent jouer face aux autres communautés monastiques de la région. Le prieuré de Saint-Leu est une grosse communauté, les travaux engagés à l’époque sont importants et il ne pourrait y faire face sans les donations des aristocrates.

2- A qui donnent-ils ?

Sur les 35 donations de la période envisagée, 30 donations comportent des donataires précis. Elles sont toutes différentes, mais des termes reviennent régulièrement en fonction du donateur et du moment de la donation. Elles sont du type : « Ecclesie sancti Lupi et monachis Deo ibi militantibus »11 ou « Deo et sanctis ejus Petro et Paulo, Sancto Lupo et monachis cluniacensibus ibi Deo servientibus »12. Ces dédicaces, même si elles sont rédigées par les moines, peuvent donner un aperçu des sentiments des donateurs et surtout de la perception qu’ils ont de l’établissement ecclésiastique. Il est donc essentiel d’étudier les mots utilisés, les occurrences et leur place dans la dédicace.

a- l’ecclesia

Le mot ecclesia englobe le monument église, mais il désigne par extension l’ensemble du prieuré. Le mot prieuré n’est pas encore utilisé à l’époque13 et les donateurs désignent l’établissement ecclésiastique par ce mot. En 1145, l’établissement est désigné pour la première fois par un autre mot : « monasterio »14. Ainsi, le mot ecclesia est utilisé à 21 reprises dans les dédicaces, de façon directe à 11 reprises, c’est-à-dire que les donateurs dédient leurs donations à l’ecclesia15, ou de façon indirecte à 10 reprises, c’est à dire que le mot est utilisé dans une expression du type : « monachisque in eorum ecclesia servientibus »16. Dans toutes les dédicaces adressées directement à l’ecclesia, le mot est associé à l’expression « Sancti Lupi ». L’église est dédiée à Saint-Leu. Cette précision permet aussi aux donateurs de s’attirer les bienveillances du saint, intercesseur auprès de Dieu. Ainsi, il semble qu’une ecclesia ne peut être désignée sans sa dédicace. D’autre part, lorsque la dédicace est directement adressée à l’ecclesia, le mot est placé 10 fois sur 11 en première position dans la dédicace. Cette remarque montre l’importance qu’avait cette dédicace aux yeux des donateurs ou des rédacteurs des actes. Ils sont ainsi liés directement à l’établissement qu’il s’agisse du prieuré ou des moines. Ils peuvent espérer disposer d’une sépulture à l’intérieur même de l’église. D’autre part, ils renforcent ainsi le lien de proximité déjà établi par la donation. Enfin, il est important de noter que cette dédicace est faite le plus souvent à la fin de la période envisagée, entre 1130 et 1150. Or, cette période correspond au début de la construction de la façade occidentale de la nouvelle église. Ces deux événements sont certainement liés. En lui dédiant leurs donations, les donateurs sont ainsi directement associés à la construction de l’église, ce qui est un prestige supplémentaire à la donation elle-même.

b- Saint Leu

Saint Leu est la forme picarde de saint Loup, évêque de Sens du VIe siècle. Nous n’avons aucun renseignement sur les raisons qui ont motivé ce choix et nous ne pouvons déterminer si ce patronage est antérieur ou postérieur à l’installation des moines à cet endroit. Il semble que saint Leu ne patronnait que l’église, mais par extension et pour les raisons que nous avons exposé précédemment, Saint-Leu a désigné l’ensemble du prieuré et enfin, tout le village qui a pris le nom de Saint-Leu-d’Esserent au XIIIe siècle.

Le nom de « saint Leu » est aussi usité dans les dédicaces. De la même façon que pour ecclesia, il peut être employé de façon directe à 8 reprises ou de façon indirecte, à 21 reprises. Il peut désigner l’église, les moines ou le monastère : « sanctoque Lupo de Escerens monachis quoque ille morantibus »17 par exemple. Lorsqu’il est utilisé de façon directe, les donateurs cherchent à s’attirer la bienveillance du saint, intercesseur des hommes auprès de Dieu. Par ailleurs, toutes les possessions du prieuré sont sous le patronage de saint Leu, mêmes les terres. Donner une terre à saint Leu renforce le lien avec le saint et donc son influence dans l’intercession. La plupart du temps, saint Leu est associé à Dieu, saint Pierre et saint Paul et est toujours placé après ces derniers : « Deo et beatis apostolis Petro et Paulo atque sancto Lupo, monachisque in eorum Ecclesia Deo servientibus »18. Il est donc associé aux deux apôtres Pierre et Paul, saints patrons de Cluny et les deux saints les plus importants de l’occident médiéval.

c- Dieu, saint Pierre et saint Paul

Ce triptyque est une des particularités des donations aux maisons clunisiennes. Saint Pierre et saint Paul étaient les deux patrons de Cluny, l’importance de Pierre est primordiale pour Cluny et ses donateurs. L’immunité dont disposait Cluny faisait directement dépendre l’abbaye du pape, descendant de Pierre, premier évêque de Rome. Or, le patrimoine de la papauté est aussi appelé patrimoine de saint Pierre. Ainsi, toutes les terres données au prieuré devenaient une partie du patrimoine de saint Pierre19 qui détient les clés du paradis, d’où son importance dans la société médiévale occidentale. Il est le meilleur intercesseur. A travers la dédicace à saint Pierre, c’est aussi l’appartenance à Cluny qui s’exprime. Les moines revendiquent cette appartenance prestigieuse à l’ecclesia cluniacensis. Cette importance de saint Pierre et son patronage sur Cluny a certainement eu un effet sur le nombre de donations aux établissements clunisiens20. Il faut relier cela au fait que cette dédicace est plus souvent utilisée avant 1120. Les moines sont en train de former leurs possessions, il leur faut trouver un moyen de s’attirer le plus de donations. Le patronage de saint Pierre en est un excellent. La terre donnée reliait directement le donateur à saint Pierre et saint Paul. Ainsi, l’expression « Deo et beatis apostolis Petro et Paulo »21 ou un équivalent est employée à 10 reprises, sans la présence de Paul : « Deo et beato Petro »22 à 4 reprises dont 3 fois où il est précisé saint Pierre de Cluny, et Dieu seul à trois reprises. Lorsque ces trois sortes de dédicaces sont employées, elles sont toujours en première position. Cela s’explique aisément par leur importance. Dieu est toujours le premier, suivi de Pierre puis de Paul. Il faut voir dans cet ordre une hiérarchie céleste mise en place par les moines médiévaux : Dieu étant bien-sûr le plus important, puis le premier saint, Pierre, détenteur des clefs du paradis, suivi de Paul associé à Pierre à Rome. Cette médiation céleste a été soulignée par Barbara Rosenwein : « Les terres données à Saint Pierre devaient avoir un caractère de locus sanctus, c’est à dire qu’elles pouvaient être un lien entre le monde naturel et surnaturel »23 et Dominique Iogna-Prat : « Les laïcs recherchent la compagnie de Pierre, porte-clés du ciel, auprès duquel ils souhaitent être inhumés et dont ils veulent se faire un avoué pour le jour du jugement »24. Cette dédicace permettait aux donateurs de s’attirer la miséricorde de dieu et l’intercession des saints et aux moines de trouver une légitimité dans leurs liens avec Cluny.

d- Les moines

La dédicace qui revient le plus souvent est adressée aux moines du prieuré. Elle est présente 24 fois dans la documentation. Ils sont bien-sûr les principaux destinataires de ces dons. La donation est le lien privilégié qui unit les moines aux composantes de la société, en particulier les aristocrates et les petits aristocrates. Pourtant, les dédicaces qui leur sont adressées sont toujours en dernière position : « ecclesiae beati Lupi et monachis in ea Deo servientibus »25. Nous pouvons en conclure que les motivations religieuses passent avant les motivations sociales. Il ne faut pas oublier que ces actes sont écrits par les moines, nous pouvons donc aussi y voir une volonté de leur part de se positionner après Dieu, les saints et l’ecclesia, les aspects religieux l’emportent sur leur condition terrestre de moines.

Toutes ces dédicaces s’accompagnent de qualificatifs précisant leur rôle ou leur place. Cinq participes présent substantivés sont utilisés : « famulantibus », « commorantibus », « servientibus », « militantibus », « morantibus ». Ces verbes recouvrent deux réalités différentes : servir Dieu, le Christ ou l’ecclesia et résider à Saint-Leu ou dans l’ecclesia. Les verbes rappelant le service sont les plus représentés. Avant tout pour les donateurs, les moines sont donc au service de Dieu, de l’église et de tous les aspects qui se rapportent au service divin. Ils peuvent aussi être définis par leur appartenance à Cluny : « cluniacensibus »26. Leur rôle social est donc rappelé à travers ces dédicaces ainsi que l’importance du lien de proximité mis en place entre eux et les donateurs. Elles expriment tout à la fois les réalités sociales, religieuses et économiques des donations. Elles laissent entrevoir les motivations et la signification des donations qu’il faut maintenant étudier plus précisément.

3- Motivations et signification de la donation27

a- Le salut et la mémoire.

La première motivation qui apparaît, lorsqu’on se penche sur la documentation, concerne le salut de l’âme des donateurs. Les expressions du type : « pro redemptione anime sue suorumque parentum »28 ou « pro anima sua et parentum suorum salute »29 reviennent comme des leitmotiv dans toutes les donations. Il existe un échange entre biens matériels que sont les donations et les instruments spirituels offerts par les moines, en particulier la prière. Or, les biens matériels possédés par les aristocrates leur venaient de leurs ancêtres, la pratique du don « pour le salut de l’âme » était pour eux un moyen de rendre leurs bienfaits aux ancêtres et seuls « les moines avaient le pouvoir de transformer les dons matériels en dons spirituels (les suffrages pour les défunts), seuls biens dont pouvaient profiter les morts »30.

Si nous prenons le schéma proposé par Marcel Mauss31 et en se gardant bien de l’appliquer complètement à la société médiévale du XIIe siècle, un don entraîne un contre-don, la donation est considérée ici comme un don, et la prière constitue le contre-don. Cette motivation révèle des aspects spirituels les plus fondamentaux de la société médiévale occidentale : l’accès au paradis après la mort, le salut au moment du jugement dernier et la conservation de la memoria, c’est-à-dire du souvenir de la personne. Exprimer directement cette raison dans leurs donations permet aux donateurs de s’attirer la miséricorde de Dieu. Il faut associer ces expressions aux dédicaces à Dieu et à saint Pierre, détenteur des clefs du paradis. Par cette dédicace, les donateurs cherchent l’intercession de saint Pierre pour le salut de leurs âmes. Le salut des vivants et des morts passe par la médiation des prières des moines

Il existait dans les établissements clunisiens des nécrologes, ou martyrologia. Disparus à Saint-Leu, s’ils ont existé, ces livres contenaient le nom des donateurs pour qui les moines devaient dire des prières en fonction de jours précis. Il semble que les donateurs pouvaient aussi faire partie d’une communauté de proches du prieuré, la societas. La donation était un moyen d’intégrer cette societas, dont nous reparlerons plus loin et qui permettait entre autres d’attirer la prière des moines sur eux et leurs familles.

Les expressions concernant l’âme et le salut sont présentes à 17 reprises dans la documentation de la période envisagée. Elles ne concernent pas simplement le donateur, mais associent souvent des membres de sa famille :

  • à 10 reprises, ses ancêtres, ses prédécesseurs : « antecessorum »

  • à 6 reprises, ses parents : « parentum »

  • à 4 reprises, le conjoint : « pro remedio anime ejusdem viri sui jam defuncti »32

  • et à 2 reprises, les enfants : « suorumque filiorum et filiarum »33

Nous voyons ici s’exprimer l’importance des ancêtres et des personnes de la famille déjà décédées. En citant les ancêtres, les vivants conservent leur souvenir, leur memoria. Pour Michel Lauwers, « ils [les donateurs] préparaient leur salut mais se souciaient beaucoup de celui de leurs ancêtres »34. Les donations étaient donc un moyen de conserver et entretenir la mémoire des morts. Au contraire, les agressions des mêmes aristocrates dont pouvaient être victimes les moines étaient sanctionnées par la privation de la mémoire. Le fait de faire ou de défaire la memoria représente pour les moines un pouvoir qui « participait à une sorte de contrat social qui les [les moines] liait, au moins implicitement, aux aristocraties locales »35.

b- La conversion monastique et l’anniversaire de la mort

Parmi les raisons religieuses, la conversion monastique et l’anniversaire sont celles qui sont le plus clairement exprimées. En effet, les expressions sur l’âme et le salut sont tellement utilisées que nous pouvons nous demander s’il ne s’agissait pas d’une formule habituelle qui ne recouvrait aucune réalité. Au contraire, ces deux raisons, plus rares dans notre documentation, semblent être de véritables motivations de la donation.

L’exemple d’Eudes de Breuil est très caractéristique. Proche du prieuré, Eudes de Breuil fait une donation à la fin de sa vie pour se convertir à la vie monastique dans le prieuré de Saint-Leu36. Cet acte lui permet d’abandonner les aspects matériels de sa vie, représentés par ses biens. La donation permet de subvenir à ses besoins à l’intérieur de la communauté. En effet, les moines doivent apporter des biens à la communauté pour qu’elle puisse survivre. C’est pourquoi Eudes de Breuil concède ses biens au prieuré. En échange, les moines doivent verser un cens à sa femme et à ses enfants. Certains historiens ont voulu voir dans la conversion monastique des raisons qui n’étaient pas simplement religieuses. Pour eux, certaines familles, confrontées au nombre d’enfants, faisaient convertir un de leurs enfants accompagné par une donation de terres. L’enfant, devenu moine, pouvait continuer à gérer la terre donnée par sa famille. Elle gardait ainsi le contrôle de sa terre et recevait le prestige de la donation. Il est, malheureusement, difficile de confirmer cette hypothèse avec nos seules sources.

La documentation du prieuré conserve deux exemples précis d’anniversaire : celui de Marguerite de Gerberoy37, sœur de Renaud de Clermont38, et celui d’Adélaïde, femme de Gislebert d’Angleterre et autre sœur de Renaud de Clermont39. Par sa donation, Marguerite fait partie de la societas des moines. Ainsi, elle a droit à une sépulture à l’intérieur de l’église et l’anniversaire de sa mort est célébré par des prières qui lui sont directement adressées :

« Ut autem domne Margarite memoria in ecclesia Beati Lupi perhenniter haberetur et anniversarium ejus in eadem ecclesia solemniter celebraretur, sextam partem decime de Corleio praedicte ecclesie ambo, Gerardus et Margarita donaverunt. »40

La motivation est ici clairement apparente, la conjonction ut accentue cette impression. Il faut noter que cette donation a été faite du vivant de Marguerite, mais il semble que l’acte a été rédigé après son décès : « Margarita de Gerboreio, filia Hugonis de Claromonte apud Hescerentum presentem vitam terminavit et honorifice est sepulta. ». De la même façon, sa sœur fait une donation pour son anniversaire : « Hadalaidis, filia Hugonis de Claromonte, scilicet uxor Gisleberti de Anglia in ecclesia beati Lupi anniversarium suum comparavit »41. Il est important de noter la présence de deux membres de la même famille parmi les anniversaires du prieuré. Il semble que les Clermont font de Saint-Leu leur nécropole familiale très tôt, avant de dominer totalement le Beauvaisis et le prieuré. La place laissée vide par les Dammartin ne tarde donc pas à être reprise par les Clermont, les deux donations datant des années 1136. Il semble aussi que leur père, Hugues de Clermont, et sa femme, avaient déjà leurs anniversaires à Saint-Leu : « ut quemadmodum anniversaria patris sui Hugonis et matris sue Margarite fiunt. »42 La famille de Clermont fait partie des donateurs habituels et des proches du prieuré de Saint-Leu. Il n’est donc pas étonnant de voir les deux sœurs faire ces donations.

c- La donation comme règlement d’un conflit

La donation peut aussi être le résultat d’un règlement de conflit. La compensation offerte par les moines peut être redonnée, en étant posée sur l’autel. La terre ou le bien contestés peuvent aussi être finalement donnés aux moines. Ainsi, la terre réclamée par Richard et Guy de la Roche est donnée au moment du règlement de conflit aux moines, comme s’il s’agissait d’une donation normale :

« Illi vero dederunt jus quod dicebant se habere in illa terra pro remedio animarum suarun Ecclesie Cluniacensi, et seniores receperunt eos in benefactis suis et in societate Ecclesie sue. »43

Dans ce cas, la paix est rétablie par une donation. Elle permet aussi à Richard et Guy de la Roche de faire partie de la societas et d’attirer, ainsi, les prières sur leur famille. Les deux partis sont alors contentés, le lien est rétabli. Les moines gardent la terre, les réclamants prennent la compensation.

d- L’économie de la donation

La donation peut aussi être perçue comme un élément de base d’un système économique. L’économie du don peut aussi être une raison de la donation. Le XIIe siècle ne connaît pas encore une économie dans laquelle la monnaie tient une place principale, surtout en milieu rural. De plus, Saint-Leu est dans une zone rurale, la monnaie est donc rare et les seuls à en posséder sont les seigneurs laïcs ou ecclésiastiques. Les règlements de conflit permettent aux petits aristocrates l’apport de numéraire grâce aux moines. Ainsi, l’économie de Saint-Leu est certainement plus basée sur l’économie du don que sur un embryon d’économie de marché, comme certaines villes à la même époque. Dans le système décrit pour la première fois par Marcel Mauss44, les biens circulent par le don ou le vol. La donation aux établissements ecclésiastiques est donc la pierre angulaire du système économique mis en place à cette époque. En retour, les donateurs reçoivent des biens spirituels, les prières, la societas des moines, la sépulture dans l’église ou la conversion monastique. Dans ce système, les aspects religieux et économiques sont étroitement liés. Il ne s’agit pas pour les hommes médiévaux de quantifier les biens spirituels. Pour eux, le don appelle un contre-don offert sous forme spirituelle par les moines. La donation est vécue alors comme une nécessité pour la bonne marche de l’économie et donc de la société. Ils n’ont pas conscience de cette importance, la donation est une action normale pour eux, de la même façon que consommer est normal pour nos contemporains. La transformation de l’économie pendant le XIIIe et surtout le XIVe siècle fait disparaître cet aspect fondamental de la donation ce qui peut être une des explications de la baisse du nombre de donations à cette époque.

d- Les motivations sociales

Le prestige procuré par les donations est non négligeable pour expliquer l’attitude des aristocrates. Comme nous l’avons déjà étudié pour Hugues de Dammartin, les donateurs y voient un moyen d’asseoir l’influence de leur famille dans la zone du prieuré. Par la donation à un établissement ecclésiastique, ils affirment leur présence sur un territoire. Les petits aristocrates comme les Breuil essayent d’asseoir une assise territoriale face à d’autres petits aristocrates comme les chevaliers d’Hescerent ou de Thiverny. Les Dammartin ou les Clermont cherchent à couvrir une zone d’influence plus vaste, le nord de l’Île-de-France pour les Dammartin et le Beauvaisis pour les Clermont. Le prestige est partagé par les moines qui voient dans les donations de grands aristocrates la possibilité de récupérer les donations de leurs vassaux. Par exemple, les Dammartin permettent la donation d’Aubri, dit Payen,de Mello qui est clairement identifié comme un vassal45. Les Clermont sont représentés par des membres de leur famille, par exemple les deux sœurs de Renaud de Clermont ou par des proches comme leurs vassaux, tels que les Cressonsacq46. Chaque camp trouve son avantage dans ce système de prestige, dans lequel les causes religieuses ou spirituelles permettent aussi une assise territoriale.

Une certaine reconnaissance provient donc des donations. Elle peut être simplement inconsciente ou clairement recherchée par les aristocrates. Ainsi Renaud de Clermont, après sa donation du tiers du transit du pont de Creil, cherche sa confirmation auprès des plus hautes responsabilités religieuses et politiques de la région. Il prie directement Eudes II, évêque de Beauvais47, Samson, l’archevêque de Reims, métropolitain du diocèse de Beauvais48 et le roi de France, Louis VII49 de le faire. Cette attitude lui permet d’affirmer son implantation sur le sud du Beauvaisis et fait de lui le protecteur attitré du prieuré. Il cherche ainsi à montrer la lente ascension de sa famille à la tête du Beauvaisis. L’évêque de Beauvais en reste bien-sûr le seigneur, mais Renaud de Clermont cherche à prendre le pouvoir politique sur la région, même s’il n’a pas les titres. En faisant confirmer sa donation, il lui donne plus de poids et une légitimité dont il a besoin pour valoriser sa famille auprès des autorités ecclésiastiques et laïques. Cette motivation sociale est donc indéniable. Elle n’est peut-être pas recherchée par tous les donateurs, mais apparaît pour un certain nombre d’entre eux. La position du prieuré et son importance font de Saint-Leu un établissement à ne pas négliger pour dominer le jeu seigneurial du nord de l’Île-de-France, ce que le roi de France et ses officiers, en particulier ceux originaires de Senlis, ont bien compris, le roi en confirmant l’usage des forêts royales que son père et Louis VI leur avait octroyé et les officiers en faisant des dons, comme Guy, chambrier du roi50.

e- « Crisis as a motive »51

La dernière motivation peut être d’ordre psychologique. Les aristocrates ont un mode de vie qui ne correspond pas à leur morale chrétienne. Ils ont des richesses, des biens matériels. Leur vie est consacrée à augmenter leurs possessions et à combattre les autres seigneurs, laïcs et ecclésiastiques, pour récupérer leur territoire. Arrivés vers la fin de leur vie, ils sont confrontés à un dilemme entre leur vie et leur croyance. Ils doivent ressembler au Christ pour avoir accès au paradis. Ils décident alors de faire des donations aux établissements ecclésiastiques, pour expier leurs pêchés et se débarrasser d’un certain nombre de leurs possessions.

L’exemple parfait de cette crise intérieure vécue par les aristocrates est celui d’Hugues de Dammartin. Le préambule de la charte de fondation exprime la volonté d’Hugues de Dammartin de s’approcher de l’idéal de vie du christ :

« Dum unusquisque in presenti seculo labenti et erumnoso vivit, cogitare debet qualiter in futuro eternaliter sine penuria et egestate cum christo vivere possit. »52

Il est confronté toute sa vie à son idéal de Chrétien face aux décisions seigneuriales qu’il est obligé de prendre pour assurer la pérennité et le prestige de sa famille. La donation de l’église d’Hescerent à l’évêque et des autres biens à Cluny est vécue comme une expiation personnelle de ses fautes, par exemple ses exactions commises à l’encontre des chanoines du chapitre de Paris, et comme un moyen de résoudre cette crise personnelle.

Notes de bas de page

1 Barbara Rosenwein, op. cit., p.12.

2 Barbara Rosenwein, op. cit., p. 75.

3 Müller, n°4

4 Müller, n°19, n°31, n°32, n°34 ; les deux autres apparitions d’Eudes de Breuil sont Müller, n°16 et n°33

5 Müller, n° 35.

6 Müller, n°57.

7 Müller, n°49.

8 Müller, n°25 par exemple.

9 Müller, n°45 et Müller, n°48.

10 Nous reviendrons plus loin et plus longuement sur les rapports entre les évêques de Beauvais et le prieuré et sur la place du prieuré dans la réforme grégorienne.

11 Müller, n°6.

12 Müller, n°13.

13 A ce propos, on peut voir l’article d’Anne-Marie Bautier, « De ‘prepositus’ à ‘prior’, de ‘cella’ à ‘prioratus’ : évolution linguistique et genèse d’une institution (jusqu’en 1200) », dans Prieurs et prieurés dans l'Occident médiévale. Actes du colloque organisé à Paris le 12 novembre 1984 par la IVe session de l'École pratique des Hautes Études et l'Institut de recherche et d'histoire des textes, édité par Jean-Loup Lemaître.

14 Müller, n°49.

15 Vu la complexité de la notion d’ecclesia, nous préférons ne pas traduire ce terme.

16 Müller, n°9.

17 Müller, n°15.

18 Müller, n°10.

19 Barbara Rosenwein, op. cit., p. 75.

20 Cf supra.

21 Müller, n°10.

22 Müller, n°19.

23 Barbara Rosenwein, op. cit. p. 5.

24 Dominique Iogna-Prat, op. cit., p. 75.

25 Müller, n° 38 par exemple.

26 Müller, n°21.

27 Je ne chercherai pas à faire l’historiographie des motivations de la donation comme l’a fait brillamment Barbara Rosenwein dans le premier chapitre de l’ouvrage déjà cité auquel je renvoie le lecteur. J’essayerai plutôt de les aborder d’un point de vue global sans privilégier une motivation plutôt qu’une autre.

28 Müller, n°6.

29 Müller, n°19.

30 Michel Lauwers, La mémoire des ancêtres, le souci des morts, morts, rites et société au Moyen Âge (diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles), p. 191.

31 Marcel Mauss, « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. », L’année sociologique, tome I, 1923.

32 Müller, n°12.

33 Müller, n°12.

34 Michel Lauwers, op. cit., p. 186.

35 Michel Lauwers, op. cit., p. 182-183.

36 Müller, n°35.

37 Gerberoy, Oise, cant. Songeons.

38 Müller, n°31.

39 Müller, n°40.

40 Müller, n°31.

41 Müller, n°40.

42 Ibid.

43 Müller, n°3.

44 Marcel Mauss, art. cit.

45 Müller, n°8.

46 Müller, n°88.

47 Müller, n°41.

48 Müller, n°43.

49 Müller, n°44.

50 Müller, n°19.

51 Barbara Rosenwein, op. cit., p.47.

52 Müller, n°1.

B- Formation et consolidation du patrimoine

L’essentiel du patrimoine foncier du prieuré est composé grâce à des donations. Les moines doivent gérer, organiser et consolider ces possessions pour réussir à survivre économiquement et donc à poursuivre leur dessein spirituel. La relative indépendance du prieuré par rapport aux grandes familles aristocratiques et à Cluny à cette époque permet aux moines d’agir plus librement. Il leur faut maintenant s’imposer sur leur territoire et organiser le patrimoine bâti.

1- S’imposer sur la région

a- La formation du patrimoine du prieuré

La formation du patrimoine du prieuré s’appuie sur la donation initiale d’Hugues de Dammartin. Les possessions d’Hescerent constituent la base du patrimoine foncier du prieuré. Elles se composent de l’église, de terres, de bois, en particulier le bois Saint-Michel qui fait l’objet d’un accord avec les moines de Vézelay, de serfs, d’hôtes, de diverses taxes et revenus, de la justice et des fiefs de Roger de Nanteuil et de Guy de la Roche1. Les moines sont très attachés à ces possessions, à cause de leur importance économique et aussi à cause de la mémoire attachée à la fondation du prieuré. Ils font face à Guy de la Roche lors du conflit qui les oppose2 ou aux habitants d’Hescerent, lorsqu’ils veulent remettre en cause les droits des moines sur la vente du vin3.

Entre 1081 et 1107, l’augmentation des possessions du prieuré se fait autour de deux pôles : Hescerent et les possessions des Dammartin. La communauté est jeune et encore peu connue dans la région. Les donateurs sont souvent des petits aristocrates locaux. Par conséquent, il est normal qu’Hescerent et ses alentours soient les premières possessions du prieuré. Ainsi, les moines acquièrent des terres sur les différentes terres d’Hescerent comme Boissy4 et Rufaut5, à Montataire6 et à Cramoisy7 ; ces deux derniers villages se trouvent à environ 5 km du prieuré. Les possessions des Dammartin constituent le deuxième pôle de développement du patrimoine du prieuré. Cela s’explique par l’influence des Dammartin dans les premières années d’existence du prieuré et en est encore une preuve. Le premier document attestant la possession d’une terre à Dammartin est un achat d’une terre par Aimar, prieur de Saint-Leu. Cet achat est le seul conservé dans notre documentation8. Par la donation de Pierre de Dammartin, le prieuré acquièrt des revenus divers à Ermenonville9 et à Bulles. Ces deux villages ne se trouvent pas à proximité du prieuré, Ermenonville est à 20 km et Bulles à 30 km du prieuré. Ces donations permettent aux moines d’étendre leurs possessions au delà d’Hescerent.

Le développement des possessions dans la période suivante (1107-1150) se fait autour de trois phénomènes : l’augmentation des possessions autour d’Hescerent, la fin de l’influence des Dammartin et l’arrivée des Clermont parmi les donateurs du prieuré. De la même façon qu’à la période précédente, les moines renforcent leur implantation autour du prieuré grâce aux donations des petits aristocrates locaux. Ainsi, en plus des terres supplémentaires à Hescerent ou à Cramoisy, s’ajoutent des terres et des revenus à Précy-sur-Oise10, Villers-sous-Saint-Leu11, Trossy, petit hameau de Saint-Maximin12, Thiverny13 et Gouvieux14. Toutes ces possessions se trouvent à moins de 5 km du prieuré et en constituent les premières réserves. Elles sont directement gérés par le prévôt. Au début de cette période, la présence des Dammartin se fait encore sentir. Ainsi, les moines acquièrent des terres autour de Dammartin à Eve15 ou à Orcheu16, petit hameau aujourd’hui disparu. Avec ces terres, Dammartin-en-Goële constitue un point d’ancrage important pour les moines de Saint-Leu dans le nord-est de l’Île-de-France.

La seule évolution à cette période dans la constitution des possessions est due à l’arrivée des Clermont dans l’entourage du prieuré. Leurs donations et celles de leurs vassaux permettent aux moines de posséder des terres à une vingtaine de kilomètres du prieuré. Ils renforcent ainsi leurs positions dans le Beauvaisis, face aux autres établissements monastiques très présents dans la région, en particulier l’abbaye cistercienne de Chaâlis, à côté d’Ermenonville. Nous pouvons regrouper les donations des Clermont autour de trois zones géographiques : Hescerent, Clermont et Thorigny-sur-Marne17. De la même façon que les Dammartin, nous pouvons penser que les terres aux alentours du prieuré donnés par les Clermont sont pour eux plus difficile à gérer. Elles ont aussi un intérêt stratégique non négligeable18 et permettent aux moines de renforcer leur présence sur la région et de contrôler leurs possessions de façon plus homogène. Le deuxième pôle constitué par les donations des Clermont se trouve aux alentours de la ville de Clermont : Mouchy-le-Châtel, Cauvigny19, Avrigny20, La-Rue-Saint-Pierre21, Cauffry22. Il est un nouveau point d’appui pour le prieuré et son développement. Toutes ces possessions se trouvent dans un rayon de 10 Km autour de Clermont. Enfin, il faut signaler la donation de taxes et de revenus diverses à Thorigny-sur-Marne, au sud de Paris par Adélaïde de Clermont. Nous ne pouvons pas parler de pôle, puisqu’il s’agit d’une donation isolée et qui n’amène pas de donations postérieures au prieuré.

Le prieuré a donc constitué son implantation au XIIe siècle autour de trois points principaux motivés par leurs principaux donateurs : Hescerent, Dammartin-en-Goële et Clermont. En plus des terres, les moines reçoivent diverses taxes, revenus ou dispenses, comme l’usage de la forêt d’Halatte23, la remise du droit de forage de l’évêque de Beauvais24 ou encore de le droit de rivage sur l’Oise à Pontoise25. Au milieu du XIIe siècle, les possessions du prieuré sont à peu près fixées. La période suivante est marquée par des donations de rentes plus que de terres et surtout par une augmentation des conflits. Les moines doivent maintenant réussir à conserver leur patrimoine.

2- Une stratégie monastique ?

A plusieurs reprises, la documentation montre les moines en train de faire du prosélytisme auprès de certains aristocrates pour faire des donations. Les possessions en jeu ont-ils un intérêt pour les moines ou sont-ils simplement intéressés par la donation sans intérêt pour la terre en jeu ? La question est évidemment difficile à résoudre, car les actes conservés sont le plus souvent issus des moines et, évidemment, ils n’indiquent pas clairement leur position. Pourtant, certains indices nous permettent de répondre au moins en partie à la question.

Ainsi, l’action du frère Brice est à cet égard très significative. Il apparaît à deux reprises dans notre documentation. La première fois, il est dépêché auprès Pierre de Dammartin à Rosnay-en-Champagne : « Quod nos audientes statim fratrem Briccium utpote sibi notissimum cum magna festinatione ad illum misimus »26. L’attitude du prieur est fondamental. Pierre de Dammartin, en tant que fils du fondateur, est considéré comme le protecteur du prieuré. Il est donc normal qu’un moine de Saint-Leu se déplace pour entendre ses dernières volontés et surtout la donation qu’il doit faire avant de mourir. La deuxième intervention du frère Brice se fait auprès de Gérard, fils d’Igier de Bulles, proche des Dammartin. Dans cet exemple, Brice chevauche en compagnie de Gérard et, au cours de la discussion, le frère Brice attire son attention sur son salut et Gérard décide de donner un château à Eve : « cum quadam vice a Domino Briccio monacho de Escerente tunc secum equitante de sua salute fuisset ammonitus »27. Dans ces deux exemples, le frère Brice encourage les aristocrates à une donation pour le salut de leurs âmes. Dans les deux cas, il s’agit de terres à proximité de Dammartin-en-Goële. Le prieuré cherche peut-être à augmenter ces possessions dans ce secteur pour ne pas avoir des terres isolés et pouvoir les contrôler plus facilement par l’intermédiaire d’un prévôt qui serait attaché à Dammartin. Dammartin se trouve à une trentaine de kilomètres d’Hescerent et les moines ne peuvent pas directement gérer leurs terres dans ce secteur. Cette impression est renforcée par l’achat d’une terre par le prieur Aimar aux alentours de Dammartin en 110428.

Un troisième exemple d’intervention des moines montre leur action sur les donateurs. A la suite de la donation de Raoul de Liancourt29, les moines exhortent son frère Bouchard à une donation : « Postea vero Burchardus frater Radulfi verbis monachorum exhortatus et exemplo fratris provocatus, similiter »30. Dans ce cas, il semble que les moines cherchent à compléter et à confirmer la donation de Raoul de Liancourt d’une partie de la dîme de Cauffry. Ils se tournent vers Bouchard pour cela. Ce dernier leur donne alors ce qu’il possède dans l’église de Cauffry et confirme la donation de son frère. Ainsi, les moines s’assurent du soutien de l’ensemble de la famille de Liancourt, se mettent à l’abri d’éventuels conflits et augmentent la donation. Il ne s’agit plus simplement d’une part de dîmes mais d’un ensemble de revenus et de taxes à prélever sur l’église de Cauffry.

Enfin, les moines recherchent l’appui de grandes familles pour augmenter les donations et surtout le nombre potentiel de donateurs grâce à leurs vassaux. Ainsi, nous avons vu l’importance des Dammartin pour le prieuré. De la même façon, les Clermont permettent d’attirer de nouveaux donateurs au prieuré. Les anniversaires d’Adélaïde et de Marguerite de Clermont représentent un prestige non négligeable pour les moines qui devaient traiter de façon toute particulière ces grandes familles.

c- Faire face

Les moines ne disposent pas des mêmes armes que les seigneurs laïcs pour s’imposer sur leurs possessions. Ils n’ont pas de chevalier pour les défendre en cas de problèmes avec les seigneurs de la région. Ils ne peuvent pas se battre en armes contre eux. En revanche, ils disposent d’armes spirituelles comme l’excommunication ou le refus d’une sépulture à l’intérieur de l’église. Ces moyens de pression sont, certes, moins efficaces que le combat, mais ils réussissent à dissuader au moins pour un temps les éventuels pillards. Une autre arme est très utilisée par les moines : le compromis. Nous avons vu, dans la première période, comment les moines cherchaient à assurer les territoires acquis au moment de la fondation. Au cours de la période de consolidation, ils doivent affronter les seigneurs sur des problèmes matériels ou sur des remises en cause de leurs possessions.

A chaque fois, les moines cherchent un compromis. Ce compromis peut se matérialiser par un chirographe à partager entre les moines et le réclamant. Ainsi, le chirographe met fin au conflit et symbolise l’accord entre les deux partis ; le fait de partager renforce l’entente revenue et leur permet de posséder chacun les termes de l’accord en cas d’autres problèmes. Enfin, il symbolise la paix retrouvée entre eux par un acte de partage. Ainsi, l’accord entre le prieuré et Dreux de Mouy et Hugues son oncle au sujet d’une dîme donnée par Pierre Aiguillon fait l’objet d’un chirographe : « Carta autem ista bis in uno pargamino sic habetur ut monachi suam habeant et jam dicti Drogo et Hugo aliam custodiant et chirographum per medium scindatur. »31.

Pour régler le conflit, les moines peuvent faire appel à un arbitre, souvent proche du prieuré. Cet arbitre est chargé d’aller voir le réclamant et le donateur initial. Il met alors au point l’accord qui doit régler le conflit, en respectant les consignes données par les moines. Ainsi, le doyen ou le prévôt32 du prieuré Foucaud est envoyé auprès de Guy de la Tour pour régler le conflit qui opposait Guillaume, son fils et le prieuré. Guy avait donné l’autorisation aux moines d’acquérir tous les biens sur son domaine sans réclamer de compensation. Son fils, Guillaume, n’est pas d’accord. Foucaud propose donc un compromis en donnant un cheval, ce qui est accepté : « Igitur concordantes invicem, ad istam pactionem venerunt, ut jamdictus Fulcaldus non propter aliquam emptionem sed propter pacis concordiam, unum equum ipsi Vuidoni daret. »33. Cet exemple montre comment le prieuré s’est structuré au cours de cette période. A la période précédente, les moines faisaient face seul aux réclamants. A présent, ils font appel à un arbitre et envoient une personne compétente du prieuré pour régler le conflit face à Guy de la Tour, qui est alors le bouteiller du roi de France, Louis VI. L’arbitre peut aussi être une personne extérieure au prieuré. Dans l’accord entre le prieuré et les moines de Montdidier sur la possession des autels d’Andechy34 et de Fignières35, l’arbitre est l’évêque d’Amiens, Guérin36.

Pour s’imposer, les moines doivent aussi protéger leurs installations, comme les moulins, pour assurer le ravitaillement du prieuré et la pérennité économique de l’établissement. Ils n’hésitent donc pas à empêcher la construction d’un autre moulin à proximité du leur, car ils pensaient qu’il leur serait préjudiciable37. L’activité d’une rivière est fondamentale au Moyen Âge et les installations sont souvent très nombreuses. Ainsi, il semble que le prieuré possède des moulins sur la rivière appelée le Thérain qui se jette dans l’Oise au niveau de Montataire. Ils affrontent alors un autre établissement monastique, les moines de Saint-Pierre de Jumièges résidant à Montataire. Dans cet acte, les moines agissent en seigneur et protègent leur domaine contre les incursions des autres seigneurs. A travers cet exemple, nous voyons la connaissance des moines en matière de construction de bâtiments et d’hydrographie. De la même façon que les exemples précédents, ce conflit fait l’objet d’un arbitrage mené par le prieur de Notre-Dame de Mello et le doyen du prieuré Gausbert. L’accord est rédigé sous forme de chirographe partagé entre les moines de Jumièges, les moines de Saint-Leu et les chanoines de Saint-Evremond de Creil concernés aussi par ces problèmes.

Malgré l’absence de défense armée, les moines arrivent à s’imposer et à faire face aux seigneurs, aussi bien laïcs qu’ecclésiastiques. L’organisation du prieuré leur a permis de faire face au conflit rapidement et efficacement. Ils n’hésitent pas à faire des réclamations s’ils estiment que leurs biens sont touchés. Ils gèrent et administrent leur domaine parfaitement pour assurer la pérennité de la communauté.

d- La possession conçue pour l’encadrement des hommes

Le XIIe siècle est marqué par un renforcement de l’encadrement des hommes. Le phénomène d’encellulement a permis aux seigneurs de rassembler leurs hommes autour de pôle d’attraction que sont les châteaux, les églises ou les cimetières. De la même façon, les moines contrôlent les hommes d’Hescerent. Leur église ne leur est pas réservée et les habitants viennent y suivre l’office. La situation du prieuré par rapport au reste du village leur permet de contrôler la situation et d’anticiper les éventuels problèmes. Enfin, la nouvelle église a monumentalisé ce pouvoir sur les hommes d’Hescerent38.

Cet encadrement et cette domination des moines ne se font pas sans problème. La documentation nous rapporte un conflit important entre certains habitants d’Hescerent et le prieuré concernant la coutume du vin39. Ce conflit montre comment les moines réussissent à se servir de leurs possessions et de leurs droits pour dominer les hommes. Ce conflit est rappelé dans une notice du cartulaire du prieuré. Il est donc difficile de connaître les arguments des habitants. Pourtant, ce document laisse apparaître le pouvoir des moines.

Certains habitants d’Hescerent refusent la coutume sur le vin et se révoltent contre les moines : « homines de Hescerento negaverunt consuetudinem vini quae vocatur de Bosco quam Hugo comes ecclesiae beati Lupi dederat ». Cette coutume permettaient aux moines de vendre leur vin pendant une période définie avant les habitants d’Hescerent. Elle a laissé des traces encore visibles, puisque le lieu de vente est aujourd’hui appelé la « cave Banvin ». Les moines ne manquent pas de rappeler la donation d’Hugues de Dammartin qui leur donne la légitimité de leur possession. Ainsi, ils posent tout de suite les bases de leur argumentation : la possession de plein droit de cette coutume par la donation d’Hugues. L’attitude des habitants est significative de leur place par rapport au prieuré : « Unde vadimonia belli per manus Lamberti Pulveris et Vualterii Durandi in manu Rainaldi prioris dederunt. ». Cette attitude montre le rapport de domination qu’entretient le prieur avec les habitants d’Hescerent. Le geste des représentants rappelle celui de l’investiture, il marque le duel entre les habitants, fidèles du prieuré et les moines. Le prieur est donc considéré comme le représentant de la communauté et tient le rôle du seigneur au nom du prieuré.

Une fois la demande déposée auprès du prieur, les moines peuvent contredire les habitants : « Rainaldus vero prior et Ademarus supprior necnon et alii monachi atque servitores eorum, Lambertus praepositus et Oddo major et Josbertus forestarius atque Fulco decanus hoc contradixerunt constanter ». Toute la communauté est associée à cette contradiction, même les serviteurs du prieuré. Nous voyons apparaître une hiérarchie et une organisation précise de la communauté : le prieur, le sous-prieur, les autres moines puis les serviteurs dans un ordre précis, le prévôt, le maire, le forestier et le doyen. Les serviteurs les plus importants sont donc étroitement associés à la destinée de la communauté et possèdent donc une place importante dans la vie de la communauté. Cette place est visible aussi dans les témoignages où nous retrouvons souvent le nom de ces personnages. Le prieur est certes considéré comme le seigneur, mais les décisions et les actions se prennent et s’effectuent en commun, certainement pour leur donner plus de poids.

Les habitants sont obligés de reconnaître la validité de cette coutume et doivent reconnaître leur tort. Pour cela, ils demandent conseil au comte de Beaumont, Mathieu : « Cumque praefati homines tandem cognovissent quod vadimonia non sapienter dedissent, ducti poenitentia, consilio et auxilio Mathei comitis de Bellomonte misericordiam a priori quaesierunt ». Nous retrouvons le vocabulaire de la fidélité : « consilio et auxilio ». L’utilisation de ce vocabulaire montre l’influence de ces rapports dans la société du XIIe siècle. Les rapports sont donc très hiérarchisés. Les habitants sont obligés de se tourner vers un autre seigneur, Matthieu, le comte de Beaumont pour faire face aux moines qui est ravi de pouvoir s’intéresser aux problèmes qui ont lieu au nord de son domaine. L’attitude des habitants prouve l’influence des moines sur Hescerent et ses environs.

Les moines profitent alors de cette occasion pour rappeler l’ensemble de leurs droits et coutumes sur les habitants d’Hescerent : « sed prior et monachi ejus eorum precibus acquiescere noluerunt donec omnem consuetudinem recognoscerent ». Ils renversent ce conflit à leur avantage. Ils n’ont pas un aristocrate puissant face à eux, il leur est donc plus facile d’agir ainsi. Rappeler de faire reconnaître l’ensemble des coutumes permet aux moines de renforcer l’encadrement des habitants d’Hescerent et de rappeler leur pouvoir et leur rôle de seigneur du lieu. Ils sont en position de force et en profitent : « et quia contradixerant, tam illi qui vadimonia dederant quam caeteri contradictores jus debitum fecerunt et legem persolverunt ». Les moines assurent le souvenir de cette charte en y faisant attacher quatre piécettes de l’amende. Ils veulent, ainsi, éviter que d’autres ne commettent pareil délit : « ex qua lege quatuor nummi retenti sunt et huic cartae in testimonio affixi quatenus eorum posteritas ne talia agere praesumat valeat commoveri. »

Ce document montre comment les moines réussissent à faire face aux habitants d’Hescerent. Ils ne possèdent pas de force armée mais ils exercent sur les habitants une influence considérable qui leur vient de leur statut de moines et de seigneurs du lieu. Ce conflit leur a permis de réaffirmer leur pouvoir sur les habitants. Ils réussissent, malgré leur apparente faiblesse, à encadrer les hommes. Cette puissance leur vient, certainement aussi de l’influence spirituelle qu’ils ont sur la société.

2- La construction de la nouvelle église

Après avoir mis en place leur patrimoine foncier, les moines s’attaquent à leur patrimoine bâti. Le premier chantier concerne l’église. A leur arrivée, ils trouvent l’église donnée par Hugues de Dammartin au moment de la fondation. Vers 1145-1150, ils commencent la construction d’une nouvelle église.

a- L’église primitive

L’acte de fondation fait état de l’existence d’une église au moment de la fondation du prieuré40. Hugues la rend à l’évêque Guy de Beauvais pour que ce dernier la donne aux moines de Cluny : « ecclesiam de Hescerent et altare et atrium et decimam in manu Vuidonis Belvacensis episcopi…redidi ». Il ne s’agit pas de l’église actuelle mais d’une précédente. Ses fondations ont été mis à jour suite aux bombardements alliés pendant la seconde guerre mondiale41. Fouillée en 1955 par Pierre Durvin42, cette église n’est pas le premier monument religieux de ce lieu. L’occupation de cet espace semble plus ancien, puisque la fouille a mis au jour des sarcophages du Haut Moyen Âge sous les substructions de l’église. Cet espace servait peut-être de nécropole. Il a pris ensuite un caractère religieux plus important avec la construction de cette première église.

L’église primitive a donné lieu à de nombreux débats. Au XIXe siècle, deux piliers de la façade occidentale avaient été identifiés comme appartenant à une précédente église. Eugène Lefèvre-Pontalis en avait donc conclu l’existence d’un long vaisseau de 13 m composé de trois nefs qui prenait appui sur ce mur43. La mise à jour des substructions par Pierre Durvin a démenti cette hypothèse, puisque la façade occidentale de l’église primitive se trouve à 13m des dits piliers. Il semble donc que ces piliers, qui ne sont pas porteurs44, aient été mis à cet endroit pour célébrer la mémoire de l’église primitive45.

Le plan établi après les fouilles de Pierre Durvin montre une église longue de 26 m et large de 11 m. Elle comporte une nef unique prolongée d’un chœur à trois absides. Elle se trouve au niveau du troisième pilier de l’église actuelle jusqu’à l’entrée du chœur. Selon Jean Hubert46, le plan correspond aux édifices du premier art roman régional. Très vite, cette église présente à leur arrivée devient trop petite pour les moines du prieuré. Surtout, elle n’est pas à la hauteur de leur position d’importants seigneurs locaux et de moines de Cluny.

b- La construction de la nouvelle église

Nous ne disposons d’aucune source écrite sur la construction de cette église. Les étapes de la construction ne peuvent être déduites que grâce à une étude attentive de la structure de l’église et des méthodes de construction employées. Les donations nombreuses permettent aux moines de se lancer assez tôt dans ce chantier. Selon Maryse Bideault et Claudine Lautier47, les débuts de la construction se situent dans la première moitié du XIIe siècle.

Les moines commencent par construire un bloc de façade de 20m de large. Il est érigé à 13m du mur occidental de l’église primitive. Il suit une tradition carolingienne, reprise dans un certain nombre d’églises bénédictines et plus particulièrement clunisiennes au cours du XIe et du XIIe siècle, puisqu’il constitue une véritable avant-nef, avec un vestibule à l’étage inférieur et une tribune au second niveau. Une particularité est à noter sur cette façade occidentale. Une des deux tours n’a pas été construite. Nous ne connaissons pas les raisons de cette absence.

Mais, le projet des moines évolue rapidement et ils décident d’utiliser tout l’espace dont ils disposent pour construire l’église. La région vit, alors, une transition architecturale avec le passage aux techniques de l’art gothique. Ils prévoient alors la construction de cette église qui rappelle plus les dimensions d’une cathédrale comme à Senlis ou d’une grande collégiale comme à Mantes-la-Jolie48 que d’une église priorale. Vers 1160-1170, ils construisent l’abside entourée par un déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes qu’ils placent au bord du plateau. Ces modifications dans les choix architecturaux créent un léger désaxement de l’édifice par rapport à l’église primitive et au massif occidental.

Ils édifient enfin un long vaisseau pour rassembler les deux premières parties de l’édifice. Il forme une nef de six travées quadripartites soit 32m, suivie par un chevet composé d’une travée double à voûtement sexpartite soit 11m, puis d’une travée barlongue encadrée de deux tours. Il semble que la source d’inspiration majeure soit la cathédrale de Senlis, alors en construction. « Les deux édifices sont de même taille, conçus sans transept, et le plan de leur chevet est presque superposable. »49.

c- La monumentalisation de l’espace ecclésial

Les dimensions de cette église sont surprenantes pour une église priorale. En largeur, elle est le double de l’église primitive. Nous pouvons nous demander ce qui a poussé les moines à édifier un monument aussi important. Les réponses sont certainement multiples et le manque de sources écrites ne nous aide pas à connaître les motivations profondes des moines du XIIe siècle.

Nous avons vu que les donations sont importantes dans la première moitié du siècle. Les moines disposent de terres, de revenus et taxes diverses. Ils doivent donc disposer d’une trésorerie assez importante pour entamer des travaux d’envergure. La construction de la façade occidentale montre déjà leur ambition, même si on est encore loin des dimensions atteintes par la nef.

Pourtant, cette raison n’est pas suffisante pour expliquer leur choix. Leur statut renseigne plus sur leurs motivations. Ils sont d’abord des moines de Cluny. Le prieuré relève directement de l’abbaye bourguignonne de Cluny, contrairement aux autres prieuré clunisiens des alentours qui relèvent du prieuré Saint-Martin-des-Champs. Ce statut est un prestige pour cette communauté, dont le nombre est très important dès ses premières années. La distance qui le sépare de Cluny semble lui laisser une certaine indépendance dans sa gestion. De plus, ce statut est un avantage pour les donations. Il faut donc pouvoir afficher de façon ostensible ce statut particulier dans la région et cette place à part dans l’ecclesia cluniacensis, d’où les dimensions importantes de l’édifice.

L’autre particularité des moines du prieuré de Saint-Leu réside dans leur statut de seigneur. Nous avons vu comment les moines contrôlent la petite aristocratie locale et comment ils augmentent leurs possessions et leurs assises sur la région. Nous pouvons penser que cette église est la monumentalisation de ce pouvoir seigneurial. Les moines ne peuvent disposer d’un château-fort. Or, le château-fort est une démonstration du pouvoir seigneurial. L’église représente, alors, le donjon du château-fort. Cette impression est très palpable, lorsque nous regardons cet édifice. Dressée, au bord du plateau et surplombant l’Oise, l’église est visible, encore aujourd’hui malgré les constructions contemporaines, dans un rayon de 5 km alentour. Dans cette période de consolidation de leur patrimoine, la monumentalisation de l’espace ecclésial permet aux moines d’affirmer leur place de seigneur et, ainsi, d’assurer leur puissance coercitive contre tous ceux qui voudraient s’attaquer à eux. Enfin, la majesté de l’édifice est aussi, peut-être, un moyen pour les moines de s’assurer la poursuite des donations. Il est toujours plus impressionnant et plus valorisant pour un aristocrate d’être enterré dans une telle église.

Notes de bas de page

1 Müller, n°1.

2 Müller, n°3.

3 Müller, n°33.

4 Boissy, Oise, cant. Montataire, comm. Saint-Leu-d’Esserent.

5 Rufaut, Oise, cant. Montataire, comm. Saint-Leu-d’Esserent.

6 Müller, n° 10 ; Montataire, Oise, ch.-l. cant.

7 Cramoisy, Oise, cant. Montataire.

8 Müller, n° 4.

9 Ermenonville, Oise, cant. Nanteuil-le-Haudouin.

10 Précy-sur-Oise, Oise, cant. Montataire.

11 Villers-sous-Saint-Leu, Oise, cant. Montataire.

12 Saint-Maximin, Oise, cant. Chantilly

13 Thiverny, Oise, cant. Montataire.

14 Gouvieux, Oise, cant. Chantilly.

15 Eve, Seine-et-Marne, cant. Dammartin-en-Goële, comm. Dammartin-en-Goële.

16 Orcheu, Seine-et-Marne, cant. Dammartin-en-Goële, comm. Dammartin-en-Goële.

17 Thorigny-sur-Marne, Seine-et-Marne, ch.-l. cant.

18 Nous reparlerons des rapports entre les Clermont et le prieuré dans la troisième partie. C’est pourquoi nous préférons nous concentrer sur les avantages pour les moines.

19 Cauvigny, Oise, cant. Noailles.

20 Avrigny, Oise, cant. Clermont

21 La-Rue-Saint-Pierre, Oise, cant. Clermont.

22 Cauffry, Oise, cant. Liancourt.

23 Müller, n°19.

24 Müller, n°25.

25 Müller, n°60.

26 Müller, n°11.

27 Müller, n°22.

28 Müller, n°4.

29 Liancourt, Oise, ch.-l. cant.

30 Müller, n°29.

31 Müller, n°36.

32 Il semble que deux textes rapportent ce règlement de conflit : Müller, n°23 et Müller, n°24. Dans le premier texte, Foucaud est qualifié de doyen et dans le second de prévôt, d’où l’hésitation.

33 Müller, n°23.

34 Andechy, Somme, cant. Montdidier.

35 Fignières, Somme, cant. Montdidier.

36 Müller, n°27.

37 Müller, n°58.

38 Cf la partie consacrée à la construction de la nouvelle église.

39 Müller, n°33.

40 Müller, n°1.

41 Des usines de V2 allemandes se trouvaient sur les hauteurs de Saint-Leu-d’Esserent. Les alliés ont bombardé la région, détruisant une partie de la nef et mettant à jour ces substructions.

42 Durvin, Pierre,"Les fouilles de l'abbatiale de Saint Leu", Bulletin de la société archéologique, historique et géographique de Creil, janv. 1956, pp1-7

43 Eugène Lefèvre-Pontalis, "Guide archéologique de Saint Leu d'Esserent", Congrès archéologiques de France, 1905, pp.121-129

44 Voir la photo sur le site…..

45 Nous avons déjà étudié les problèmes de datation de cette église primitive dans la première partie. Nous y renvoyons donc le lecteur.

46 Hubert, Jean, « Observations sur l’intérêt des substructions retrouvées dans la nef de Saint-Leu d’Esserent », Bulletin de la société des Antiquaires de France, 1959, p. 72-73.

47 Maryse Bideault et Claudine Lautier, Île de France gothique, p.318-331

48 Mantes-la-Jolie, Yvelines, ch.-l. cant.

49 Maryse Bideault et Claudine Lautier, op. cit., p. 322.

C- L’influence spirituelle des moines sur la société

1- Les rapports entre le prieuré et les évêques de Beauvais

L’immunité dont dispose Cluny et ses dépendances a souvent créé des tensions entre l’évêque et les dépendances clunisiennes. Au contraire, le prieuré de Saint-Leu entretient des rapports amicaux avec les évêques. Cette situation résulte de l’importance de l’évêque de Beauvais, Guy, au moment de la fondation puis aux personnes qui occupe l’évêché au XIIe siècle. Il est donc important de présenter ces hommes avant de voir les rapports qu’ils entretiennent avec Saint-Leu.

a- Présentation des évêques de Beauvais à cette période

Nous avons déjà présenté Guy, évêque de Beauvais de 1063-1064 à 1085. Guy est, selon l’expression d’Olivier Guyotjeannin, un « évêque pré-grégorien »1. L’activité grégorienne de Guy est interrompue par des troubles autour du siège épiscopal. Les conflits locaux et l’importance de l’évêque de Beauvais au niveau local font du siège épiscopal un enjeu de pouvoir local plus qu’un lieu de réflexion spirituelle. Le successeur de Guy, Ursion, n’est connu que par les dates de son épiscopat (1085-1089). Les troubles apparaissent avec Foulque. Il s’agit du frère de Lancelin de Beauvais, époux d’Adélaïde de Dammartin2. Il appartient à une puissante famille locale qui voit dans cette élection un moyen de s’imposer sur le plat-pays. Son épiscopat devient rapidement houleux et il est obligé de se rendre à Rome pour recevoir l’appui du pape. Ce dernier le met alors sous la protection d’Anselme du Bec et d’Yves de Chartres, mais ces appuis sont rapidement dépassés par les critiques. L’élection de Foulque se révèle bien une tentative de cette famille pour contrôler le Beauvaisis et les rapports entre sa famille et celle des Dammartin ne font qu’accentuer les inimitiés. Bientôt seul face à ses ennemis, Foulque apparaît pour la dernière fois au concile de Plaisance en mars 1095.

Son successeur Roger apparaît dès le 19 août 1095 à la Chaise-Dieu, après une dernière intervention d’Anselme du Bec en sa faveur en juin ou en juillet 1095. Roger est remplacé par Anseau, qu’il faut sans doute confondre avec Anseau de Caix, frère d’Enguerrand I de Coucy3. Sa mort ouvre de nouveaux conflits autour de l’élection au siège épiscopal. Les années 1100-1104 sont marqués par une crise de l’épiscopat beauvaisien qui ne se résout que par l’intervention royale4. Cette période de trouble est suivie par l’épiscopat de 1105 à 1113 de Geoffroy, chapelain royal sous l’épiscopat de Pierre et chancelier en 1071 et 1072. L’évêque Pierre lui succède. Il s’agit du frère de Lancelin et Foulque de Beauvais. Pourtant, il semble que son élection n’ait pas provoqué les mêmes problèmes que celle de son frère. Il faut dire que la famille est moins puissante à cette époque et, surtout, plus enracinée dans le plat-pays.

La génération suivante des évêques de Beauvais représente, toujours selon l’expression d’Olivier Guyotjeannin, « un nouveau type d’évêques »5. Autant la première partie du siècle est marquée par des enjeux de pouvoir, autant cette deuxième génération est marquée par les thèmes de la réforme grégorienne. Issus du monachisme, les trois évêques qui se succèdent à la tête de l’évêché, Eudes II, Eudes III et Henri de France, s’attachent à y remettre de l’ordre6. Avant de devenir évêque, Eudes II avait dirigé l’abbaye de Saint-Germer-de-Fly et Eudes III, après y avoir été moine, avait été choisi comme abbé de Saint-Symphorien de Beauvais, avant de quitter sa charge pour s’adonner à la contemplation. Ces deux évêques sont donc issus du monachisme bénédictin traditionnel. Nous disposons de peu d’informations sur leur épiscopat, si ce n’est qu’ils s’attaquent tous les deux à la pratique des fiefs-rentes et qu’Eudes III s’attache à restaurer l’ordre aussi bien au niveau spirituel que temporel. Nous pouvons dire que leurs épiscopats marquent l’entrée du Beauvaisis dans la réforme grégorienne après les tentatives manquées de Guy, sans pour autant nier le fait que les esprits en étaient largement imprégnés au regard de l’élection d’ancien moines bénédictins. Le dernier évêque de cette génération est Henri de France. Son épiscopat est court, mais essentiel pour le Beauvaisis. Ancien moine de Clairvaux et frère du roi Louis VII, Henri est élu en 1148 ou 1149. Il est à la tête de cet évêché jusqu’à son élection à la tête de l’archevêché de Reims en 1162. Son épiscopat est marqué par la reprise en main du temporel et de l’administration épiscopale. Son successeur, Barthélemy de Montcornet, devient évêque entre le 9 février et le 8 avril 1162. Archidiacre de Reims et apparenté aux capétiens, son élection est peut-être le fruit d’une transaction entre les électeurs de Reims et de Beauvais. Proche d’Henri, il en continue l’œuvre jusqu’en 1175, date de sa mort.

b- Les évêques de Beauvais et le prieuré de Saint-Leu

La personnalité de ces évêques de la première moitié du XIIe siècle fait que leurs rapports avec le prieuré sont plutôt bons, soit par une proximité familiale dans le cas de Foulque et de Pierre, soit par une communauté de pensée dans le cas d’Eudes II, Eudes III et d’Henri de France. D’autre part, malgré l’immunité dont dispose le prieuré de Saint-Leu, les évêques sont intervenus au titre de seigneur du Beauvaisis ce qui a, certainement aussi facilité leurs rapports.

Entre 1081 et 1172, la documentation a gardé 10 actes de six évêques de Beauvais différents. Il donne un aperçu des différents types de rapports entretenus entre eux et le prieuré. Sur ces 10 actes, sept sont une confirmation d’une donation ou une notification :

  • Confirmation des donations d’Hugues de Dammartin par Guy de Beauvais en 10817.

  • Confirmation par Pierre du don de la part de forage que le chatelain Odilon et Adam son fils ont fait en 11248.

  • Confirmation par Eudes II du don du tiers du transit du pont de Creil de Renaud II, comte de Clermont, en 11449.

  • Confirmation par Eudes II du don de Gondacre de Creil des dîmes que possédaient à Cauffry son frère Eudes10.

  • Confirmation par Eudes II du don de Gondacre de Creil du tiers de la dîme d’Avrigny11.

  • Confirmation vers 1147 par Eudes III de l’exemption de tonlieu sur le marché de Beauvais accordée par Aimeri père du temps du prieur Aimar12.

  • Notification en 1157 de Henri sur le paiement qu’a promis de payer Jean de Gouvieux au prieuré de Saint-Leu13.

A travers ces confirmations et cette notification, c’est le rôle de seigneur du Beauvaisis qui s’exprime, plus que celui d’évêque de Beauvais. A ce titre, les autres seigneurs sont redevables à l’évêque de toutes terres qu’ils possèdent sur le Beauvaisis. Il n’est donc pas étonnant, comme le veut la coutume féodale, de voir la confirmation du seigneur. Ainsi, la possession de ce bien est confirmée par la plus haute juridiction du Beauvaisis. Dans l’avant-dernier cas, la confirmation laisse entrevoir le programme de remise en ordre des possessions épiscopales engagées par Eudes III. Ainsi, le texte éclaire cette volonté : « Quoniam de rebus ecclesiasticis controversiam aliquam posteris nostris nullatenus relinquere voluimus »14. Nous remarquons d’ailleurs qu’Eudes III fait un amalgame entre les droits qui relèvent de son épiscopat et celles qui relèvent de la seigneurie. Cette indication montre que cette séparation n’existait pas pour lui.

Le deuxième type de rapport est plus direct. Il s’agit de donations des évêques de Beauvais au prieuré de Saint-Leu. La documentation a gardé le souvenir de trois donations entre 1081 et 1171 :

  • Remise du droit de forage sur le vin en faveur du prieuré par Pierre en 112415.

  • Donation par Eudes II de l’église de Cauffry, avec l’autel et l’aître, et toute la dîme du village et le tiers de la dîme d’Avrigny en 114416.

  • Barthélémy accorde aux religieux le patronage des cures de Précy et de Champagne17 vers 1172-117318.

Dans la première donation, l’évêque agit en tant que seigneur. Cette donation est équivalente à celle d’un aristocrate laïc, surtout qu’elle est couplée à la confirmation du don du châtelain Odilon. En revanche, les deux autres sont plus complexes. Dans ces donations19, l’évêque de Beauvais agit autant en seigneur qu’en évêque. La séparation que nous avons introduites atteint dans ces deux cas ces limites. Elles sont certainement à remettre dans le contexte de la mise en place de la réforme grégorienne en Beauvaisis et la lutte des évêques face aux possesseurs laïcs de biens ecclésiastiques. De la même façon, l’acte d’Eudes vers 114420 prend place dans ce contexte.

c- La réforme grégorienne en Beauvaisis et le prieuré de Saint-Leu

Nous avons déjà vu les difficultés liées à l’introduction de la réforme grégorienne dans le Beauvaisis. Les problèmes liés au siège épiscopal ont fortement retardés sa mise en place. Pourtant, à partir d’Eudes II, les évêques issus du monachisme s’appliquent à rattraper le retard. Dans ce contexte, le prieuré de Saint-Leu joue un rôle non négligeable. En effet, sa position dans le diocèse lui donne une place stratégique. A l’extrême-sud du diocèse et à une trentaine de kilomètres de Beauvais, le prieuré de Saint-Leu représente un point d’appui pour les évêques dans la mise en place de la réforme grégorienne. Ainsi, trois actes montrent le rôle joué par Saint-Leu.

Le premier acte est d’Eudes II vers 114421. Issu du monachisme bénédictin, Eudes II se sent proche des moines clunisiens de Saint-Leu qui représentent une grosse communauté. Il les appelle même ses chers amis : « dilectis amicis nostris monachis cluniacensibus in ecclesia beati Lupi commorantibus »22. Dans cet acte, Eudes II veut s’attaquer aux laïcs qui détiennent injustement des biens ecclésiastiques : « Gaudemus autem multos expavere Dei judicium et corrigere malum consuetum, reddentes Ecclesiae propria ut fugiant a futura ira. »23. Cette action était déjà celle de Guy de Beauvais lorsqu’il a récupéré les autels de Bulles ou d’Hescerent. Il faut pourtant attendre 50 ans pour qu’un autre évêque recommence à mettre en place ce programme de récupération des biens ecclésiastiques possédés par des laïcs. Pour l’aider à le réaliser, l’évêque s’appuie sur les communautés ecclésiastiques, ici le prieuré de Saint-Leu. Il doit connaître leur puissance et leur implantation dans le sud du Beauvaisis. Ils sont en rapport avec de nombreux aristocrates et petits aristocrates de cette région et possèdent certainement une influence sur eux. Ainsi, il donne le droit au prieuré de Saint-Leu de récupérer ces biens ecclésiastiques : « concedimus ecclesiae Beati Lupi fratribus ejusdem loci eripere et recipere de manibus laicorum decimas et altaria sive quaecumque injuste et contra ecclesie jus in damnationem suam tenebant. »24. D’autre part, il donne le droit aux moines de posséder les biens ainsi récupérés : « et hoc concedimus, et nostris temporibus et in posterum praefatae ecclesie et fratribus confirmamus »25. Une clause comminatoire clôt cette charte et renforce sa valeur, en donnant une puissance religieuse à sa décision. En effet, l’excommunication met celui qui en est atteint au ban de la société, puisqu’il n’est plus considéré comme chrétien. Cette charte montre comment le prieuré de Saint-Leu devient le relais du programme épiscopal de mise en place de la réforme grégorienne. L’évêque doit s’appuyer sur des intermédiaires. Le choix du prieuré de Saint-Leu nous montre l’importance acquise par cette communauté vers 1144 et son implantation réussie dans cette région.

Les deux autres actes se rapprochent plus. L’évêque confie au prieuré la charge de cures et des biens qui s’y rattachent. Cette attitude lui permet de délocaliser son pouvoir, en s’appuyant sur des hommes de confiance : les moines de Saint-Leu. Ainsi, dans le premier acte, Eudes II explique la tâche qu’il s’est fixé dans le préambule : « de rebus ecclesiasticis de manibus laicorum abstractis paterna benignitate eis studei impetiri »26. Nous retrouvons la même motivation que, dans l’acte précédent. Après avoir arraché l’église et les biens de Cauffry, Eudes II les confie aux moines de Saint-Leu : « dilectis amicis nostris monachis cluniacensibus in ecclesia beati Lupi commorantibus canonice tradidimus ac perpetuo jure possidenda concessimus »27. Cauffry se trouve à 5 km du prieuré ; l’évêque préfère les confier aux moines qui sauront les gérer plutôt que d’avoir à le faire de Beauvais, d’où il lui aurait été plus difficile de le faire. De la même façon, Barthélemy confie vers 1171-1172 aux moines de Saint-Leu la faculté de choisir le prêtre de Précy-sur-Oise et de Champagne : « sed et liberaliter praedictis fratribus in perpetuum concessimus facultatem liberam praefatas ecclesias ordinandi per personas quas secundum Deum elegerint »28. Barthélemy rappelle dans la même charte que les moines de Saint-Leu avaient déjà bénéficié des privilèges de précédents évêques de Beauvais : « quod oblatis nobis a fratribus Sancti Lupi ac dilligenter auditis privilegiis praedecessorum nostrorum bonae memoriae Domni Petri, Oddonis, item Oddonis secundi, Belvacensium episcoporum, necnon et Domni Sansonis Remensis archiepiscopi, eis in nullo vidimus obviandum. »29. Cette phrase montre les excellentes relations entretenues entre les évêques de Beauvais et le prieuré de Saint-Leu et explique pourquoi Saint-Leu a été choisi comme relais de la politique épiscopale de mise en place de la réforme grégorienne.

2- Les services spirituels offerts à la société par les moines

a- Les anniversaires et les prières pour les morts

Depuis Odilon, abbé de Cluny de 994 à 1049, la liturgie clunisienne contient une intense activité de pastorale funéraire. Hugues d’Amiens, dans un passage des Dialogues, repris par Dominique Iogna-Prat, définit ainsi cette aide aux défunts : « Il n’est pas question des péchés, mais des peines des péchés ; pas l’état du péché qui condamne (damnatoria), mais des peines purgatoires (purgatoria)….Dans les sacrements, l’Eglise engendre les fidèles et rachète les fidèles défunts. »30. La prière après la mort était alors un moyen de racheter les fidèles. Un autre aspect existe dans la prière pour les morts. Selon Michel Lauwers, « Prier pour les défunts était tout à la fois une manière et l’occasion de célébrer leur mémoire »31. La prière entretenait le souvenir du défunt. Il n’est donc pas étonnant de voir que l’essentiel des donations faites au prieuré de Saint-Leu se fait pour le salut de l’âme des donateurs ou de leur famille défunte. Par conséquent, cette activité pastorale est essentielle à la survie économique de la communauté. La prière pour les morts est l’instrument spirituel offert par les moines le plus utilisé et le plus courant pour la société du XIIe siècle.

Certains préfèrent assurer les prières après leur mort, en demandant l’instauration d’un anniversaire. « Les anniversaires des décès étaient des ‘commémorations’ »32. La documentation a gardé deux exemples précis d’actes pour préparer l’anniversaire des donateurs : celui de Marguerite de Gerberoy, sœur de Renaud de Clermont33 et celui d’Adélaïde, femme de Gislebert d’Angleterre et sœur de Renaud de Clermont34. Ces actes montrent l’existence d’une rivalité au sein d’une même famille. Ainsi, Adélaïde précise : « Hoc autem anniversarium ab Ademaro priore et a toto conventu ita statutum est ut quemadmodum anniversaria patris sui Hugonis et matris sue Margarite fiunt, sic et istud fiat. ». L’anniversaire était alors consigné dans le nécrologe du prieuré, malheureusement disparu pour Saint-Leu.

Entretenir la mémoire des nobles et des défunts était pour la communauté ecclésiastique un moyen de reconnaissance du rôle social de l’église et donc une charge essentielle à la reproduction sociale. Selon Michel Lauwers, « en attirant dans leurs bâtiments les biens et les corps des seigneurs locaux, les maisons religieuses ‘compensèrent’ sans doute, en amassant des dons, les vols et les rapines dont elles étaient victimes, mais elles justifièrent surtout la position éminente de l’Eglise, tout en réduisant les prétentions des seigneurs laïcs »35.

b- Être enterré au prieuré

Nous avons déjà vu l’importance que représente le fait de trouver une sépulture à l’intérieur de l’église. Cette importance est due au statut particulier des espaces monatiques. En effet, « les cimetières, dans lesquels gisaient les membres défunts des communautés ecclésiastiques et leurs bienfaiteurs, constituaient des espaces sacrés et protégés »36, puisque l’atrium ou cimetière bénéficiaient de l’immunité dont disposaient les communautés religieuses.

Ainsi, Pierre de Dammartin demande à être enterré auprès de ses parents à l’intérieur de l’église : « nimio animi fervore a nobis postulavit ut juxta patrem suum atque fratrem [matrem]37 apud Sanctum Lupum de Escerente habere sepulturam mereretur »38. De la même façon, Marguerite de Gerberoy est enterré à Saint-Leu : « Omnibus in Christo renatis sit notum quod Margarita de Gerboreio, filia Hugonis de Claromonte, apud Hescerentum presentem vitam terminavit et honorifice est sepulta. »39. Ces deux exemples pourraient nous faire croire que la sépulture dans l’église ou dans le prieuré est réservée aux personnages de haut rang et grands donateurs du prieuré. Pourtant, des aristocrates plus modestes demandent et obtiennent la sépulture à Saint-Leu. Ainsi, Aveline, mère de Jean et Pierre Aiguillon, reçoit la sépulture dans l’aître de Saint-Leu : « Concessit denique prenominatus Petrus pro salute atque pro anima matris suae Avelinae defuncte et in atrio beati Lupi honorifice sepulte »40. Dans ce cas, Aveline n’est pas enterrée dans l’église mais dans l’aître. Même si le prestige n’est pas aussi important que la sépulture dans l’église, il s’agit pour une personne de ce rang d’un grand privilège. Pierre fait, d’ailleurs, une deuxième donation aux moines. Nous pouvons penser qu’il remercie, ainsi, les moines d’avoir accepté d’enterrer sa mère dans l’enceinte de l’atrium du prieuré

c- La societas des moines

Il est difficile de définir précisément ce qu’était la societas des moines. Quatre actes y font directement référence entre 1091 et 1120 et aucun ensuite. Il semble que la societas ait été un moyen pour les moines de Saint-Leu de s’attirer et de fidéliser les donateurs au début de l’existence du prieuré.

L’appartenance à la societas fait suite à une donation et à l’appréciation des moines : « et seniores receperunt eos in benefactis suis et in societate Ecclesie sue »41. Dans ce cas précis, les donateurs intègrent la societas suite à un conflit. L’objet du conflit est finalement donné par les réclamants, en échange les moines décident de les intégrer à leur societas. Dans ce cas, ce conflit très violent42 a fragilisé la jeune communauté. L’appartenance à la societas fait des réclamants des proches du prieuré et peut éviter un autre conflit avec eux. Elle n’est pas réservée à l’élite de l’aristocratie. Des quatre documents conservés, deux concernent la petite aristocratie et deux des aristocrates plus puissants. Par exemple, des membres de la famille de Breuil, que nous avons déjà évoqué, font partie de la societas des moines : « monachi vero receperunt eum [Raoul fils de Foulques de Breuil] in societate beneficiorum Ecclesie »43. Il s’agit, ici, d’une exigence de la part du donateur. Dans le cas des Breuil, les moines cherchent certainement à s’attirer la sympathie et le soutien de la famille la plus puissante d’Hescerent et de ses environs proches. Ils ont rapidement compris la place que jouait cette famille et ils préfèrent les savoir de leur côté. Pour les Breuil, cette demande est un moyen d’être associé aux prières des moines et donc aux bienfaits spirituels créés par celles-ci. De la même façon, les moines reçoivent dans leur societas Guy le chambrier suite à l’usage qu’il leur donne dans sa forêt : « Pro isto autem beneficio monachi societatem suam praedicto Guidoni et uxori illius contulerunt »44. Personnage plus puissant, les moines veulent aussi s’attirer sa bienveillance et ils l’associent, ainsi, à leur prieuré. La societas est aussi un moyen d’attirer de nouveaux donateurs. Le fait que telle ou telle personne y appartiennent peuvent leur assurer la venue d’autres donateurs, vassaux ou proches de membres de leur societas.

Pour les membres de la societas, l’avantage le plus caractéristique de cette appartenance réside dans la possibilité de recevoir une sépulture dans le prieuré voire dans l’église. Pour Raoul, il s’agit d’une motivation clairement exprimée : « tali tamen tenore ut quando ad obitum veniret, pro haec eleemosina sepulture traderent »45. Pour Foulques, son appartenance à la societas lui assure cette sépulture au moment de sa mort : « Fulco filius Aszoise societatem Ecclesie beati Lupi de Escerente accepit atque post obitum ibidem se sepeliri devovit. »46. L’appartenance à la societas est donc aussi un avantage pour ces petits aristocrates qui n’auraient peut-être pas bénéficié d’une telle sépulture autrement. Elle leur assure une sépulture à l’intérieur du prieuré. Et, de la même façon que les moines tirent un prestige de la societas, ces petits aristocrates aussi qui peuvent ainsi se positionner face aux autres familles de la région.

d- La conversion monastique

Entre 1100 et 1150, sept documents donnent des exemples de conversion monastique. Le cas le plus représentatif des conversions monastiques à Saint-Leu est certainement Hugues de Dammartin, mais elle n’est pas abordée clairement et juste évoquée dans un acte de Pierre de Dammartin : « pater suus Hugo comes, monachus noster »47. Les conversions se passent toutes de la même façon. L’aristocrate qui a décidé de se convertir se présente au monastère pour faire une donation. Il est accompagné de sa famille : femmes et enfants et de ses proches. Il associe à son acte l’ensemble de sa famille qui accepte son nouvel état. La donation qu’il fait peut comporter des clauses restrictives permettant à sa femme ou sa famille de de garder l’usufruit de la donation. Ainsi, Aubri, dit Payen de Mello donne au prieuré une moûte à condition d’en jouir pendant sa vie et celle de sa femme : « tali scilicet pacto ut post obitum eius monachi medietatem monnete haberent, et uxor eius alteram medietatem in vita sua teneret »48. Cette donation doit permettre au prieuré de pouvoir accueillir le nouveau moine sans problème d’approvisionnement. Nous pouvons la comparer à une dot que pourrait amener une épouse à son nouveau mari. D’autre part, devenu moine, il ne pourra plus profiter de ces biens, ni les gérer s’ils n’appartiennent pas à la communauté. C’est pour cette raison que les conversions monastiques s’accompagnent d’importantes donations. Ainsi, Eudes de Breuil donne de nombreux revenus au moment de sa conversion49, Eudes Aper donne le bois de la Sagette, une dîme à Orcheu et des serfs50 ou Oduard, prévôt de Creil donne tout ce qu’il possède à Cramoisy51. A chaque fois, ces donations s’accompagnent du consentement de la femme du convert et, éventuellement de ses enfants : « concedente sua conjuge et ejus filiis » pour Oduart.

La plupart de ces conversions a lieu à la fin de leur vie. Pour Dominique Iogna-Prat, la conversion monastique représente « l’antichambre de l’éternité »52. A la fin de leur vie, les aristocrates ressentent le besoin de se rapprocher de l’état du Christ comme l’exprime Hugues de Dammartin dans le préambule de la charte de donation. Le meilleur moyen pour eux est de revêtir l’habit monastique. Ils se préparent ainsi à la vie éternelle et, surtout, ils cherchent à laver leurs péchés commis pendant leur vie. La vie monastique représente une pénitence. Ainsi, Eudes Aper et Eudes de Breuil sont des exemples de petits aristocrates locaux qui se convertissent à la fin de leur vie : « Odo miles de Brolio cum viam universae carnis ingredi cogeretur, a monachis ecclesiae Sancti Lupi se fieri monachum humiliter postulavit »53 et « Oddo Aper, ad finem vite veniens monachos Ecclesie Sancti Lupi mandavit eorumque monachus effectus Deo et apostolis Petro et Paulo »54. Parfois, la donation n’est pas faite par le futur convers mais par un autre membre de la famille, la conversion étant la condition de la donation : « hoc tali pacto quod quemdam suum nepotem Radulfum nomine monachum facerent »55. Dans ce cas, nous pouvons nous demander dans quelle mesure la conversion est désirée par le convers. En effet, la conversion représente un moyen pour les donateurs de continuer à contrôler à l’intérieur de la communauté les biens donnés et surtout, un moyen pour les familles d’éviter le partage au moment de la succession, les enfants devenus moines ne récupérant rien.

e- Le pèlerinage de Saint-Leu

Un acte datant de la fin du XIIe siècle nous apprend l’existence de la venue de pèlerins à Saint-Leu. Il règle les problèmes de paiement de droits au passage du port pour les pèlerins : « volumus litteris tradere consuetudinem que est inter Ecclesiam beati Lupi et Girardum et Ivonem qui portum jure hereditario tenent, de peregrinis qui ad altare Sancit Lupi veniunt transvehendis. »56. Ce pèlerinage est aussi connu par une enseigne de pèlerinage de la fin du XIIIe siècle conservée au musée de Beauvais et retrouvée au Mont-Saint-Adrien, dans le canton d’Auneuil. Cela montre le succès de ce pèlerinage, puisqu’elle a été retrouvée à 42km du prieuré. Elle représente dans un portique très simple, saint Leu en costume d’évêque, tenant une grande croix processionnelle et bénissant deux pèlerins à genoux, tandis qu’un lion lui sert de caractéristique. Autour se trouve une légende : « † VECI : S : LEV : DESSERENS. »57. Il semble, d’après cette enseigne, que les pèlerins venaient prier Saint Loup, évêque de Sens du VIe siècle à qui était consacré l’église.

L’acte organise très précisément le règlement du passage des pèlerins. Il prévoit la gratuité pour toutes les personnes à pied d’où qu’ils viennent. S’ils ont une monture, ils doivent s’acquitter du droit de passage sauf s’ils viennent de Dammartin. S’ils passent l’eau, ils doivent payer le droit de passage, sauf pour les enfants en-dessous de sept ans. Enfin, les pèlerins venant d’un autre port pour aller au pèlerinage, ne s’acquitteront d’aucun droit. Le pèlerinage représente pour les moines un revenu non négligeable. Le pèlerinage est un moment où les donations sont plus importantes, les pèlerins faisant état de piété. Il n’est donc pas étonnant de voir les moines faciliter le passage des pèlerins. Il est important de noter la place à part des pèlerins venant de Dammartin. Malgré la disparition de la famille de Dammartin, les moines possèdent de nombreuses terres dans ses environs. Ils y possèdent donc une influence spirituelle importante qui a pour conséquence la venue de pèlerins. Il est, malheureusement, impossible de savoir précisément les motivations des pèlerins pour leur venue à Saint-Leu et surtout les cérémonies spécifiques de ce pèlerinage par manque de sources.

Notes de bas de page

1 Episcopus et Comes, p. 69.

2 Cf supra, la partie consacrée à la disparition des Dammartin.

3 Episcopus et Comes, p. 75.

4 Il est inutile de revenir précisément sur ces problèmes qui n’ont aucune conséquence pour le prieuré. Nous renvoyons le lecteur à Episcopus et Comes, pp. 75-78.

5 Episcopus et Comes, p. 125.

6 Episcopus et Comes, p. 128.

7 Müller, n°2.

8 Müller, n°25.

9 Müller, n°42.

10 Müller, n°50.

11 Müller, n°53.

12 Müller, n°54.

13 Müller, n°74.

14 Ibid.

15 Müller, n°25.

16 Müller, n°48.

17 Champagne-sur-Oise, Val-d’Oise, cant. Beaumont-sur-Oise.

18 Müller, n°76.

19 Peut-on, d’ailleurs, les qualifier de donations ?

20 Müller, n°45.

21 Ibid.

22 Müller, n°48.

23 Müller, n°45.

24 Ibid.

25 Ibid.

26 Müller, n°48.

27 Ibid.

28 Müller, n°76.

29 Ibid.

30 Dominique Iogna-Prat, Ordonner et exclure, Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1000-1150, pp. 219-224.

31 Michel Lauwers, op. cit., p. 121.

32 Michel Lauwers, op. cit., p. 122.

33 Müller, n°31.

34 Müller, n°40 ; nous avons déjà étudié précisément ces deux actes dans la partie consacrée aux donations, nous y renvoyons le lecteur.

35 Michel Lauwers, op. cit., p. 193.

36 Michel Lauwers, op. cit., p. 126.

37 Il semble plus logique de lire matrem que fratrem, Pierre n’ayant pas de frère.

38 Müller, n°11.

39 Müller, n°31.

40 Müller, n° 37.

41 Müller, n°3.

42 Nous avons déjà étudié ce conflit dans la partie consacrée aux difficultés de la mise en place. Nous y renvoyons le lecteur.

43 Müller, n°6.

44 Müller, n°29.

45 Müller, n°6.

46 Müller, n°17.

47 Müller, n°11.

48 Müller, n°7.

49 Müller, n°35.

50 Müller, n°61.

51 Müller, n°65.

52 Dominique Iogna-Prat, op. cit., p. 47.

53 Müller, n°35.

54 Müller, n°61.

55 Müller, n°34.

56 Müller, n°89.

57 Danjou « Note sur une enseigne de pèlerinage conservée au musée de Beauvais », Mémoires de la société Académique d’archéologie, sciences et arts du département de l’Oise, t.2, 1852-1855, Beauvais, p. 410-419.

III- La remise en cause du rôle du prieuré dans le système féodal, 1150-1230

 

A- Saint-Leu sous l’influence des Clermont

De la même façon que les Dammartin avait atteint une maturité à la fin du XIe siècle, les Clermont l’atteignent dans les années 1150. Dans ces conditions, le prieuré de Saint-Leu représente pour cette famille un moyen de s’imposer dans le sud du Beauvaisis et pour les moines, un moyen de protection face aux aristocrates, ennemis de leur pouvoir.

1- Présentation de la famille des Clermont

L’ascension de la famille de Clermont dans le système féodal du nord de l’Île-de-France est exemplaire et permet de comprendre pourquoi le prieuré de Saint-Leu représente pour eux un enjeu de taille dans leur marche vers le pouvoir souverain sur le Beauvaisis. Il est donc essentiel de resituer les origines de la famille et de la présenter.

a- Origine de la seigneurie de Clermont

Le premier seigneur de Clermont que la documentation peut assurer est Renaud Ier, chambrier du roi entre 1060 et 1065. Pourtant, certains historiens ont essayé de faire remonter plus haut les origines de la seigneurie des Clermont. Le comte de Luçay1 donne au seigneur de Clermont la même origine que les Dammartin, puisqu’il assimile un Baudouin de Clermont présent dans une charte de 10232 au comte Hilduin II, frère de Manassès de Dammartin, fils de Guillaume, comte de Ponthieu et vicomte de Chartres. Cette hypothèse est séduisante mais dispose de beaucoup de zones d’ombres : comment la seigneurie est passé d’Hilduin II à Renaud Ier ? Pourquoi Hugues, fils de Renaud Ier épouse Marguerite de Roucy, petite-fille d’Hilduin II ? Beaucoup d’éléments manquent donc pour reconstituer les origines de la famille et de la seigneurie de Clermont et il n’y a qu’une étude sérieuse et complète qui puisse permettre de le faire. Nous nous contenterons donc de ces quelques indications sur les origines des Clermont et préférons nous concentrer sur les personnages dont la documentation est plus riche.

Renaud est le premier seigneur de Clermont à être cité comme tel dans la documentation. Ainsi, dans l’Histoire ecclésiastique d’Ordéric Vital3, il apparaît comme l’un des chefs de l’armée qu’Henri Ier conduisit en 1054 en Normandie au secours des barons révoltés contre le duc Guillaume, et qui fut battue à Mortemer-en-Bray4. Il est un proche et un fidèle des rois de France. Il est donc permis de l’assimiler au chambrier Renaud qui agit entre 1060 et 1065 sous les ordres d’Henri Ier. Toutes les sources5 qui parlent de Renaud le dénomment Renaud de Clermont : « Rainaldus de Claromonte ». Il ne semble pas qu’il portait le titre de comte. On ne connaît ni le nom de son épouse, ni la date de sa mort. Son fils, Hugues lui succède à la tête de la seigneurie de Clermont.

Hugues, du vivant de son père, est connu sous le nom d’Hugues de Mouchy, du nom de la seigneurie qu’il possédait à Mouchy-le-Châtel. D’après Bosquillon, Hugues a accompagné Guillaume, duc de Normandie, à la conquête de l’Angleterre en 1066. Il va, ensuite, en Italie au secours de Roger, duc de Pouille, frère de Robert Guiscard pour l’aider à chasser les Sarrasins de la Sicile. Cette escapade italienne expliquerait la présence d’un Hugues le Borgne de Clermont qu’Ordéric Vital6 fait figurer en 1085 parmi les conseillers de Boémond, prince de Tarente. Hugues apparaît pour la première fois en tant que seigneur de Clermont dans une charte de 1100 par laquelle il fit donation du prieuré de Breuil-le-Vert7 à l’abbaye de Saint-Germer-de-Fly8. Cette charte permet d’ailleurs d’apprécier une partie de l’étendue des possessions des Clermont au début du XIIe siècle. Les possessions des Clermont ont été constitués grâce à des mariages avec des riches seigneurs du Beauvaisis et du nord de l’Île-de-France. La stratégie matrimoniale a joué un grand rôle dans la constitution de leurs biens. Deux pôles peuvent être constitués pour faire la description de leurs biens. Dans le Beauvaisis, les possessions comprenaient les seigneuries de Clermont, de Breuil-le-Vert et de Mouchy-le-Châtel, pour autant que le sobriquet désignant Hugues correspond à cette seigneurie. S’ajoute à cela un certain nombre de droit et de terres plus dispersées : la dîme de Villers-sous-Saint-Leu, comprise dans la donation de 1100 et des biens à Précy-sur-Oise et enfin, la châtellenie de Creil. Il semble que sa possession est due à une concession royale comme le montre un acte du XIIe siècle : « Ego Hugo Rainaldi filius, regis beneficio Credulii dominus »9. Dans le nord de l’Île-de-France, il possédait le château de Luzarches qui fut l’enjeu de luttes en 1102 entre Hugues de Clermont et Mathieu Ier, comte de Beaumont, luttes racontées par Suger10. Mathieu possédait la moitié de la seigneurie de Luzarches, par son mariage avec Emme de Clermont. Fort de l’alliance de Bouchard III de Montmorency et de Dreux de Mouchy, deux puissants seigneurs de l’Ile-de-France, Mathieu s’empare de l’autre moitié du comté. Hugues fait appel au roi de France, Louis VI le Gros. Ce dernier se précipite au secours de son vassal, dans ce qui constitue une des premières interventions royales dans le Beauvaisis d’après Suger. Mais, la campagne est un échec pour le roi qui est défait devant Chambly. Pourtant, Mathieu sollicite la paix que le roi accepte en échange du respect du contrat de mariage par les deux partis. Cette histoire est très représentative des rapports entre les Clermont et la royauté. Les deux sont liés dans une fidélité commune qui n’est jamais remise en question. Elle montre aussi la faiblesse militaire du roi capétien, mais aussi, sa puissance symbolique, puisque, malgré sa victoire, Mathieu revient sur sa décision. Enfin, elle nous éclaire sur les réseaux d’alliance et les luttes seigneuriales du nord de l’Ile-de-France.

Hugues se marie avec Marguerite de Roucy, fille de Hilduin III, comte de Montdidier et d’Alix, comtesse de Roucy. Ils ont sept enfants : Renaud, qui prend sa succession à la tête de la seigneurie, Guy, blessé à la bataille de Brenneville en 1119, Raoul, chanoine de Beauvais, Emme dont nous venons de parler, Richilde mariée à Dreux II, seigneur de Mello, Ermentrude mariée à Hugues d’Avranches, comte de Chester et Adélaïde, mariée à Gislebert d’Angleterre. Nous avons déjà vu le rôle joué par Ermentrude, Adélaïde et Renaud dans le prieuré de Saint-Leu. Hugues est mort avant 1114, année où Renaud II assiste à la dédicace de la collégiale de Clermont, en tant que seigneur de Clermont.

Renaud II prend la succession de son père à la tête de la seigneurie. Fidèle du roi, tout comme son père, il est marié à Adélaïde de Vermandois, veuve d’Hugues le Grand, frère de Philippe Ier, tous deux présents à la fondation de Saint-Leu. Comme nous l’avons vu, Adèlaïde de Vermandois est une des femmes les plus puissantes du Beauvaisis, elle possède le comté de Valois et celui de Crépy par son père et son mariage avec Hugues le Grand lui a donné un prestige immense. Ce mariage représente donc une chance pour les Clermont d’ascension, surtout que Renaud est bien plus jeune que son épouse. Il est probable que, grâce à ce mariage, Renaud prend le titre de comte qui restera ensuite dans sa famille. Renaud s’efforce, durant toute sa vie, de renforcer la position de sa famille dans le Beauvaisis par des donations aux établissements ecclésiastiques ou des mariages, tout en restant fidèle au roi de France. Ainsi, il met en place une « nébuleuse » dont son fils bénéficie ensuite pour s’imposer définitivement sur la région. Renaud II est veuf vers 1123, il ne se remarie que quelques années plus tard avec Clémence de Bar. Nous avons déjà présenté cette femme, puisque le roi l’a marié en premières noces avec le fils de Pierre de Dammartin. De la même façon que son mariage avec Adèlaïde de Vermandois, des manipulations royales sont certainement à l’origine de ce second mariage. En effet, Louis VI avait confié les destinées du comté de Dammartin à un de ces proches, Lancelin de Beauvais, qui devait s’occuper du fils de Pierre, en tant qu’oncle. Mais Lancelin trahit le roi de France11. A la mort du fils de Pierre, le roi s’arrange, donc pour que l’héritière du comté de Dammartin, Clémence, se remarie à un de ces proches. Il choisit Renaud de Clermont, dont la famille n’a jamais trahi les Capétiens, au contraire des Dammartin, spécialistes dans ce domaine. Une fois ce mariage contracté, Renaud récupère l’influence de la famille de Dammartin, disparue, sur le Beauvaisis. Pour autant, il ne semble pas qu’il possède le comté. Il n’apparaît qu’une fois avec le titre de comte de Dammartin, dans une charte de 1138 de l’abbaye de Chaâlis12 et Clémence apparaît seule dans les chartes où elle porte le titre de comtesse de Dammartin. Ainsi, le chapitre Tremblay du cartulaire blanc de Saint-Denis contient deux chartes de Clémence, comtesse de Dammartin, mais on ne note pas la présence de Renaud13. Il semble, d’ailleurs, que le comté en lui-même est alors confisqué par le roi de France14. D’Adélaïde de Vermandois, Renaud a une fille qu’il marie avec Charles de Danemark dit le Bon, cousin et héritier de Baudouin VII, comte de Flandre. De Clémence, Renaud a neuf enfants :

  • Raoul, son successeur.

  • Simon, qui épouse Mathilde, fille puînée de Galeran IV de Breteuil, puissante famille du Beauvaisis.

  • Hugues, qui fait une brillante carrière ecclésiastique, puisqu’il devient abbé de Cluny en 1183.

  • Gui, Renaud et Gautier, dont la documentation n’a gardé aucune trace et qui sont certainement morts jeunes.

  • Marguerite, qui épousa vers 1152 Guy le Bouteiller de Senlis, seigneur de Chantilly.

  • Mathilde, femme de Rogues de la Tournelle, une des principales maisons du Vermandois.

  • Mahaud, qui se marie avec Aubri II, fils d’Aubri Ier, chambrier du roi et qui récupère le comté de Dammartin en 1162.

Ainsi, Renaud assure à tous ces enfants un mariage avec les plus brillants dignitaires du Beauvaisis et du nord de l’Ile-de-France et assure la pérennité du comté de Clermont par une politique de structurations de ses domaines, comme la reconstruction du château de Montataire15, et de donations aux établissements ecclésiastiques de la région, dont le prieuré de Saint-Leu d’Esserent.

2- Raoul de Clermont16

Tout en continuant l’œuvre de son père, Raoul s’attache pendant toute sa vie à augmenter ses possessions, à les organiser et à imposer sa famille sur le Beauvaisis. Pour y parvenir, il fait de nombreuses donations aux différents établissements ecclésiastiques du Beauvaisis et met en place de nombreux défrichements pour la construction de nouveaux villages à qui il accorde des chartes de franchise permettant la venue de nombreux habitants.

Châtelain de Creil en 1152, il succède à son père Renaud II dans les premiers mois de 1157. Il est investi de la charge de connétable du roi en 1164, charge qu’il garde jusqu’à sa mort en 1191. Il devient donc un proche du roi Louis VII. Toute la vie de Raoul est partagé entre la mise en place de son pouvoir sur le Beauvaisis et ses activités parmi les hautes sphères du royaume. Dans le Beauvaisis, Raoul cherche à imposer son influence par de nombreuses donations aux différents établissements ecclésiastiques de la région. Parmi celles-ci, nous pouvons citer :

  • Le don de toute la couture de la Vallière à l’abbaye d’Ourscamp en 1162.

  • Le don des terres labourables de Gournay à l’église Notre-Dame du lieu en 1165.

  • L’exemption des droits de travers à Creil pour le prieuré de Saint-Christophe-en-Halatte en 1171.

  • Le droit accordé à l’Hôtel-Dieu de Beauvais de prendre le bois mort dans le bois d’Escud en 1171 à titre d’aumône.

Il ne s’agit, ici, que d’exemples. Mais, ils montrent la diversité des bienfaits accordés par Raoul. Les établissements sont de différents types : abbaye, église, prieuré et hôtel-dieu et les formes de la donation aussi : don de terres ou exemption de droits. Raoul s’attache à quadriller l’espace. Le prestige reçu par ces donations procure à Raoul le moyen d’imposer sa famille sur la région, puisqu’elles lui permettent de s’attirer l’appui des établissements ecclésiastiques, alors qu’il possède déjà celui du roi. Pour autant, les choses ne sont pas aussi faciles et à plusieurs reprises, Raoul s’attire les foudres de certaines communautés pour des exactions commises sur leur propriété. Ainsi, Raoul est excommunié suite à des démêlés avec les chanoines du chapitre Saint-Pierre de Beauvais concernant les droits de défricher une forêt qui leur appartenait. Cet épisode montre que bien plus qu’un pieux laïc faisant des donations, Raoul est un seigneur qui protège et augmente ses intérêts. Il est assez semblable en cela à Hugues de Dammartin.

La mort de Louis VII en 1180 entraîne l’apparition de deux factions rivales à la cour : la première dont fait partie Raoul, celle de la reine-mère soutenue par la famille de Champagne et la seconde, celle du comte de Flandre, Philippe d’Alsace, tuteur du nouveau roi, Philippe Auguste. Evincé au bout de quelques années, Philippe d’Alsace se retire dans ces états pour préparer la guerre contre l’autre faction. Les hostilités se déclenchent en particulier sur les terres du Beauvaisis. Rapidement arrêté grâce à la médiation du roi d’Angleterre, le conflit permet à Raoul de s’affranchir de la tutelle du comte de Flandre et le place dans la mouvance de la couronne. Mais, certaines campagnes du Beauvaisis sont dévastées. Raoul s’attache à réparer le tort causé. Il essaye aussi d’augmenter ses possessions en autorisant des défrichements dans la forêt de Hez et donne aux habitants des nouveaux villages créés des taxes de franchise attrayantes qui permet l’arrivée de nombreux villageois. Raoul prend la croix à l’entrevue de Gisors en janvier 1187 pour récupérer Jérusalem tombé aux mains de Saladin. Avant de partir, selon la tradition, Raoul fait de nombreuses donations aux établissements ecclésiastiques de la région. Il meurt de la peste sous les murs de Saint-Jean-d’Acre comme de nombreux autres chevaliers français. Ses dernières volontés sont transmises par les lettres de Philippe Auguste de juillet 1191. De sa femme Aëlis de Breteuil, il eut 4 enfants dont deux lui survécurent : Catherine qui prend le titre de comtesse de Clermont et Mathilde ou Mahaut.

2- Saint-Leu et les Clermont : 80 ans de présence et d’influence

a- Origine des rapports

Les rapports entre le prieuré et les Clermont sont anciens. Ils semblent que les premiers contacts datent de 1101 au plus tard. Les donations, alors accordées par Hugues de Chester, mari d’Ermentrude, fille d’Hugues de Clermont et Hugues de Clermont lui-même, sont rappelées dans une notice de 1150 dans laquelle Renaud, comte de Clermont demande l’aide des moines dans une intervention du château de Creil au nom des terres données par ses ancêtres17. Il n’est pas étonnant de voir si tôt les Clermont dans l’entourage du prieuré. Il existe une certaine proximité entre les Dammartin et les Clermont ; le comte de Luçay leur donne la même origine. Même si cette hypothèse n’est pas vérifiée, il semble évident que les deux familles se connaissaient, puisqu’elles sont toutes les deux dans l’entourage royal. De plus, le prestige de Cluny à cette époque permet au prieuré d’attirer de nombreux donateurs issus de l’aristocratie royale.

Les relations entre le prieuré et les Clermont vont se poursuivre à un rythme régulier pendant toute la première moitié du siècle. Elles sont de différentes natures : confirmations, donations, demandes. La première notice à mentionner l’intervention des Clermont date de 1119 au plus tard. Suite à une donation, les moines trouvent Renaud de Clermont pour lui demander son consentement puisqu’il était seigneur sur cette terre: « Verum quia nulli totum suum feodum in eleemosyna dare licet sine licentia ejus aut permissione a quo ipsum tenet, hac de causa monachi Sancti Lupi comitem Rainaldum Claromontensem adierunt »18. Par cette confirmation, les moines se protègent de toute réclamation et conflit. Ainsi, ils entrent en contact avec Renaud de Clermont qui devait avoir déjà une influence dans les alentours d’Hescerent, puisque la terre donnée Trossy se trouve à 3km du prieuré. Renaud accepte de confirmer cette donation, mais en échange il pose un condition. Il demande aux moines de surveiller le château de Creil la nuit ou de lui verser trois sous de Senlis pour entretenir le château. Les moines entretiennent des relations cordiales avec le comte de Clermont. Ils ont compris l’importance de ce comte pour la pérennité de leur établissement. Les deux actes suivants sont les anniversaires de Marguerite de Gerberoy et d’Adélaïde, les sœurs de Renaud de Clermont que nous avons déjà cités. La donation de Marguerite est confirmé par Renaud de Clermont. La charte d’Adélaïde nous apprend que le prieuré honorait déjà le souvenir d’Hugues de Clermont et sa femme Marguerite : « ut quemadmodum anniversaria patris sui Hugonis et matris sue Margarite fiunt »19. Il semble donc que les Clermont étaient des proches du prieuré dès le début du siècle, ces deux anniversaires entrent dans une tradition familiale établie depuis Hugues de Clermont. Les relations se stabilisent entre le prieuré et les Clermont. Il semble qu’aussi bien Renaud que les moines ont compris les intérêts qu’ils pourraient tirer de relations cordiales. Ainsi, Renaud profite de la donation du tiers du transit du pont de Creil pour demander la confirmation à Eudes, évêque de Beauvais, Sanson, archevêque de Reims et Louis VII, roi de France20. De leur côté, les moines voient dans la famille des Clermont des remplaçants pour les Dammartin. L’appui d’une grande famille représente pour eux un moyen de protection et de défense face aux petits aristocrates de la région.

b- De la présence à l’influence

Dans toute la première moitié du XIIe siècle, les Clermont sont des proches du prieuré. Ils en font un lieu de sépulture, même s’il serait exagéré de parler de nécropole familiale. La proximité avec Creil où il possède un château et surtout les droits que les Clermont et le prieuré possèdent sur l’Oise les ont obligés à se rapprocher et à entretenir des relations cordiales. Le tournant de leurs relations se situent en 1152. Les Clermont deviennent alors omniprésents dans la vie du prieuré. Ils amènent à Saint-Leu de nouveaux donateurs et il n’est pas exagéré de voir avec l’arrivée des Clermont un nouveau dynamisme sur la communauté.

Le changement n’est bien sûr pas aussi brutal, mais il est la conséquence d’une évolution que nous avons étudié. Pourtant, un acte de 1152 de Renaud de Clermont est très représentatif. Dans cet acte, Renaud, sa femme, Clémence et leur fils Guy, confirment les biens données autrefois par Aubri, dit Payen, les comtes de Dammartin, son père Hugues de Clermont et sa mère Marguerite, Hugues de Chester et son fils Richard : « Rainaldus comes de Claromonte et Clemencia uxor ejus et Wido eorum filium…..concesserunt ecclesie beati Lupi et monachis ibidem Deo servientibus quicquid Albericus qui alio nomine vocabatur Paganus…et quidquid comites de Donno Martino dederant et concesserant, et quod pater suus Hugo de Claromonte et Margarita mater ejus, et comites Cestrenses Hugo et Richardus predicte ecclesie dederunt et concesserunt »21. Ces confirmations peuvent s’expliquer aisément. Pour les comtes de Dammartin, Clémence en est l’héritière. En effet, comme nous l’avons déjà vu, avant d’être mariée avec Renaud, il semble que Clémence ait été l’épouse du fils de Pierre de Dammartin. A ce titre, elle est la comtesse de Dammartin, il n’est donc pas étonnant de la voir confirmer les donations de cette famille. Quant à Hugues de Chester, il était l’époux d’Ermentrude, sœur de Renaud et Richard est donc son neveu, mort en 1119 dans le naufrage de la Blanche-nef22. Il est inutile de préciser pour Hugues de Clermont et sa femme. En revanche, le personnage d’Aubri, dit Payen, pose plus de problème. Toutes les possessions données par ce personnage sont rappelés précisément. La documentation comprend bien deux actes faisant mention d’Aubri dit Payen de Mello, mais dans ces deux actes, il n’est pas fait référence aux Clermont mais aux Dammartin dont Aubri était un des vassaux : « monnetam de Hescerens que de feodo comitis Domni Martini erat »23. Nous pouvons donc penser que ces donations sont confirmées du fait de la présence de Clémence en tant qu’héritière des Dammartin.

Cet acte est donné sur le conseil de leur sénéchal Ansoud. Il s’agit certainement d’Ansoud de Ronquerolles, proche des Clermont et famille importante du Beauvaisis. Il donne l’impression d’une « prise de pouvoir » des Clermont, d’un changement. En confirmant des donations anciennes, Renaud se met au-dessus de tous ces donateurs ou du moins dans la même lignée. Le prieuré passe alors sous l’influence des Clermont et cet acte marque la légitimité de Renaud à devenir le protecteur de l’établissement. Le prieuré lui semble, certainement, un bon point d’appui avant son château de Creil sur la route allant vers Paris et sa position stratégique permet une surveillance des environs et surtout de l’Oise, chemin direct vers Creil, lorsqu’on vient de Paris. D’autre part, le prieuré est devenu à ce moment-là une grosse communauté et le comte de Clermont doit se positionner face aux rois qui a la main sur l’abbaye cistercienne de Chaâlis à une vingtaine de kilomètres. Cet acte finit de sceller les relations entre les Clermont et le prieuré. Mais, à la différence des précédents actes, il est clair que Renaud se place, ici, dans une position hiérarchiquement supérieure aux moines alors qu’il les avait toujours traités d’égal à égal.

c- « Une avouerie sans le nom »24

L’étape suivante dans les relations entre les Clermont et le prieuré est franchie par une charte du 24 février 1176. Cette charte est certainement une des plus importantes du XIIe siècle ; elle marque une deuxième « naissance » du prieuré. Son importance est marquée par la présence de personnages très importants comme Raoul, l’abbé de Cluny, de grands dignitaires de l’abbaye de Cluny : le sacriste et le constubularius (à vérifier) et de grands dignitaires religieux du Beauvaisis comme l’abbé de Saint-Germer-de-Fly. Elle fait suite à une donation importante de Raoul de Clermont pour l’âme de ses ancêtres enterrés à Saint-Leu : « quam pro animabus progenitorum meorum qui in monasterio Sancti Lupi de Ascerento sepulti sunt »25. Dans cet acte, Raoul donne au prieuré de Saint-Leu l’église de Saint-Evremond de Creil accompagnée de toutes ses possessions par la main de l’évêque élu de Beauvais, Philippe de Dreux. L’acte de Raoul est donné au prieuré le même jour devant tous les personnages précédemment cités.

Cette charte marque un accord de protection entre Raoul, l’abbé de Cluny et Raoul, comte de Clermont. Malgré les armes spirituelles dont dispose le prieuré, il semble qu’il peine à faire face aux différents ennemis qui pillent ses ressources : « de quibusdam militibus in eadem villa manentibus et de rusticis ejusdem monasterii verberabant et quosdam de monachis vulnerare presumpserant »26. Le prieur, Renaud de Haute-Pierre, a dû trouver une solution pour empêcher ces exactions. Il fait donc appel à un proche du prieuré, le plus important seigneur du Beauvaisis à l’époque, le comte de Clermont. L’abbé de Cluny permet donc à Raoul de protéger le prieuré. Pour y parvenir, il lui permet de construire une maison forte sur les terres du prieuré : « Concessimus ei mansuram unam in villa de Esserens in propria terra Sancti Lupi, preter culturas, ad construendam domum circumdatam fossa et muro sine turri »27. La précision « sine turri » montre l’importance d’une telle construction. Raoul de Clermont ne devient pas le co-seigneur d’Hescerent, mais simplement le protecteur du prieuré. Or, la tour est un symbole de la seigneurie ; il est donc normal de voir cette précision. Surtout, les moines craignent que Raoul devienne le seul maître d’Hescerent grâce à sa puissance militaire. En échange de la protection, le comte de Clermont reçoit la moitié de la justice du lieu. La charte met en place les moyens d’assurer la protection. Le comte de Clermont aura un prévôt qui devra prêter serment au prieur et aux moines et le prévôt du prieuré devra prêter serment au comte : « Porro prepositus comitis priori et monachis juramento obligetur et monachorum preositus comiti, de fidelitate exactionis justicie. »28. Cet accord s’accompagne de dispositions précises concernant les habitants d’Hescerent. Le comte percevra deux mines d’avoine par maison d’Hescerent. Sont exclus de cette disposition, ainsi que de la justice du comte, les serfs, serves et serviteurs du prieuré. S’ils possèdent une maison , les serviteurs devront verser une mine d’avoine tant qu’ils resteront au service du prieuré. D’après les règles féodales, les habitants d’Hescerent, en tant que vassaux du comte, devraient le suivre en cas de guerre. Pourtant, l’abbé prend ses dispositions pour que les habitants ne puissent être appelés par le comte : « Preterea non liceat comiti ducere aut violenter trahere homines illius ville ad bella vel ad exercitus, neque ad castra sua facienda sive reficienda, vel ad aliquod opus suum »29. De plus, l’abbé de Cluny demande le transfert de la foire de Creil à Hescerent. Le comte et les moines s’en partageront les revenus. Il permet à Raoul de construire un pont sur l’Oise dont ils se partageront aussi les revenus. Enfin, les moines pourront construire des moulins sur le pont sur lesquels le comte ne percevra rien, quant à lui, il ne pourra pas faire de moulin sur toute la rivière. Enfin, l’abbé de Cluny prend ses dispositions si les termes de l’accord ne sont pas respectés. Le comte ou ses successeurs comparaîtront en jugement à Saint-Leu. Cet acte prend la forme d’un chirographe portant les sceaux de Saint-Leu et de Raoul, comte de Clermont.

Pour le prieuré, l’importance de cette charte tient à la fois à la protection trouvé en la personne de Raoul de Clermont et aussi à l’arrivée de nouveaux revenus importants avec le transfert de la foire de Creil qui permettent d’amortir la perte de la moitié de la justice. Surtout, le prieuré garde la main sur le lieu et sur ses serviteurs, puisque les moines restent les seuls seigneurs. Pour Raoul, elle lui permet de se positionner sur les bords de l’Oise au sud de son château de Creil et de concrétiser la proximité de sa famille avec le prieuré. Il y gagne aussi de nombreux revenus à percevoir sur les habitants d’Hescerent ou sur la justice du lieu. Hescerent représente, pour Raoul, un point d’appui au sud du Beauvaisis, aux frontières de l’Ile-de-France et du Senlisois, domaines royaux. Cette charte peut être assimilée à une avouerie, même s’il n’en existe pas pour Cluny et qu’elle ne dit pas vraiment son nom. C’est pourquoi nous pouvons parler d’une « avouerie sans le nom ».

d- Contrôler le Beauvaisis : Saint-Leu comme élément d’une stratégie globale

Cinq zones distinctes peuvent être dégagées dans l’organisation des possessions des Clermont30 :

  • Le long de l’Oise, de Précy-sur-Oise à Montataire et Creil.

  • Des possessions égrenées le long de la Brèche.

  • A l’ouest de Clermont, la forêt de Hez.

  • A l’est de la Brèche, le triangle compris entre l’Oise et l’ancienne voie romaine jusqu’au carrefour de Saint-Martin-Longueau31.

  • Une zone de 300km² comprise entre les voies Clermont-Saint-Martin-Longueau, Saint-Just32-Saint-Quentin33 et Saint-Quentin-Senlis.

Dans ce système, Saint-Leu fait bien-sûr partie de la première zone. L’accord conclu entre le prieuré et Raoul, comte de Clermont n’est pas le seul. Le comte s’attache à faire des établissements ecclésiastiques des alliés de poids dans sa stratégie de contrôle de ses possessions. Ainsi, il conclut deux accords analogues avec l’abbaye de Saint-Lucien-de-Beauvais en 1187 et avec l’abbaye de Saint-Germer-de-Fly en 1190. Par ces accords, Raoul se charge de lever cens et tailles sur les tenanciers de l’abbaye se trouvant à Rosoy34 et Beaupuits35 pour Saint-Lucien-de-Beauvais et sur ceux de Rieux36 pour Saint-Germer-de-Fly. En échange, il reçoit une rente de quatre deniers par hôte, outre la moitié des droits casuels, mainmorte et congé. Cette stratégie d’alliance avec les établissements ecclésiastiques lui permet de disposer d’appuis sûrs sur l’ensemble du Beauvaisis, puisque les moines ne peuvent prendre les armes contre lui. Ils se protègent ainsi des autres seigneurs locaux et surtout met en place un dispositif de surveillance dont Saint-Leu et sa position stratégique au-dessus de l’Oise est un représentant. Enfin, il attire sur sa famille prestige, prières et argent. A la différence des Dammartin, Saint-Leu n’est pas un but unique pour Raoul, même si ce prieuré représente, certainement, une espèce de nécropole familiale. La stratégie, autrefois appliquée par Hugues de Dammartin, est, ici, amplifiée avec l’appui d’autres établissements ecclésiastiques de la région et surtout avec l’appui du roi de France dont Raoul est le connétable et donc un des plus fidèles alliés. La protection mise en place par les Clermont représente pour le roi de France une zone de protection en cas de problèmes au nord du domaine royal. D’ailleurs à la mort de Raoul, sa fille Catherine amène le comté dans le giron capétien, puisqu’elle est mariée avec Louis de Blois, fils de Thibault dit le Bon, comte de Blois et de Chartres et d’Alix de France.

Notes de bas de page

1 Le comte de Luçay, Le comté de Clermont-en-Beauvaisis, étude pour servir à son histoire, Paris, 1878.

2 Louvet, Tome II, p. 186-188.

3 Orderic Vital, tome IV, p. 86.

4 Mortemer, Seine-Maritime, cant. Neufchâtel-en-Bray.

5 Par exemple, Ordéric Vital, tome IV, p. 86 et p. 88.

6 Orderic Vital, tome IV, p. 32.

7 Breuil-le-Vert, Oise, cant. Clermont.

8 Louvet, t. I p. 652

9 M. Mathon, Histoire de la ville et du château de Creil, 1861, p. 28.

10 Suger, Vie de Louis VI le Gros, p. 18-25.

11 Cf. la première partie de ce travail

12 Gallia Christiana, Tome X, instrumenta ecclesiae Silvanectensis, col. 212.

13 Olivier Guyotjeannin dir., le cartulaire blanc de Saint Denis, chapitre de Tremblay, n°2, n°10, http://www.enc.sorbonne.fr/cartulaireblanc/tremblay/voir.php?id=2 et http://www.enc.sorbonne.fr/cartulaireblanc/tremblay/voir.php?id=10

14 Sur cette question, nous renvoyons le lecteur à la partie consacrée au retour des Dammartin.

15 Müller, n°59

16 Les informations qui nous ont permis de retracer la biographie de Raoul de Clermont sont tirées de l’ouvrage du comte de Luçay, Le comté de Clermont-en-Beauvaisis, étude pour servir à son histoire, p. 18-30.

17 Müller, n°59.

18 Müller, n°21.

19 Müller, n°40.

20 Müller, n°41 à 44 ; nous avons déjà étudié ces chartes, nous y renvoyons le lecteur.

21 Müller, n°63.

22 Guyotjeannin Olivier, « Le comté de Clermont (XIe-début XIIIe s.) », ….., p. 29.

23 Müller, n°8 ; le deuxième acte faisant référence à Aubri est Müller, n°9.

24 Je dois cette expression à Olivier Guyotjeannin.

25 Müller, n°79.

26 Müller, n°80.

27 Ibid.

28 Ibid.

29 Ibid.

30 Olivier Guyotjeannin, art. cit., p. 31.

31 Saint-Martin-Longueau, Oise, cant. Liancourt.

32 Saint-Just-en-Chaussée, Oise, ch.-l. cant.

33 Saint-Quentin, Aisne, ch.-l. cant.

34 Rosoy, Oise, cant. Liancourt.

35 Beaupuits, Oise, cant. Saint-Just-en-Chaussée, comm. Grandvillers-aux-Bois.

36 Rieux, Oise, cant. Liancourt.

B- Le retour des Dammartin

Disparus de la documentation aux alentours de 1120, les Dammartin font une réapparition à partir de la deuxième moitié du XIIe siècle et surtout à partir de 1200. Pour comprendre les raisons de cette réapparition, il faut d’abord étudier le destin de la famille de Dammartin après la mort du fils de Pierre de Dammartin et le remariage de Clémence avec Renaud de Clermont pour comprendre, ensuite, les enjeux des rapports entre les Dammartin et le prieuré au début du XIIIe siècle.

1- Destin du comté de Dammartin dans la deuxième moitié du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle.

Le comté est détenu par Clémence, femme de Renaud de Clermont. Nous avons déjà vu comment il lui échut. Pourtant, il est difficile de comprendre l’attitude de Louis VII, lorsqu’il confie le comté aux alentours de 1160 à Aubri II, fils du chambrier Aubri dit de Dammartin. Pour cela, il faut explorer une branche encore assez méconnue de la famille : la branche anglaise.

a- La branche anglaise des Dammartin1

La branche anglaise des Dammartin tient son origine d’un Eudes, prénom traditionnel dans la famille. Il est témoin en 1113 d’une charte donnée par la comtesse de Clare à l’abbaye normande du Bec pour son prieuré de Saint-Neots (Huntingdonshire)2. Il est le père de six fils qui ont tous des possessions en Angleterre : Aubri, qui deviendra chambrier du roi de France, Guillaume-Alain, Manassès-Gautier, Haimon, Eudes et Etienne. Il a pour femme Basilie, prénom lui aussi attaché au lignage des Dammartin et porté par une des sœurs d’Hugues de Dammartin. Selon Jean-Noël Mathieu, Eudes est soit un fils puîné d’Hugues, trop jeune pour figurer sur l’acte de fondation de Saint-Leu en 1080, soit l’époux de Basilie, fille d’Hugues de Dammartin. La réponse à cette question est donnée par une autre famille : les Clare. Selon lui, Roaide, l’épouse d’Hugues de Dammartin est la sœur de Gilbert de Tonbridge. A la mort d’Hugues de Dammartin, Roaide se serait remariée avec Eudes, le sénéchal. C’est pourquoi Eudes de Dammartin apparaît aux côtés du sénéchal Eudes et son épouse (son beau-père et sa mère) sur la charte de donation par la comtesse douairière de Clare à l’abbaye du Bec en 1113.

Les territoires possédés en Angleterre et tenus directement d’Henri Ier par Eudes sont :

  1. Mendlesham en Suffolk dont hérite son fils Manassès de Dammartin3

  2. Strumpshaw en Norfolk dont hérite son fils Eudes4.

  3. Norton en Suffolk qui échoît à Aubri qui rend hommage à Henri Ier en 1130, après la fin de ses fonctions de chambrier auprès de Louis VI et alors que les relations entre le roi de France et d’Angleterre étaient alors altérées.

La présence des Dammartin ne se limite pas à l’est de l’Angleterre. L’enquête de 1166 demandé par Henri II Plantagenêt révèle la possession de terres dans le comté de Kent et de Surrey. La famille des Dammartin est donc bien implantée en Angleterre dès la première moitié du XIIe siècle. A la mort de Pierre de Dammartin, le roi Louis VI a préféré contrôler le château et le comté de Dammartin par l’intermédiaire de Clémence qu’il a marié à un de ses fidèles : Renaud de Clermont, plutôt que de le confier à Eudes, deuxième frère présumé de Pierre, mais alors au service du camp anglo-normand, ennemi des rois de France. Nous pouvons penser que la charge de chambrier confié à Aubri, fils d’Eudes entre 1122 et 1129 est un dédommagement et une preuve d’un apaisement passager. Mais à la mort du roi Etienne en 1154, Henri II prend le contrôle total de l’ensemble anglo-normand et l’avenir s’obscurcit pour les Dammartin. Aubri, le fils du chambrier, préfère rentrer en France. Il est investi de la Ferté-Alais5 par Louis VII et, après la mort de Renaud de Clermont entre 1156 et 1161, il est probable qu’il réclame le comté de Dammartin qui lui appartient en tant que petit-fils d’Hugues de Dammartin.

b- Aubri II de Dammartin

La première mention d’Aubri en tant que comte de Dammartin est une charte de 1162 par laquelle il confirme tous les biens tenus par l’abbaye de Chaâlis sur le comté de Dammartin le jour où l’investiture du comté lui a été donnée par le roi Louis VI : « Albericus camerarius et filius ejus comes de Dammartin… de manu Ludovici regis Francorum investituram consulatus Domnimartini idem Albericus suscepit »6. Cette abbaye avait déjà fait l’objet de donations de la part de Renaud de Clermont qui se présentait en comte de Dammartin en 11387. D’après la charte de 1162, Aubri a reçu l’investiture du comté des mains du roi. En effet, même si Renaud faisait office de comte de Dammartin, en tant que mari de Clémence, le roi avait conservé le château comme l’indique une charte de 11768. Appartenant au lignage des Dammartin, Aubri pouvait prétendre à ce comté. A la mort de Renaud, le roi le lui confie. Certainement pour dédommager Clémence des droits qu’elle possédait sur le comté, il marie Aubri, le nouveau comte de Dammartin avec Mathilde, fille de Renaud de Clermont et de Clémence.

Aubri II de Dammartin semble faire partie des fidèles du roi. En 1180/1181, il est envoyé par Philippe Auguste à la tête d’une délégation auprès du roi d’Angleterre. Il participe, au côté du roi, aux opérations contre le comte Philippe de Flandre, durant lesquelles sont pris le château de Dammartin et fait prisonnier le comte Aubri : « 1182, Principes autem ejus (comitis Flandriae), ut leonem catuli, circuibant regionem regis, audactes euntes per arte Silvanectum, depopulando usque in villam quae dicitur Lovres non multum distans a civitate Parisiensi, ceperuntque Albericum comitem de Danmartin super lectum suum, et captus ad comitem Flandriae adduxerunt. »9. En 1186, le roi de France fait la paix avec le comte de Flandre et commence à s’opposer au roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt. Il semble alors que les Dammartin, père et fils, passent au service de ce dernier, puisqu’ils réapparaissent dans les comtes de l’échiquier anglais pour le Norfolk et le Suffolk. Il est difficile de comprendre l’attitude des Dammartin : veulent-ils agrandir leurs possessions en Angleterre ? Aubri a-t-il mal digéré sa captivité chez le comte de Flandre et veut se venger du roi de France ou se met-il au service du plus puissant selon lui ? Il est difficile de répondre à ces questions. Dans tous les cas, ce choix a pour conséquence leur perte et surtout voit le destin le plus tragique de la famille des Dammartin : Renaud, connu pour être le traître de Bouvines.

c- Renaud de Dammartin

Fils d’Aubri de Dammartin et de Mathilde de Clermont, il est certainement avec Hugues de Dammartin le plus célèbre des Dammartin. Mais, contrairement à ce dernier, il n’est pas connu pour ces libéralités en faveur des établissements ecclésiastiques mais pour sa trahison du roi de France au moment de la bataille de Bouvines. Elevé à la cour du roi, il aurait été armé chevalier par le roi lui-même. Ce dernier le marie à une de ses cousines, fille de Guy de Châtillon et d’Adélaïde de Dreux. Il est au côté de son père dans toutes les chartes le concernant comme en 1185 au moment de la confirmation de la donation du prieuré de Dammartin faite par leurs prédécesseurs à la collégiale de Saint-Maritn-aux-bois10. De même, il suit son père, lorsqu’il passe au service d’Henri II Plantagenêt. Ainsi, le roi d’Angleterre lui confirme la possession du manoir de Norton, possession de son grand-père Eudes, en 118711. La même année, Henri II lui concède la terre de Lillebonne12 avec le château et la forêt adjacente13.

Renaud reste dans le camp d’Henri II jusqu’à la mort de ce dernier. Richard Cœur de Lion, son fils, devient le nouveau roi d’Angleterre et fait la paix avec le roi de France dans le camp duquel il était pendant les affrontements contre Henri II. Renaud est alors obligé de faire la paix avec les deux rois. Il ne part pas en Terre sainte pour la troisième croisade. Au moment de la préparation de cette croisade, Renaud répudie sa femme pour briguer la main d’Ide de Boulogne qu’il épouse en 1190. Renaud devient alors un des pivots des politiques des rois de France et d’Angleterre puisqu’il possède le comté de Boulogne14, point de passage obligé entre les deux pays. Le nouveau comte de Boulogne comprend l’intérêt d’une telle position et va sans cesse changer de camp entre 1200 et 1214 et la bataille de Bouvines.

Après avoir été aux services de Jean sans Terre, Renaud signe un traité avec Philippe Auguste en 1201 par lequel il marie sa fille, Mahaut, avec le fils du roi, Philippe dit Hurepel. Ce traité permet à Renaud de retrouver le comté de Dammartin confisqué par le roi au moment de la mort de son père qui était passé du côté de l’ennemi et, surtout, lui permet de s’attirer les faveurs du roi qui avait signé un traité avec Jean sans Terre. Quant au roi, il lui permet d’espérer de récupérer le comté de Boulogne à la mort de Renaud par l’intermédiaire de son fils15. Mais, Renaud est un Dammartin et une tradition familiale consiste à s’opposer aux rois de France. Comme avant lui, Manassès, Hugues, Pierre, Lancelin et Aubri II, Renaud trahit le roi de France et monte une coalition avec le roi d’Angleterre, Jean sans Terre et l’empereur Oton, tous deux ennemis du roi de France. Renaud cherche alors à affaiblir le roi de France duquel il n’avait plus rien à espérer. La victoire contre Philippe Auguste lui permettrait de renforcer ses possessions en Angleterre et en France et d’égaler la puissance du roi. Cette coalition déclenche les hostilités entre les deux partis. Elle débouche à la bataille de Bouvines en juillet 1214. Philippe Auguste écrase la coalition malgré l’infériorité de ses troupes. Renaud est fait prisonnier.

Il est mis au fer au château de Péronne16 et est exclu du traité signé entre Philippe Auguste et Jean sans Terre. Ses possessions en France sont confisquées par le roi, avant d’être confié à Philippe Hurepel, marié à Mahaut de Dammartin. Ses possessions anglaises sont gérés par son sénéchal, Robert de Dammartin. Il est, ensuite, transféré au château du Goulet17 sur une île de la Seine. Sa libération est, alors, un prétexte à la révolte des grands barons au moment du couronnement de Louis IX. Mais Blanche de Castille ne cède pas. Ses possessions sont aux mains de Philippe Hurepel, sa fille n’a aucun droit dessus, il se trouve donc sans appui à l’extérieur. Il est condamné à mourir en captivité et il préfère mettre fin à ses jours le 21 avril 1227. Nous verrons plus loin les circonstances de son enterrement à Saint-Leu.

d- La branche des Bulles

Cette branche de la famille de Dammartin est issue du mariage d’Adélaïde de Dammartin et de Lancelin de Beauvais. Il semble, en effet, qu’à la mort d’Hugues, les différentes possessions avaient été divisées entre ses enfants. Adélaïde récupère les possessions de Bulles, puisqu’elle porte le surnom « de Buglis » dans toutes les chartes dans lesquelles elle apparaît. A la suite de la trahison de Lancelin, comme nous l’avons vu, le roi confisque le titre de comte et le château de Dammartin. En revanche, il semble qu’il laisse Adélaïde garder ses droits sur Bulles. Ainsi, nous la retrouvons dans l’acte de 1138 dans lequel Renaud fait une donation à l’abbaye de Chaâlis. Elle confirme cet acte en compagnie d’un de ses fils Lancelin. Ses autres enfants portent des noms très traditionnels dans les lignages des Dammartin et des Beauvais : Manassès, Thibault, Renaud et Basilie.

A partir de 1180, la seigneurie de Bulles est possédée par Guillaume, seigneur de Mello, neveu de Manassès, Lancelin et Renaud18. Il est sans doute le fils de Thibault qui devient archidiacre de Beauvais19 ou de Arnaud sur lequel nous n’avons aucune information. La seigneurie passe ensuite aux mains des Conti. Robert de Conti apparaît pour la première fois avec le titre de « dominus de Bullis » en 118920. Nous n’avons pu établir comment la seigneurie lui était échue. Il est accompagné dans les actes du prieuré de Saint-Leu par Jean, son neveu21.

2- Existe-t-il une tradition familiale dans l’aide aux établissements monastiques ?

a- Récupérer le comté signifie-t-il récupérer l’aide aux établissements ecclésiastiques ?

Les Dammartin réapparaissent donc dans la documentation du prieuré à l’extrême fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle. Nous pourrions mettre les interventions de Clémence de Bar pour le compte des Dammartin, mais elle n’apparaît jamais en tant que comtesse de Dammartin et toujours en tant que femme de Renaud de Clermont. Nous pouvons donc penser que c’est pour le compte des Clermont qu’elle fait ces donations en compagnie de son mari.

La première donation des Dammartin est faite par la branche des Bulles en la personne de Lancelin et Renaud, les fils d’Adélaïde, qualifiés dans le texte de « domini castri Bugliencis »22. Nous pouvons la dater des environs de 1160. Cette charte ne présente aucune particularité et ressemble à n’importe quelle donation d’un aristocrate local. Le prieuré possède des terres du côté de Bulles ; il n’est donc pas étonnant de voir les deux seigneurs locaux leur faire une donation. Leur action n’est pas poussée par un désir de gratifier l’établissement que leurs ancêtres à fonder, mais par celui de faire une donation « pro anima » à un établissement ecclésiastique. De la même façon, Jean de Conti et son oncle Robert font une série de donations au prieuré :

  • Confirmation par Jean de Conti d’une donation de biens situés à Bulles faite par son oncle Robert23.

  • Donation d’un droit de champart par Robert et Jean de Conti en 120224.

  • Donation de deux champarts par Robert de Conti en 120825.

  • Confirmation des donations de ses prédécesseurs et donation d’un champart et d’une grange par Robert de Conti26.

Il ne faut pas voir dans ces donations une envie de renouer avec une habitude familiale de donations à Saint-Leu, mais, plutôt, la volonté d’un petit aristocrate local de s’attirer les bienfaits et les prières des moines. En effet, s’il existait une véritable tradition ou une volonté de réappropriation, Robert de Conti mentionnerait ses ancêtres, en particulier la mémoire d’Hugues de Dammartin. Bien-sûr, il confirme les donations de ses prédécesseurs, mais les moines ne prennent pas la peine de donner leurs noms. Or, s’il s’agissait d’Hugues de Dammartin ou de sa famille, les moines auraient sûrement fait état de ce détail. La branche de Bulles n’est donc pas considéré comme les descendants directs des Dammartin et leurs donations ressemblent plus aux donations des autres petits aristocrates sans stratégie particulière.

Le comte de Dammartin, Aubri II, accompagné de son fils Renaud fait une donation au prieuré de Sain-Leu le 20 septembre 1200. Cet acte est rappelé dans un vidimus de 1337 : « Item veues autres lettres contenans cette forme »27. Il s’agit d’une donation d’une rente de 40 sous parisis par an. Elle a été donnée à Lillebonne, fief donné à Renaud de Dammartin par Henri II, roi d’Angleterre. Cette donation ne présente aucune particularité, c’est une donation « pro anima » habituelle : « pro salute anime mee et pro remedio animarum parentum et successorum nostrorum »28. Elle est la seule faite par Aubri II et Renaud de Dammartin. Faut-il y voir une volonté de la part du nouveau comte de Dammartin de renouer avec l’établissement fondé par leurs ancêtres ? ou simplement celui de faire une donation à un établissement monastique ? Il est difficile de répondre à la question. Aubri II et son fils ont fait divers donations à différents établissements ecclésiastiques. Mais, ils semblent plus proche de l’abbaye de Chaâlis comme le prouve l’acte de 1162 que nous avons déjà évoqué29, la donation effectué au mois de septembre 120030 ou la confirmation des opérations de vente et d’échange intervenues entre Gui le bouteiller de Senlis et l’abbaye en 118231. Les Dammartin respecte donc une tradition familiale de donations au prieuré de Saint-Leu-d’Esserent, mais il semble qu’il est perdu son intérêt stratégique au profit de l’abbaye de Chaâlis.

b- L’évolution des donations au début du XIIIe siècle

Les donations des grandes familles aristocratiques au prieuré de Saint-Leu évoluent donc au cours de la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle. La fondation de l’abbaye de Chaâlis à quelques kilomètres de Saint-Leu a pour conséquence un désintérêt de la famille de Dammartin. De plus, Renaud se détourne de l’Ile-de-France et du Beauvaisis au profit du comté de Boulogne ou de Lillebonne. Saint-Leu est alors trop proche du domaine royal pour représenter un intérêt stratégique particulier. De la même façon, les Clermont, par l’intermédiaire de Catherine, continuent à faire des donations au prieuré. Le 28 novembre 1209, la comtesse de Clermont et de Bois fait remise au prieuré de toutes justices et redevances, sauf la haute justice, sur une masure de Sacy et sur une maison avec sa masure à Cinqueux32. Mais son mariage avec Louis de Blois a détourné les intérêts des Clermont dans le Beauvaisis. Le sud de la région est entré dans l’aire d’influence du domaine royal ce qui a pour conséquence un perte de son intérêt stratégique pour les grands seigneurs du nord de l’Ile-de-France qui voulaient se positionner face à la puissance royale.

Entre 1200 et 1236, sur les vingt-sept actes conservés pour cette période, treize font état d’une donation, tous donateurs confondus, et sept d’un règlement de conflit. Les donations restent majoritaire, mais le nombre de conflits augmentent pendant cette période. De plus, on ne compte qu’une donation de terre33, les autres donations sont des remises de droits ou d’usages comme celle de Catherine de Blois. En revanche, les moines doivent faire face à de nombreuses remises en cause de leurs possessions. Ces conflits montrent que leur puissance sur la région a baissé. Nous pouvons penser que l’absence de protections de la part d’un grand seigneur local a fragilisé sa position face aux autres aristocrates de la région. Enfin, aucune de ces donations n’entre dans le jeu seigneurial et n’est une stratégie de la part des donateurs pour se positionner sur les possessions du prieuré. Il semble donc que le prieuré retrouve alors son seul intérêt spirituel et que ces donations ont pour but de s’attirer les prières des moines et les faveurs de Dieu.

c- La mort de Renaud de Dammartin et le prieuré de Saint-Leu

La dernière intervention des Dammartin concerne l’enterrement de Renaud de Clermont et les donations qui l’accompagnent. Comme nous l’avons vu, Renaud s’est suicidé en captivité le 21 avril 1227. Le suicide est condamné par l’église, il est donc difficile de trouver une sépulture à Renaud. Il semble que sa famille se tourne alors vers les moines de Saint-Leu. Elle ne peut ignorer l’histoire de cette communauté et le rôle que les Dammartin ont joué dans sa fondation. Pour les moines, c’est un moyen de renouer avec la tradition d’enterrement des Dammartin à l’intérieur du prieuré et ainsi, peut-être retrouver l’appui de cette famille.

L’enterrement de Renaud dans l’église de Saint-Leu nous est connu par un vidimus de septembre 1305 de deux chartes de Philippe de Boulogne et de Dammartin et de sa femme Mathilde, la fille de Renaud : « Rainaldi quondam comitis Boloniae, cujus corpus in ecclesia Sancti Lupi de Hescerento requiescit »34. Ils font une donation pour le salut de l’âme de Renaud. Cet acte ne doit pas émaner de la volonté de Philippe de Boulogne, vu le peu d’affection qu’il portait à son beau-père, mais de sa femme Mathilde, la fille de Renaud. Il s’agit d’un revenu en argent : « dedimus et concessimus in perpetuum eidem ecclesiae Sancti Lupi de Hescerento, decem libras parisienses capiendas singulis annis in redditibus nostris Domni Martini in festo Sancti Remigii. »35.

De la même façon, le frère de Renaud, Simon, comte de Ponthieu fait une donation au prieuré à son retour d’exil. Cette charte36 constitue la dernière intervention d’un Dammartin à Saint-Leu. Il s’agit d’une donation d’une rente de 10000 harengs à percevoir à chaque noël sur la vicomté de Rue. Il fait cette donation pour le salut de son âme, de ses parents, de ses ancêtres et de Renaud : « ob remedium animarum nostrarum, et patris et matris et antecessorum nostrorum et animae Renaldi, quondam comitis Boloniae »37. Il ne semble pas que cette donation constitue une volonté de la part de Simon de perpétuer la tradition familiale de donations au prieuré de Saint-Leu, mais plus la volonté d’honorer l’établissement qui a accepté d’enterrer Renaud de Dammartin et par conséquent les remercier de ce geste. En faisant cette donation, il cherche à perpétuer la mémoire de son frère.

Notes de bas de page

1 L’essentiel des informations sur cette branche provient de l’article déjà cité de Jean-Noël Mathieu et des informations qu’a bien voulu me confier Nicholas Vincent.

2 Ch. Johnson et H. A. Cronne, Regesta Regum Anglo-Normannorum, tome II, n° 1015a (1113).

3 The book of fees, commonly called « Testa de nevill », tome I, p. 138.

4 Cette succession est consignée dans le plus ancien rôle de l’échiquier anglais qui nous soit parvenu : J. Hunter, The great roll of the pipe for the 31st. year of king Henry I, Norfolk/Suffolk, p. 94.

5 La-Ferté-Alais, Essonne, ch.-l. cant.

6 Gallia Christiana, Tome X, Instrumenta ecclesiae Silvanectensis., col. 214.

7 Nous avons déjà abordé cette charte dans la partie consacrée à la disparition des Dammartin, nous y renvoyons le lecteur.

8 Achille Luchaire, Etudes sur les actes de Louis VII, n° 704. Cette acte nous apprend qu’à l’époque où le château de Dammartin était en possession du roi, il a donné à l’Hôtel-Dieu de Paris une grange entre Mitry et Mory. Au moment où Aubri entre en possession du comté, le roi dédommage l’Hôtel-Dieu en lui donnant la grange de Cognenpuit.

9 Bouquet, tome 18, p. 560.

10 Arch. dpt de l’Oise, H 249.

11 British Library, ms. Add. Charters 11233 (3).

12 Lillebonne, Seine-Maritime, ch.-l. cant.

13 British Library, ms. Add. Charters 1233 (1).

14 Boulogne-sur-Mer, Nord, ch.-l. cant.

15 Henri Malo, Un grand feudataire : Renaud de Dammartin et la coalition de Bouvines, pp. 70-72.

16 Péronne, Somme, ch.-l. cant.

17 Goulet, Orne, cant. Ecouché.

18 Peigné Delacourt, Cartulaire d’Ourscamps, p. 147 et p. 288.

19 Victor Leblond, Notes pour le nobiliaire du Beauvaisis, t. 1, p. 137.

20 Victor Leblond, op. cit., p. 138.

21 Müller, n°50.

22 Müller, n° 98. Müller se trompe dans le classement de cette charte qu’il date de 1202, il ne réussit pas à identifier le L. et R. Il semble, pourtant, logique d’y voir Lancelin et Renaud qui avait effectivement la charge du château ensemble.

23 Müller, n°82.

24 Müller, n°97.

25 Müller, n°100.

26 Müller, n°101.

27 Müller, n°90.

28 Ibid.

29 Gallia Christiana, Tome X, instrumenta ecclesiae Silvanectensis, col. 214.

30 BM Senlis, coll. Afforty 15, p. 254.

31 BNF : coll. de Picardie, vol. 313, n°6.

32 Müller, n° 103

33 Müller, n°111.

34 Müller, n°110.

35 Ibid.

36 Müller, n°112.

37 Ibid.

C- L’évolution du rôle du prieuré dans le système féodal

1- Le prieuré de Saint-Leu au début du XIIIe siècle entre l’influence de Cluny et l’influence royale

a- L’intrusion de Cluny dans les affaires du prieuré à partir de 1150

La documentation a gardé le souvenir de deux lettres émanant de Hugues et de Pierre, abbés de Cluny concernant le prieuré de Saint-Leu1. Ces deux lettres ont pour but le règlement de conflits le concernant. Elles marquent l’intrusion de l’abbaye-mère dans les affaires du prieuré. Mais, surtout, elle montre le rôle de relais que joue le prieuré de Saint-Martin-des-Champs au nord de la France, même si Saint-Leu dépend normalement directement de Cluny, à la différence de tous les autres établissements de cette région.

La première émane de Pierre le Vénérable. Il n’est pas étonnant de voir cet abbé intervenir sur ses maisons. En effet, il est le premier à mettre en place et à organiser l’ordre de Cluny et les chapitres généraux. Ce qui est plus original est le rôle qu’il fait jouer au prieuré de Saint-Martin-des-Champs. Saint-Leu relève directement de Cluny depuis l’acte de fondation de 1081. Pourtant, Pierre préfère s’appuyer sur ce prieuré pour faire observer le règlement entre les moines de Saint-Leu et Gui, le bouteiller de Senlis qui a été fait par l’archevêque de Lyon en présence de l’archevêque de Reims, Sanson, et l’évêque de Senlis, Thibaut. Cette lettre rend compte de l’importance grandissante du prieuré de Saint-Martin-des-Champs dans la mise en place de l’ordre de Cluny et son administration en Ile-de-France et aux alentours. La lettre est, d’ailleurs adressée au prieur de Saint-Martin-des-Champs et de Saint-Nicolas d’Acy, prieuré dépendant de Saint-Martin-des-Champs : « Venerandis et dilectis nostris Vuillelmo priori Sancti Martini de Campis et Gauterio, priori Sancti Nicolai Silvanectensis, frater Petrus, humilis Cluniacensis abbas salutem »2.

De la même façon quelques années plus tard, Hugues, abbé de Cluny demande au prieur de Saint-Martin-des-Champs de régler un conflit opposant les moines de Saint-Leu et de Saint-Nicolas-d’Acy. Cette lettre va plus loin que la précédente puisqu’elle laisse l’arbitrage du conflit au sous-prieur et au chambrier de Saint-Martin, accompagnés des prieurs de Crépy-en-Valois et Nanteuil-le-Haudouin : « quoniam fratres nostri sunt, mandamus vobis ut die denominato suppriorem et camerarium vestrum adesse faciatis, ut cum fratribus nostris prioribus Chrispei et Nantholii, hanc altercationem justa dirimatur sententia »3. Dans ce cas, Hugues insiste d’abord sur le fait que Saint-Nicolas et Saint-Leu font tous les deux parties de l’ecclesia cluniacensis et laisse par conséquent le champ libre à Saint-Martin-des-Champs. L’intervention de ce prieuré peut être aussi due au fait que Saint-Nicolas-d’Acy dépend de Saint-Martin-des-Champs. Mais, il faut y voir aussi une volonté de la part de l’abbé de Cluny d’organiser l’ordre pour une meilleure gestion du domaine. De plus, il semble qu’Hugues ait appris l’existence de ce conflit, alors qu’il était en visite à Saint-Leu : « Cum essemus Ascerento » et il faut noter que la lettre est faite à Saint-Nicolas : « Actum apud Sanctum Nicolaum », l’abbé de Cluny faisait donc une visite d’inspection des prieurés dépendants de Cluny.

Cette impression est renforcée par la présence de Raoul, abbé de Cluny au moment de la mise en place de la protection du prieuré par Raoul de Clermont. Cet acte4 émane d’ailleurs de lui sur les conseils de Renaud de Haute-Pierre, prieur de Saint-Leu. Il montre encore la perte de l’indépendance dont jouissait jusqu’alors le prieuré de Saint-Leu. En effet, à aucun moment dans la première moitié du XIIe siècle, les moines ont eu recours à l’abbaye-mère, ni même cette dernière n’était intervenue dans les affaires du prieuré. Les moines sont alors intégrés dans l’ordre de Cluny naissant sous la domination et la tutelle du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, même s’ils sont censés être rattachés directement à Cluny. Or, cette position fait de Saint-Leu un prieuré comme les autres. Raoul de Clermont doit passer par l’abbé de Cluny pour s’implanter dans la région du prieuré et utiliser Saint-Leu comme relais de son autorité sur le Beauvaisis. Il est, d’ailleurs, le dernier à le faire. Cette perte d’indépendance par rapport à l’abbaye-mère a certainement fait perdre une partie de son attrait pour les seigneurs locaux qui hésitaient avant de faire appel à Cluny, véritable état dans l’église. Il faut, d’ailleurs, noter que la tâche est facilitée pour les Clermont, puisqu’ils sont des proches de Cluny, un des frères de Raoul, Hugues deviendra abbé de Cluny.

b- Saint-Leu et la « galaxie capétienne »

En plus de l’influence grandissante de l’ordre de Cluny, le prieuré de Saint-Leu est confronté au recentrage du domaine royal et à l’influence de la famille capétienne dans tout le bassin parisien. Ainsi, les deux familles protectrices, les Dammartin et les Clermont, et leurs domaines entrent, grâce à des mariages, dans le giron capétien. Pour les Clermont, le mariage entre Catherine de Blois, fille de Raoul de Clermont et Louis de Blois, fils de Thibault IV le bon et d’Alix de France signe la fin de l’influence des Clermont sur le Beauvaisis. En effet, ce mariage marque la réussite de cette famille pour se hisser jusqu’au plus haute sphère du royaume, mais aussi la fin du quadrillage du Beauvaisis mis en place par Renaud II et Raoul de Clermont. Les Clermont se recentre alors sur le sud du bassin parisien.

Du côté des Dammartin, la volonté de Renaud de recentrer ces possessions vers la Normandie avec Lillebonne et le nord de la France avec Boulogne a pour but de rapprocher les possessions françaises et anglaises des Dammartin, mais surtout de former une principauté au nord du domaine royal capable de rivaliser avec le roi de France. Dans cette perspective, le prieuré de Saint-Leu est trop proche du domaine royal pour pouvoir jouer un quelconque rôle stratégique. La défaite de Renaud à Bouvines met fin à ses rêves de grandeur et permet au roi de récupérer les possessions des Dammartin et de prendre définitivement pied au nord du domaine royal. Les autres seigneurs locaux n’ont alors d’autres choix que de se soumettre à l’autorité du roi de France. Dans ces conditions, le prieuré de Saint-Leu intègre de la même façon que les autres seigneurs du Beauvaisis l’influence capétienne. Ils sauront d’ailleurs s’en servir au cours du XIIIe et du XIVe siècle, comme le montre les règlements du parlement de Paris les concernant. Cet état de fait est renforcé par le mariage entre Mathilde, fille de Renaud et Philippe dit Hurepel, fils illégitime de Louis VII. Ce dernier devient comte de Boulogne et de Dammartin et amène à la famille capétienne les possessions d’une des familles les plus turbulentes d’Ile-de-France. A la mort de Philippe, Mathilde de Boulogne se marie avec Alphonse du Portugal. Ce mariage ne marque pas la fin des Dammartin mais celle de l’implantation francilienne de cette famille et donc son intérêt pour le prieuré de Saint-Leu.

2- Les conséquences pour le prieuré au XIIIe siècle

A la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, le prieuré de Saint-Leu a fini son expansion géographique. L’organisation du prieuré est terminée. Il est bien implanté dans sa région. Les travaux de l’église se poursuivent, alors que l’enclos prioral, tel qu’il est encore aujourd’hui commence à se construire. Mais, ils doivent affronter la concurrence des autres établissements ecclésiastiques de la région, en particulier l’abbaye de Chaâlis et de Royaumont. De plus, comme nous l’avons vu, l’influence grandissante du roi de France au nord de l’Ile-de-France et la mise en place de l’ordre de Cluny lui a fait perdre l’intérêt qu’il pouvait représenter pour les seigneurs locaux dans la perspective d’une domination du Beauvaisis.

Le prieuré a alors atteint un équilibre qu’il doit maintenant maintenir. Il doit en particulier faire face à de nombreux conflits au cours du XIIIe siècle qu’il n’hésite pas à régler devant le parlement de Paris5. Entre 1200 et 1236, les moines doivent faire face à 7 conflits. La perte de la protection d’une grande famille a certainement fragilisée la communauté et les aristocrates hésitent moins pour déclencher un conflit contre le prieuré. Pour autant, il ne faut pas dramatiser la situation. Le prieuré garde son influence spirituelle, en particulier son rôle d’intercesseur auprès de Dieu et de gardien de la mémoire des morts par l’intermédiaire de leurs prières. De plus, malgré l’installation de nouveaux établissements ecclésiastiques, il ne doit pas affronter la concurrence des ordres mendiants, puisqu’il est implanté dans un milieu rural.

L’organisation mise en place au cours du XIIe siècle fait du prieuré de Saint-Leu un des plus importants prieurés de l’ordre de Cluny dans la province de France. Les visiteurs du chapitre font état d’une trentaine de moines au début du XIVe siècle6. Il a réussi son implantation dans la région et à trouver sa place au sein de la société du sud du Beauvaisis. Profitant du renom des Dammartin à ses débuts puis des Clermont dans la deuxième partie du XIIe siècle, le prieuré a mis en place ses possessions et assuré sa pérennité économique et sociale. Ainsi, les premières dettes du prieuré n’apparaissent dans les comptes-rendus de visite qu’en 13187. Le prieuré de Saint-Leu affronte donc la crise au même moment que les autres prieurés clunisiens. Il ne faut donc pas y voir un problème touchant spécifiquement Saint-Leu mais bien tout l’ordre. Malgré tout, le prieuré de Saint-Leu ne revivra pas une période de grandeur, comme elle l’a vécu au cours du XIIe siècle, dont le gigantisme de l’église priorale est encore aujourd’hui le témoin privilégié.

Notes de bas de page

1 Müller n°69 et n°75.

2 Müller, n°69.

3 Müller, n°75.

4 Müller, n°80 ; Cf supra la partie consacrée aux Clermont, en particulier celle intitulée « l’avouerie sans le nom ».

5 Boutaric, Actes du parlement de Paris, n°52 : en 1255, arrêt pour le prieur de Saint-Leu-d’Esserent, portant qu’il a le droit d’exiger des hommes dudit lieu deux mines d’avoine, par exemple.

6 Philippe Racinet, Crises et renouveaux: les monastères clunisiens à la fin du Moyen Âge, de la Flandre au Berry et comparaisons méridionales, p. 489.

7 Philippe Racinet, op. cit., p. 495.

Conclusion

Dans le contexte de l’implantation clunisienne au nord de l’Ile-de-France et de la réforme grégorienne, le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent est fondé en 1081 par Hugues de Dammartin accompagné de Guy, évêque de Beauvais. Son implantation géographique dans le sud du diocèse sur les bords de l’Oise lui donne une position stratégique et économique non négligeable. Importante famille d’Ile-de-France et proche du roi, les Dammartin conçoivent cette fondation dans une stratégie de contrôle de la région. Par l’intermédiaire des moines, les Dammartin consolident leurs possessions dans le territoire d’Hescerent et gardent la main sur celles de leurs vassaux, tout en acquérant un prestige familial non négligeable. Du point de vue religieux, le prieuré de Saint-Leu représente alors une sorte de nécropole familiale. Mais, les moines doivent faire face rapidement aux autres aristocrates de la région pour défendre leurs terres, alors que la famille de Dammartin confrontée aux rois de France connaît de nombreux problèmes qui entraînent sa chute temporaire.

Malgré tout, les bases de l’établissement sont posées et les moines, à partir de 1120, commencent à augmenter, organiser et structurer leurs possessions, tout en assurant leur place dans la société. Incitées par l’appartenance à Cluny, les nombreuses donations leur permettent, non seulement, d’accroître leurs biens matériels et, aussi, de mettre en place un lien privilégié avec les aristocrates de la région et les petits aristocrates du terroir d’Hescerent, motivés par les biens spirituels offerts par les moines et le prestige que représentent les donations. Les moines doivent assurer la position de seigneurs que leur donnent les terres et les droits qu’ils possèdent. Pour cela, ils doivent s’imposer sur leur terroir, en utilisant les moyens à leur disposition : leur influence spirituelle et les protections dont ils bénéficient. Leur trésorerie leur permet de démarrer des travaux d’envergure et de commencer la construction d’une église aux dimensions d’une cathédrale. La monumentalisation de l’espace ecclésial entre dans un programme d’encadrement de la population d’Hescerent et de démonstration de leur pouvoir seigneurial. De plus, la pérennité économique et sociale du prieuré est assurée par les services spirituels offerts par les moines à la société : prières pour les morts et célébration d’anniversaires qui permettent l’intercession auprès de Dieu par l’intermédiaire de saint Pierre, saint Paul et saint Leu, sépulture à l’intérieur du prieuré, conversion monastique d’aristocrates, appartenance à la societas des moines et mise en place d’un pèlerinage.

Partie intégrante des jeux seigneuriaux du nord de l’Ile-de-France, le prieuré se trouve en butte aux attaques et remises en cause de leurs pouvoirs et de leurs possessions par des petits aristocrates. A partir de 1150, ils doivent aussi prendre en compte l’ascension d’une famille dans le Beauvaisis : les Clermont, donateurs du prieuré pendant la première moitié du siècle. Les moines voient rapidement dans cette famille de nouveaux protecteurs, et les Clermont acquièrent ainsi une assise dans le sud de la région aux frontières du domaine royal. L’acte de 1176 scelle le lien entre les Clermont et les moines, permet au prieuré de disposer d’une protection armée et d’un instrument de contrôle social et, aux Clermont de maîtriser une place stratégique dans la surveillance de l’Oise, au sud de leur château de Creil. Mais le début du XIIIe siècle voit un changement dans les influences seigneuriales au nord de l’Ile-de-France. La fondation de nouveaux établissements ecclésiastiques et l’essoufflement du mouvement clunisien a pour conséquence la baisse de l’intérêt des grandes familles pour Saint-Leu. Le retour des Dammartin aux affaires par l’intermédiaire d’Aubri II et surtout de Renaud de Dammartin n’y fait rien, au contraire elle est la preuve de la perte d’influence du prieuré. Les dernières rapports entre les Dammartin et le prieuré ont lieu au moment de l’enterrement à Saint-Leu de Renaud de Dammartin, mort en captivité après sa défaite à Bouvines. Au début du XIIIe siècle, coincé entre l’influence royale qui s’est étendue jusqu’aux terres du prieuré et la mise en place de l’ordre de Cluny, le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent voit sa splendeur baisser au seul profit de son rôle religieux, lui-même remis en cause par les nouveaux mouvements : cisterciens, puis moines mendiants. Le prieuré de Saint-Leu-d’Esserent résiste tout de même assez longtemps à la crise que traversent les autres prieurés clunisiens, puisque sa première dette ne date que des années 1318.

Cette étude a permis de mettre en avant la place d’un prieuré dans la société rurale du nord de l’Ile-de-France au XIIe siècle. Malgré tout, elle n’a permis pas permis de mettre en lumière tous les aspects de l’étude des prieurés et de leur implantation dans leur terroir. Il faudrait pour cela faire une étude exhaustive de l’ensemble des établissements ecclésiastiques de la région pour confronter les différentes possessions et ainsi voir le rôle joué par la concurrence entre eux et ses implications. D’autre part, cette étude s’arrête sur le XIIe siècle qui correspond à la mise en place et la grandeur de Saint-Leu-d’Esserent. Pourtant, il reste beaucoup d’interrogations sur ce prieuré : son rôle dans la guerre de Cent ans et dans le démarrage de la Jacquerie à Saint-Leu-d’Esserent en 1358, comment il affronte les problèmes de l’ordre de Cluny au cours du XIIIe et du XIVe siècle. Cette étude n’est donc qu’une modeste contribution à la connaissance des prieurés clunisiens et de leur fonctionnement, mais aussi à l’histoire du Beauvaisis, du nord de l’Ile-de-France et du village de Saint-Leu-d’Esserent.

Bibliographie

I- SOURCES

A- Sources manuscrites

Archives départementales de l'Oise

H 2431 : Charte de fondation du prieuré (1081)

H 2432 : Bulles en faveur de l’ordre de Cluny  (1100)

H 2434 : Donations au prieuré de Saint-Leu (XIIe siècle)

H 2436 : Donations au prieuré (1106-1251)

H 2435 : Donations au prieuré (XIIe siècle)

H 2438 : Contestations au sujet des biens et droits du prieuré (XIIe siècle-1262)

H 2439 : redevance sur le comté de Ponthieu (1231-1770)

H 2440 : Convention avec le comte de Clermont au sujet des habitants d’Hescerent (1176)

H 2473 :  Droit de travers et péage sur l’Oise (XIIe siècle-1262)

H 2509 : Actes concernant Angy (XIIe siècle-1410)

H 2519 : Actes concernant Cinqueux (1211-1479)

H 2534 :  Actes concernant Dammartin en Goële ou la famille de Dammartin (1104-1762)

H 2536 : Actes concernant Fresnel (XIIe siècle-1265)

H 2544 : Acte concernant La Rue-Saint-Pierre et Orcheux (XIIe siècle)

H 2548 : Actes concernant Montataire (XIIe siècle-1257)

H 2555 : Actes concernant Orcheux (XIIIe siècle)

H 2566 : Actes concernant Sacy-le-Grand (1209-1551)

H 2568 : Actes concernant Viarmes (1219-1224)

H 2569 : Actes concernant Verneuil-sur-Oise (Fin du XIIe siècle-1786)

2 Fi, 1128, n°1-2 (gravure)

Bp 11795 : Cartulaire de la forêt d’Hallate

B 2395 – 2396 (Présentation à la nomination de l’évêque)

1C264 : Plan d’intendance de Saint Leu d’Esserent

1C271 : Plan d’intendance de Précy sur Oise

1C280 : Plan d’intendance de Villers sous saint Leu

Bibliothèque Nationale

Lat. 17742, f°103

mss fr. 21668, 26328, n. acq 9767

Coll. Baluze, t. 46, p3-113

Coll. Moreau t. 67, 93, 95, 103, 104, 110, 111, 125, 151, 152, 159, 163, 164, 169, 170, 185, 186, 190.

Coll. Afforty, 25 vol., XVIIIe s.

B- Sources imprimées

BERNARD, auguste, BRUEL, alexandre, Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, Tome I-VI, Collection des documents inédits sur l’Histoire de France, Paris, 1871-1903.

Bréquigny de, Table chronologique des diplômes, chartes, titres et actes imprimés concernant l’histoire de France, Paris, 1769-1775.

briele, leon, Archives de l’hôtel-Dieu de Paris (1157-1300), coll. des documents inédits sur l’histoire de France, Paris, 1894.

Charvin, gaston, Statuts, châpitres généraux et visites de l'ordre de Cluny, Paris, 1965-1972.

demay, germain., inventaire des sceaux de l’Artois et de la Picardie, Paris, 1877.

Depoin, joseph, Recueil des chartes et documents de Saint-Martin-des-champs, monastère parisien, Archives de la France monastique, éd. Jouve, Paris, 1912-1921.

Douet d’Arcq, louis-claude, Collection de sceaux, Archives de l’empire. Inventaires et documents publiés par ordre de l’empereur, Paris, 1863.

DUFOUR, jean, Recueil des actes de Louis VI, roi de France (1108-1137), Chartes et diplômes relatifs à l'histoire de France,Paris, 1992-1994.

Luchaire achille, Louis VI le gros, Annales de sa vie et de son règne (1081-1137), éd. Alphonse Picard, Paris, 1890.

Luchaire, achille, Etudes sur les actes de Louis VII, éd. Alphonse Picard, Paris, 1885.

MABILLON, dom jean, De re diplomatica libri VI, Paris, 1681.

Molinier, auguste et Longnon, auguste, Obituaires de la province de Sens, Paris, 1902.

Müller, eugene, Le prieuré de Saint Leu d'Esserent: cartulaire (1081-1538), Pontoise,1901.

newman, William Mendel, Catalogue des actes de Robert II roi de France,

Prarond ernest, Cartulaire du comté de Ponthieu, Abbeville, 1897.

Prou maurice. Recueil des actes de Philippe Ier, roi de France(1059-1108), Paris, 1908.

Soëhnée frédéric, Catalogue des actes d’Henri Ier (roi de France 1031-1060), Bibliothèque de l’Ecole des hautes études, fasc. 161, Paris, éd. Honoré Champion, 1907.

Suger, Vie de Louis VI le gros, éditée et traduite par Waquet Henri, éd. Les belles lettres, Paris, 1964

Vitalis, Orderic, The ecclesiastical history, éd. par Marjorie Chibnall, éd. Clarendon Press, Oxford, 1980 (6 vol.).

II- BIBLIOGRAPHIE

A- Instruments de travail

Gallia christiana, tIX et tX, Paris, 1751.

Art de vérifier les dates, t.II, Paris, 1784

anselme père, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, Paris, 1712.

Becquet Dom Jean, Abbayes et prieurés, Tome XVIII, diocèse actuel de Beauvais (Province de Reims), dans revue Mabillon, janvier-décembre 1989, n=°315-318.

COTTINEAU (Dom L.), Répertoire topo-bibliographique des abbayes et prieurés, 3 vol., Mâcon, 1884.

Gut marie-Josèphe, Guide des archives de l’Oise, archives départementales de l’Oise, Beauvais, 1990.

Lohrmann Dietrich, Papsturkunden in Frankreich, Tome VII: Nord de l’Île de France et Vermandois, éd. Vandenhoeck et Ruprecht, Göttingen, 1976, p53-54

LAMBERT, émile, Dictionnaire topographique du département de l’Oise, coll. de la société de linguistique picarde, tome 23, éd. musée de Picardie, Amiens, 1982.

Roussel, ernest, Inventaires d’archives du département de l’Oise , série H, tome I et II, série G, tome I et II.

STEIN, henri, Bibliographie générale des cartulaires français ou relatifs à l’histoire de France, éd. Alphonse Picard, Paris, 1907.

B- Monographies et Etudes

Etudes sur Saint Leu d’Esserent

« Fouilles sur le site de la chapelle médiévale de Saint Michel », Bulletin de la société archéologique, historique et géographique de Creil, n° 109, 1980, p 5-24

« Chroniques des fouilles médiévales : chapelle Saint Michel de Saint Leu », archéologie médiévale, t. 10, 1980, p. 402

Benoît caroline, Les hommes en présence à Saint-Leu d’Esserent au XIIe siècle. Analyse du cartulaire d’un prieuré clunisien., Mémoire de maîtrise Univ. Picardie, Amiens, inédit.

BERNARD, jean-louis, « Le prieuré de Saint-Leu d’Esserent (Oise), une réinterprétation du site après les fouilles de 1998. », Revue archéologique de Picardie, n°3-4, 2000, p 155-174.

Danjou « Note sur une enseigne de pèlerinage conservée au musée de Beauvais », Mémoires de la société Académique d’archéologie, sciences et arts du département de l’Oise, t.2, 1852-1855, Beauvais, p. 410-419.

Dautheuil D., "Fouilles à Saint Leu", Mémoires de la commission archéologique de Senlis, 1955, pp10-11.

durvin pierre, Le millénaire d’un sanctuaire : Saint Leu d’Esserent, éd. CRDP, Amiens, 1975.

Durvin Pierre, "Une église réssucitée: Saint-Leu d'Esserent", Mémoires de la commission archéologique de Senlis, 1955, pp.11-12.

Durvin, Pierre,"Les fouilles de l'abbatiale de Saint Leu", Bulletin de la société archéologique, historique et géographique de Creil, janv. 1956, pp1-7.

DURVIN pierre, Rapport des fouilles de l’église de Saint Leu d’Esserent, inédit, archives Service régional de l’Archéologie.

DURVIN pierre, « Communication sur les fouilles de l’église de Saint-Leu d’Esserent (1955) », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, Paris, p. 70-71.

Fossard, albert, Le prieuré de Saint Leu d'Esserent (abbaye bénédictine de Cluny), éd. Imp. du Réveil, Paris, 1934.

Hubert, jean, "Observation sur l'intérêt des substructions retrouvées dans la nef de Saint Leu", Bulletin de la société des Antiquaires de France, 1959, pp72-73.

Gilbert A., « Notice historique et descriptive de l’ancien prieuré d’Esserent », Revue archéologique, 1854.

Graves, maurice, "Eglise et couvent de Saint Leu d'Esserent", Congrès archéologiques de la France, XXXIII, Paris, 1866, pp159-167.

Lafaurie jean, « Note sur une pièce de monnaie trouvée à l’abbatiale de Saint Leu d’Esserent », Bulletin de la société archéologique, historique et géographique de Creil, n° 12, 1956, p. 4.

Lefèvre-Pontalis, eugène, "Guide archéologique de Saint Leu d'Esserent", Congrès archéologiques de France, 1905, pp.121-129.

Müller, eugène, Monographie de l'église de Saint Leu d'Esserent, Pontoise, Société historique, 1920.

Patin, Claude, « Chapelle bénédictine du bois Saint Michel de Saint Leu », Sites 1979, n°3-4, p. 78-79.

Racinet, Philippe, « Constructions, reconstructions et aménagement du prieuré clunisien de Saint Leu d'Esserent », Groupe d'études des Monuments et Oeuvres d'art du Beauvaisis, n°13, 1982, p.17-25.

Racinet, Philippe, « Observations sur l'implantation et l'agencement du prieuré clunisien de Saint Leu d'Esserent », Revue archéologique de Picardie, 1-2, 1989, p.131-141.

racinet, philippe, « Saint-Leu d’Esserent (Oise), Prieuré clunisien », Archéologie médiévale, XX, « Chroniques des fouilles médiévales », p. 390-391.

Théry, C., « Saint Leu d'Esserent et l'aristocratie de la fin du XIe à la fin du XIIesiècles », Mémoires de la société historique et archéologique de Senlis, 1977, pp11-30.

Wacheux H et TUQUET L., L’histoire de Saint–Leu d’Esserent par cartes postales et photos anciennes, éd. Studotec, 1981.

Etudes régionales et locales

DELAITE julien, Les Comtes de Dammartin-en-Goële et leurs ancêtres (Saint-Riquier, Montreuil-sur-mer, Montdidier, Arcis et Ramerupt) du VIIIe au XIIe siècle, Liège, 1911.

Delettre l’abbé, Histoire du diocèse de Beauvais depuis son établissement au 3ème siècle jusqu’au 2 septembre 1792, Beauvais, 1842-1843.

DE dion, adolphe., Les seigneurs de Breteuil en Beauvaisis, Nogent-le-Rotrou, 1884.

Fossier, robert, Histoire de la Picardie, éd. Privat, Toulouse, 1974.

fossier, robert, La terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du XIIIe siècle, éd. Nauwelaerts, Paris-Louvain, 1968.

Graves maurice, Précis statistiques du canton de Creil, Annuaire de l’Oise, Beauvais, 1828.

Guyotjeannin, olivier, Episcopus et Comes, affirmation et déclin de la seigneurie épiscopale au nord du Royaume de France, (Beauvais-Noyon, Xe – début du XIIIe siècle), éd. Librairie Droz, Genève-Paris, 1987.

Leblond Victor, Notes pour le Nobiliaire de Beauvais d’après un manuscrit inédit du XVIIe siècle et autres documents originaux, Beauvais, 1910.

L’Epinois, « Recherches historiques et critiques sur l’ancien comté et les comtes de  Clermont en Beauvaisis du XIe au XIIIe siècle », Société académique du département de l’Oise, t. 9 p. 570-574, t. 10 p. 113, P.J n° III, XXII, LXXXVIII, CXIV.

LOUVET, pierre, Histoire et antiquez du diocèse de Beauvais, Beauvais, 1631-1635.

lucay helion de, Le comté de Clermont en Beauvaisis, étude pour servir à son histoire, Paris, 1878.

Malo, henri, Un grand feudataire : Renaud de Dammartin et la coalition de Bouvines, contribution à l’étude du règne de Philippe-Auguste, éd. Honoré Champion, Paris, 1898.

MAthieu, jean-noël, « Recherches sur les premiers comtes de Dammartin », Mémoires publiés par la fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, tome 47, Paris, 1996, p. 7-59.

Melaye, Albert, Le château fort de Dammartin et ses différents sièges, généalogie des comtes, Lagny le sec et sa commanderie, extraits des Mémoires du Comité archéologique de Senlis, Senlis, 1900.

NEWMAN, william mendel., Le domaine royal sous les premiers capétiens (987-1180), Paris, 1937.

Etudes sur l’architecture

Bideault, maryse et Lautier claudine, Île de France gothique, les monuments de la France gothique, éd. Picard, Paris, 1987.

Prache anne, Ile de France romane, éd. Zodiaque, 1983.

WOILLEZ Emmanuel, Archéologie des monuments religieux de l’ancien Beauvoisis pendant la métamorphose romane, Paris, 1839-1849.

Etudes sur la société et l’économie médiévale

Bournazel, eric, Le gouvernement capétien au XIIe siècle, 1108-1180, structures sociales et mutations institutionnelles, éd. Des PUF, Paris, 1975.

BOURIN, monique et durand robert, Vivre au village au Moyen Âge, les solidarités paysannes du XIe au XIIIe siècle, coll. « Didact histoire », éd. PUR, Rennes, 2000, 207 p.

CONTAMINE philippe et alii, L’économie médiévale, éd. Armand Collin, 2ème édition, Paris, 1997.

Fossier, robert, Enfance de l’Europe, Xe-XIIe siècles, aspects économiques et sociaux, tome 1, l’homme et son espace, nouvelle Clio, 17, éd. PUF, Paris, 1982.

Geary, Patrick J., « Vivre en conflit dans une France sans état : typologie des mécanismes de règlement des conflits (1050-1200) », Annales ESC, septembre-octobre 1986, n°5, pp. 1107-1133.

Lemarignier, jean-françois, Le gouvernement royal aux premiers temps capétiens (987-1108), éd. Picard, Paris, 1965.

Lemarignier, jean-françois, « Hiérarchie monastique et hiérarchie féodale », dans Revue d’histoire du droit français et étranger, t. 57, 1953, p. 171-174.

Palazzo eric, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, 2000.

SOUTHERN, richard wiliam., L’église et la société dans l’Occident médiéval, Paris, champs Flammarion, 1997.

Etudes archéologique et archeogeographique

FIXOT, michel et zadora-rio, elisabeth (dir.), L’environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes médiévales, Actes du IIIe congrès international d’archéologie médiévale (Aix en Provence, 28-30 septembre 1989), Documents Archéologiques de France, tome 46, éd. Maison des sciences de l’homme, Paris, 1994.

fixot, michel, et zadora-rio, elisabeth, L’église, le terroir, Monographies du centre de recherches archéologiques, Paris, 1989.

CHAPELOT, jean et FOSSIER, robert, Le village et la maison au Moyen Âge, Paris, 1980.

Woillez, Emmanuel, Répertoire archéologique du département de l’Oise, coll. Répertoire archéologique de la France, éd. société académique d’archéologie, sciences et arts de l’Oise, Paris, imprimerie impériale, 1862.

Etudes sur la vie religieuse

Dom davril anselme et palazzo eric, La vie des moines aux temps des grandes abbayes Xe-XIIIe siècle, coll. La vie quotidienne, éd Hachette littératures, Paris, 2000.

Dubois jacques, « La vie des moines dans les prieurés du moyen âge », in: Lettre de Ligugé 133, 1969, p. 10-33.

Lauwers, Michel, La mémoire des ancêtres, le souci des morts, morts, rites et société au Moyen Âge (diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles), Théologie historique, 103, éd. Beauchesne, Paris, 1997.

LEMAÎTREjean-loup, Prieurs et prieurés dans l'Occident médiévale. Actes du colloque organisé à Paris le 12 novembre 1984 par la IVe session de l'École pratique des Hautes Études et l'Institut de recherche et d'histoire des textes, éd Droz, Genève, éd. Honoré Champion, Paris, 1987.

SOares-christen, eliana magnani, Monastères et aristocratie en Provence, milieu Xe – début XIIe siècle, Vita Regulis, 10, éd. Lit, Münster, 1999.

Meurgey, jacques, Armorial de l’Eglise de France, Evêchés, chapitres, paroisses, abbayes, prieurés, couvents, corporations et communautés religieuses, Macon, 1938.

Etudes sur Cluny et les maisons clunisiennes

Constablegiles, “Cluniac Administration and Administrators in the Twelfth Century”, in: Order and Innovation in the Middle Ages. Essays in Honor of Joseph R. Strayer, éd. WILLIAM C. JORDAN, BRUCE MCNAB und TEOFILO F. RUIZ, Princeton 1976, p.  17-30; ND: Ders., Cluniac Studies, Aufsatz II

IOGNAT-PRAT, dominique et sapin, michel, « Les études clunisiennes dans tous les états », Revue Mabillon, t. 66, 1994, pp. 233-258.

IOGNAT-PRAT, dominique, Ordonner et exclure, Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1000-1150, coll. Historique, éd. Aubier, Paris, 1998.

MÉHU didier, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny, Xe-XVe siècle, Collection d’histoire et d’archéologie médiévales, 9, éd. Presses universitaires de Lyon, Lyon, 2001.

MÉHU didier, « Cluny et les laïcs », in Le monde clunisien d'Hugues de Semur à Pierre le Vénérable, L'archéologue, n°15, octobre 1995, p. 23.

Racinet, Philippe, Les maisons de l'ordre de Cluny au Moyen Âge, Evolution et permanence d'un ancien ordre bénédictin au Nord de Paris, Bibliothèque de la revue d'histoire ecclésiastique, fascicule 76, 1990.

Racinet, Philippe, Crises et renouveaux: les monastères clunisiens à la fin du Moyen Âge, de la Flandre au Berry et comparaisons méridionales, Arras, 1997.

Racinet Philippe, « L'implantation monastique dans la basse vallée de l'Oise au Moyen Âge ».

RACINET, philippe, « Le prieuré clunisien de Saint-Arnoul de Crépy (Oise) : Histoire et archéologie », Revue archéologique de Picardie, 1985, n°1-2, p.121-131.

Racinet Philippe, « Les prieurés clunisiens en Picardie au Moyen Âge et au XVIe siècle », Revue archéologique de Picardie, 1982, n=°4, p. 199-230.

Racinet, philippe, « Le prieuré clunisien, une composante essentielle du monde aristocratique (XIe-XIIIe siècle) », Die Cluniazenser in ihrem politisch-sozialen Umfeld, Münster, 1998, p.189-212.

Racinet, philippe, « Cluny et les centres urbains en France XIe-XIIIe siècles », in: Les moines dans la ville, Colloque du CAHMER et du CREDHIR, Université catholique de Lille (31 mars, 1er avril 1995), Histoire médiévale et archéologie, 7, Amiens, 1996, p. 59-75.

Racinet, philippe, « Prieurés clunisiens, bourgs et cités (milieu du 11e-milieu du 13e siècles) », Revue du Nord, 78, 1996, p. 223-241.

Racinet, philippe, « Implantation et expansion clunisiennes au nord-est de Paris (XIe-XIIe siècles) », Le moyen âge, 90, 1984, p. 5-37.

Racinet, philippe, « Les prieurés clunisiens de Picardie au moyen âge et au XVIe siècle. Étude archéologique », Revue archéologique de Picardie 1982, p. 199-270.

riche, denyse, L’ordre de Cluny, de la mort de Pierre le vénérable à Jean III de Bourbon. « Le vieux pays clunisien », Thèse de doctorat, Lyon II, 1991.

ROSENWEIN, B.H., To be the neighbor of Saint Peter. The social Meaning of Cluny’s Property. 909-1049, Ithaca-London, 1989.

pacaut, marcel, L’ordre de Cluny, Paris, éd. Fayard, 1986.

PACAUT, marcel, « Recherche sur les églises paroissiales monastiques. L'exemple de Cluny », in: Historia de la Iglesia y de las instituciones ecclesiasticas. Estudios interdisciplinaire en homenaje a Ferran Valls i Tabern con ocasión del centenario de su nacimento V. Papers in European Legal History. Trabajos de Derecho Histórico Europeo, hg. von MANUEL J. PELÁEZ, Barcelona 1992, X, S. 4025-4042.

VALOUS G. de, Le monachisme clunisien des origines au XVe siècle. Vie intérieure des monastères et organisation de l’ordre, Paris, Picard, 1935, 2 vol. ; 2ème édition, 1970.

Wollasc joachim, « Parenté noble et monachisme réformateur. Observations sur les ‘conversions’ à la vie monastique aux XIe et XIIe siècles », Revue historique, juillet-septembre 1980, n°535, t. 264, pp. 3-24.

WOLLASCH joachim, « Prosopographie et Informatique: L'exemple des Clunisiens et de leur entourage laïque », Informatique et Prosopographie, Table Ronde C.N.R.S., Paris 1984, Paris 1986, p.209-218.